L'hôtel hanté. Уилки Коллинз. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Уилки Коллинз
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066088095
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jamais; elle connaissait ses sentiments aussi bien qu'il les connaissait lui-même, mais elle était trop troublée pour parler. Il porta la main qu'il tenait à ses lèvres et l'embrassa de toute son âme; puis, sans la regarder, quitta la chambre. La nourrice courut après lui en haut de l'escalier: elle n'avait pas oublié le temps où le plus jeune frère avait été le rival malheureux de l'aîné.

      «Ne soyez pas triste, M. Henry, dit tout bas la vieille femme, avec ce gros bon sens des gens du peuple. Essayez encore, quand vous reviendrez!»

      Laissée seule pendant quelques instants, Agnès fit le tour de la chambre, cherchant à se calmer. Elle s'arrêta devant une petite aquarelle suspendue au mur et qui avait appartenu à sa mère; c'était son portrait quand elle était enfant. Comme nous serions heureux, pensa-t-elle tristement, si nous ne grandissions jamais!

      On fit entrer la femme du courrier: une petite femme douce et mélancolique, avec des cils blonds et des yeux clairs, qui salua avec déférence en toussant d'une petite toux chronique. Agnès lui tendit affectueusement la main.

      «Eh bien, Émilie, que puis-je pour vous?»

      La femme du courrier fit une réponse assez étrange:

      «J'ai peur de vous le dire, mademoiselle.

      —La faveur est-elle si difficile à obtenir? Asseyez-vous et dites-moi d'abord comment vous allez. Peut-être que la demande viendra toute seule pendant que nous causerons. Comment votre mari se conduit-il avec vous?»

      Les yeux gris-clair d'Émilie devinrent plus clairs encore. Elle secoua sa tête et dit avec un soupir de résignation:

      «Je n'ai pas à me plaindre positivement de lui, mademoiselle, mais je crains bien qu'il ne m'aime guère; son intérieur ne lui plaît pas: on dirait qu'il est déjà fatigué de la vie de ménage. Il vaudrait mieux pour tous deux, mademoiselle, qu'il voyageât pendant quelque temps, à tous les points de vue, sans compter que le besoin d'argent commence à se faire joliment sentir.»

      Elle porta son mouchoir à ses yeux et soupira encore avec plus de résignation que jamais.

      «Je ne comprends pas bien, dit Agnès; je croyais que votre mari avait un engagement pour mener des dames en Suisse et en Italie?

      —Oui, mademoiselle, malheureusement; car voici ce qui est arrivé: une de ces dames est tombée malade et les autres n'ont pas voulu partir sans elle. Elles ont donné un mois de gage comme compensation; mais elles avaient pris pour l'automne et l'hiver, et la perte est sérieuse.

      —C'est bien fâcheux pour vous, Émilie; mais il faut espérer qu'il y aura bientôt une autre occasion.

      —Ce n'est plus son tour, mademoiselle, à être proposé, quand les prochaines demandes viendront au bureau de placement des courriers. Il y en a tant sans travail dans ce moment! S'il pouvait être particulièrement recommandé…»

      Elle s'arrêta et laissa la phrase inachevée parler pour elle.

      Agnès comprit sur-le-champ.

      «Vous voulez ma recommandation, répondit-elle; pourquoi ne pas le dire de suite?»

      Émilie rougit.

      «Ce serait une si bonne recommandation pour mon mari, répondit-elle toute confuse. Une lettre demandant un bon courrier pour un engagement de six mois, mademoiselle, est justement arrivée au bureau ce matin. C'est le tour d'un autre à être placé, et le secrétaire va le_ _recommander. Si mon mari pouvait seulement envoyer ses certificats aujourd'hui même, avec un simple mot de vous, mademoiselle, cela pèserait dans la balance, comme l'on dit. Une recommandation particulière, entre gens de condition, cela fait tant d'effet.» Elle s'arrêta encore une fois, et soupira de nouveau en regardant le tapis comme si elle avait quelque raison secrète d'être honteuse d'elle-même.

