—Quoi! dit Jean surpris, c'était…
—Chut! n'avançons rien sans preuve; l'Église le défend, et moi-même, emporté par la colère, j'ai failli pécher. Au surplus, demain, le doute ne sera plus permis. Mais, pour terminer, vous êtes informé de la haine qui anime le duc de Mercoeur contre notre maison.
—Cette haine, je la méprise! s'écria vivement le jeune homme.
De la Roche branla la tête d'un air sombre.
—Le duc est puissant, dit-il ensuite, trop puissant!
—Le crédit du roi, hasarda l'écuyer…
—Le crédit du roi est sans influence sur les fanatiques, et, je vous l'avoue, j'appréhende fort que, malgré le traité de Vorvins, l'édit de Nantes, du 13 avril dernier, édit qui assure aux huguenots égalité de charges, d'honneurs et de dignités avec les catholiques, ne soit mal vu par la cour de Rome et ne pousse la France dans de nouvelles guerres religieuses. Enfin!…
Et le marquis passa sur son front sa large main que sillonnait une cicatrice.
—Enfin, reprit-il, j'ai les lettres patentes qui me confirment dans la charge de lieutenant général du Canada. Dans huit jours, nous partirons pour cette terre vierge dont on rapporte tant de merveilles, et Laure entrera au couvent de Blois où elle attendra patiemment le retour de son fiancé. Si je succombe, vous la protégerez, n'est-ce pas, Jean?
—Oh! s'écria le jeune homme avec chaleur.
II
LAURE DE KERSKOÊN
Il était midi. Assise dans une vaste chaire sculptée Laure de Kerskoên, châtelaine de Vornadeck, feuilletait son beau missel imprimé sur parchemin enluminé de miniatures d'après l'art byzantin et enrichi d'une brillante couverture ayant des fermoirs d'or ciselé, avec l'améthyste orientale au centre, enchâssée dans une plaque d'argent selon l'as de saint Éloi, orfèvre du roi Dagobert.
Laure de Kerskoên, châtelaine de Vornadeck, avait l'âge des illusions, dix-sept printemps. C'était un bouton de rose près de fendre la capsule qui jalouse la richesse de ses couleurs, la suavité de ses parfums. Rien de joli et de mutin à la fois comme son visage, où la témérité et la douceur harmonisaient leurs traits.
En face de la jeune fille, se tenait sa nourrice, dame Catherine, vieille Normande qui, depuis l'enfance de Laure, lui avait tenu lieu de mère.
—Dis donc, nourrice, s'écria tout à coup la noble demoiselle, en posant le missel sur ses genoux, saurais-tu pas l'heure qu'il est?
—M'est avis que la douzième heure approche, répliqua Catherine, car voici sonner le cor, pour relever la garde du château. Bientôt notre bon seigneur de la Roche-Gommard sera céans, avec son aimable écuyer, le sire de Ganay. Je suis sûr que votre coeur soupire après lui. Le vicomte Jean est aussi beau damoiseau qu'intrépide cavalier.
Une petite moue tout à fait dédaigneuse monta aux lèvres de Laure, qui reprit au bout d'une minute:
—Parlais-tu pas, ce matin, d'aller visiter la poissonnière qui s'est cassé la jambe'?
—Oui, chère damoiselle, j'irai dès que la grande chaleur sera diminuée.
—J'imagine qu'il vaudrait mieux y aller tout de suite. Si mon oncle et tuteur rentre, dans l'après-dîner, il ne te sera guère possible de quitter le castel, nourrice.
—De vrai, ma fille, vous raisonnez comme un ange; je vais prendre une mante et vite porter à cette pauvre femme les herbages et potions qu'a prescrits le chirurgien-barbier.
Ce disant, la vieille Normande se leva de son siège et sortit.
—Ah! exclama joyeusement Laure, dès que sa «duègne,» comme elle l'appelait, eut laissé retomber la portière de l'appartement. Ah! je suis donc libre, enfin! Quelques minutes de plus et peut-être… Après tout, Catherine est si indulgente pour moi! elle n'en aurait soufflé mot à monseigneur de la Roche. Il ne tardera moult à revenir et ce Jean de Ganay avec lui… Quel ennui! Mais elle aussi ne tardera moult à venir, elle viendra avant eux, ma gentille messagère… Quel bonheur!
Bondissant de gaieté, la nièce du marquis courut à une étroite croisée en ogive, garnie de vitraux coloriés, et souleva le châssis inférieur. Un amoureux rayon de soleil l'enveloppa sur-le-champ dans les ondes de sa lumière éclatante, et s'étendit follement sur le parquet.
Pendant vingt minutes, Laure de Kerskoên, accoudée à l'entablement de la fenêtre, interrogea l'étendue de la voûte azurée, en effeuillant les corolles d'une adorable méditation. Elle commençait toutefois à s'impatienter, quand au nord apparut un point noir.
—Adresse! ma tendre Adresse! murmura la jeune fille.
Le point grossissait insensiblement, prenait des proportions, des formes sveltes et élancées. C'était une colombe fendant l'atmosphère à tire-d'ailes. Elle approche, elle approche; déjà on peut distinguer, son blanc plumage et son col léger que ceint un cercle vert.
—O chère Adresse! répéta Laure, c'est bien toi; je ne m'étais pas trompée!
Comme un pilote habile, reconnaissant le port après une périlleuse traversée, l'oiseau double d'ardeur dès qu'il aperçoit la délicieuse tête de Laure, encadrée dans l'embrasure de la fenêtre. Il a franchi l'enceinte du castel, plane sur les remparts extérieurs, et ne tardera pas à recevoir le prix de sa course, lorsque, soudain, une détonation se fait entendre,