À tous ses mécomptes se joignait un certain remords secret qu'il ne révéla qu'à sa dernière heure, et que nous verrons les événements de ce récit arracher de vive force à l'oubli où il voulait l'ensevelir.
Malgré nos recherches, nous le perdons de vue plus d'une fois dans les années qui s'écoulèrent entre la mort de Concini et la dernière année de la vie de Luynes; à l'exception de quelques mots de notre manuscrit sur sa présence à Blois et à Angers, nous ne trouvons, dans son histoire obscure et tourmentée, aucun fait digne de mention jusqu'à l'année 1621, où, pendant que le roi faisait si mal le siége de Montauban, le petit d'Alvimar était à Paris, toujours à la suite de la reine mère, réconciliée avec son fils après l'affaire des Ponts-de-Cé.
D'Alvimar avait alors renoncé à l'espoir de lui plaire, et peut-être bien lui aussi, dans son cœur «enfiélé,» la traitait-il de balourde, bien que, pour la première fois, elle eût fait preuve de bon sens en donnant sa confiance, et l'on dit son cœur, à Armand Duplessis; c'était là un rival que d'Alvimar ne devait pas beaucoup espérer d'éconduire. De plus, la reine, conseillée par Richelieu, tournait sa politique dans le même sens que Henri IV et Sully. Elle combattait, pour le moment, l'influence espagnole en Allemagne, et d'Alvimar se voyait presque en disgrâce, lorsque, pour surcroît de malheur, il lui arriva une assez méchante affaire.
Il se prit de querelle avec un autre Sciarra, un Sciarra Martinengo que Marie de Médicis employait plus volontiers, et qui refusait de le reconnaître pour parent. Ils se battirent: le Sciarra Martinengo fut grièvement blessé, et il vint aux oreilles de Marie que M. Sciarra d'Alvimar n'avait pas rigoureusement observé les lois du duel en France.
Elle le manda devant elle et le réprimanda avec beaucoup de brutalité; ce à quoi d'Alvimar répondit avec l'aigreur qui depuis longtemps s'amassait en lui. Il réussit à quitter Paris avant que l'on fût en mesure de l'y arrêter, et arriva, dans les premiers jours de novembre, au château d'Ars, en Berry, dans le duché de Châteauroux.
Il nous faut dire les raisons qui lui faisaient choisir ce refuge, de préférence à tout autre.
Environ six semaines avant son malheureux duel, M. Sciarra d'Alvimar s'était trouvé en relation de bonne compagnie avec M. Guillaume d'Ars, un jeune homme aimable et riche, descendant en droite ligne du brave Louis d'Ars, qui avait fait la belle retraite de Venouze en 1504, et qui fut tué à la bataille de Pavie.
Guillaume d'Ars avait été séduit par l'esprit de d'Alvimar et par la très-grande amabilité dont il était capable «à ses heures.» Il n'avait pas eu le temps de le connaître assez pour partager l'espèce d'antipathie que ce personnage malheureux inspirait presque fatalement, au bout de quelques semaines, à ceux qui le fréquentaient.
M. d'Ars était, d'ailleurs, un garçon sans grande expérience du monde, et, on peut croire, sans grand souci de pénétration. Élevé en province, il était, pour la première fois, lancé dans le monde de Paris quand il y rencontra d'Alvimar et s'engoua de lui pour la manière supérieure dont celui-ci entendait, à l'occasion, l'équitation, la vénerie et le jeu de paume. Généreux et prodigue, Guillaume mit sa bourse et son bras au service de l'Espagnol, et l'engagea chaudement à le venir visiter dans son château du Berry, où quelques soins le rappelaient.
D'Alvimar en usa discrètement avec son nouvel ami. S'il avait beaucoup de défauts, on ne saurait lui reprocher d'avoir manqué de fierté en acceptant des offres d'argent, et Dieu sait, pourtant, qu'il n'était pas riche et que le soin de sa toilette et de ses chevaux réclamait tout son mince revenu. Il ne se permettait point de folies, et, par «grande sagesse d'épargne, venait à bout de paraître aussi bien monté et nippé que d'autres plus foncés en écus.»
Mais, quand il se vit menacé d'un procès criminel, il se souvint des avances et invitations à lui faites par le gentilhomme berruyer, et prit le sage parti d'aller lui demander asile.
D'après ce que Guillaume lui avait conté de son pays, c'était, à cette époque, la plus tranquille province de France.
M. le prince de Condé en était gouverneur, et, très-content du gros lot par lequel il venait de se faire acheter, «il vivait, tantôt en son château de Montrond, à Saint-Amand, tantôt en sa bonne ville de Bourges, où il avait embrassé de son mieux le service du roi, et encore mieux celui des jésuites.»
Cette tranquillité du Berry serait considérée, de nos jours, comme un état de guerre civile, car il s'y passait encore bien des choses que nous dirons en temps et lieu; mais c'était un état de paix et d'ordre, si on le compare avec ce qui se passait ailleurs, et surtout avec ce qui s'y était passé au siècle précédent.
Sciarra d'Alvimar pouvait donc espérer n'être pas inquiété dans le fond d'un de ces châteaux du bas Berry, où, depuis quelques années, les calvinistes ne tentaient plus de coups de main, et où les seigneurs royalistes, anciens ligueurs, anciens politiques et autres, n'avaient plus l'occasion ou le prétexte d'aller repaître leurs hommes d'armes aux dépens de leurs voisins, amis ou ennemis.
D'Alvimar arriva au château d'Ars, un jour d'automne, vers huit heures du matin, accompagné d'un seul valet, vieil Espagnol qui se disait noble aussi, mais que la misère avait réduit à la domesticité, et qui ne paraissait guère d'humeur à trahir les secrets de son maître, car il ne disait quelquefois pas trois paroles par semaine.
Tous deux étaient bien montés, et, quoique leurs chevaux fussent chargés de lourdes mallettes, ils étaient venus de Paris en moins de six jours.
La première personne qu'ils virent «en la cour du castel» fut le jeune seigneur Guillaume mettant le pied à l'étrier pour faire plus qu'une promenade, car il était escorté de plusieurs de ses gens prêts à sortir avec lui, c'est-à-dire chargés de mallettes de voyage.
—Ah! vous arrivez bien! s'écria-t-il en courant embrasser d'Alvimar; je pars pour voir les fêtes que M. le Prince donne à Bourges, à l'occasion de la naissance de M. le duc d'Enghien, son fils[3]. Il y aura grandes journées de danse et de comédie, tir à l'arquebuse, feux d'artifice et mille autres choses divertissantes. Donc, vous voici, et je retarderai mon départ de quelques heures, afin que vous me puissiez accompagner. Venez en ma maison pour prendre repos et nourriture. Je m'occuperai de vous fournir un cheval frais, car celui que vous montez ne doit pas être bien disposé, malgré sa bonne mine, à faire aujourd'hui dix-huit lieues de plus.
Quand d'Alvimar se vit seul avec son hôte, il lui confia qu'il ne pouvait être question pour lui de fêtes publiques et qu'il s'agissait, non de le mener à un divertissement, mais de le cacher dans son château pendant quelques semaines. Il n'en fallait pas davantage, en ce temps-là, pour faire oublier une affaire aussi fréquente et aussi simple que mort ou blessures données à un ennemi, soit en duel, soit autrement. Il ne s'agissait que de trouver un protecteur à la cour, et d'Alvimar comptait sur l'arrivée prochaine à Paris du duc de Lerme, dont il se croyait ou se disait parent. C'était là un personnage assez considérable pour obtenir sa grâce et même remettre sa fortune en meilleur chemin qu'auparavant.
Comment notre Espagnol raconta son duel avec le Sciarra Martinengo[4]; comment il s'excusa de ne l'avoir point attaqué dans les règles, ou d'avoir été calomnié sur ce fait aussi bien auprès de la reine Marie que de M. de Luynes, c'est ce que Guillaume d'Ars n'examina pas avec beaucoup de soin. En loyal gentilhomme qu'il était, il avait été fasciné par d'Alvimar et ne se méfiait point. D'ailleurs, il se sentait plus désireux de partir que de rester, et jamais on n'eût pu le surprendre dans une plus mauvaise disposition pour discuter une question quelconque.
Il traita donc légèrement le fond de l'affaire et ne se fit souci que de la possibilité d'être retenu un jour de plus loin des fêtes de la capitale du Berry. Sans doute, il y avait pour lui, sous jeu, quelque amourette.
D'Alvimar, qui vit son embarras, le pressa de ne rien changer à ses projets et de lui indiquer quelque village ou ferme de ses domaines où il pût se tenir en sûreté.
—C'est dans mon propre château, et non dans une ferme ou village, que