      Agnès commençait à se fatiguer du ton persistant de mystère avec lequel son ancienne femme de chambre lui parlait.

      «Si vous voulez un mot de moi pour un de mes amis, lui dit-elle, pourquoi ne pas m'en dire le nom?»

      La femme du courrier se mit à pleurer.

      «Je suis honteuse de vous le dire, mademoiselle.»

      Agnès, irritée, lui parla sévèrement pour la première fois.

      «Vous êtes absurde, Émilie. Dites-moi le nom immédiatement ou n'en parlons plus. Qu'est-ce que vous préférez?»

      Émilie fit un dernier effort. Elle tordit son mouchoir sur ses genoux, et lança le nom comme si elle avait fait partir un fusil chargé:

      «Lord Montbarry!»

      Agnès se leva et la regarda.

      «Vous me surprenez, répondit-elle tranquillement, mais avec un regard que la femme du courrier ne lui avait jamais vu auparavant.

      —Sachant ce que vous savez, vous deviez bien penser qu'il m'est impossible d'écrire à lord Montbarry. Je supposais que vous aviez quelque délicatesse de sentiments. Je suis fâchée de voir que je m'étais trompée.»

      Toute simple qu'elle était, Émilie n'en comprit pas moins fort bien la réprimande. Elle se dirigea sans bruit vers la porte, et avec ses petites manières pleines de douceur:

      «Je vous demande pardon, mademoiselle, je ne suis pas si mauvaise que vous croyez. Mais je vous demande pardon tout de même,» dit-elle.

      Elle ouvrit la porte. Agnès la rappela.

      Il y avait quelque chose dans l'excuse de cette femme qui frappa la nature juste et généreuse de son ancienne maîtresse.

      «Venez, lui dit-elle, il ne faut pas nous quitter comme cela. Faites-vous bien comprendre. Qu'est-ce que vous voulez que je fasse?»

      Émilie fut assez sage pour répondre cette fois-ci sans réticence.

      «Mon mari va envoyer ses certificats, mademoiselle, à lord Montbarry, en Écosse. Je voulais seulement que vous lui permettiez de dire dans sa lettre que sa femme est connue de vous depuis son enfance, et que vous vous intéressez un peu à lui à cause d'elle. Je ne le demande plus maintenant, mademoiselle, puisque vous m'avez fait comprendre que j'avais tort.»

      Avait-elle réellement tort? Les souvenirs du passé, aussi bien que les chagrins du présent, plaidèrent puissamment auprès d'Agnès pour la femme du courrier, «Ce n'est pas une bien grosse faveur que vous me demandez là, dit-elle, se laissant aller à un sentiment de bonté qui prévalait dans toutes les actions de sa vie. Mais je ne sais si je dois permettre que mon nom soit mentionné dans la lettre de votre mari. Redites-moi encore exactement ce qu'il désire écrire.»

      Émilie répéta sa demande et fit une proposition qui lui sembla fort importante, comme à toutes les personnes qui n'ont pas l'habitude de tenir une plume.

      «Supposons que vous écriviez vous-même, mademoiselle, pour voir ce que cela donnera une fois sur le papier?»

      Quoique enfantine, l'idée fut mise à exécution par Agnès.

      «Si je vous laisse prononcer mon nom, dit-elle, il faut en effet que nous décidions au moins ce que vous direz.»

      Elle écrivit donc une phrase la plus brève et la plus simple qu'elle put trouver:

      «J'ose dire que ma femme est connue depuis son enfance par Mlle Agnès Lockwood, qui, par cette raison, porte quelque intérêt à ma réussite en cette circonstance.»

      Réduite à cette seule phrase, il n'y avait sûrement rien dans la mention de son nom qui pût signifier qu'Agnès eût donné une autorisation quelconque ou même qu'elle en eût eu connaissance. Elle hésita cependant encore un peu et tendit le papier à Émilie.

      «Il faut que votre mari le copie exactement sans rien y changer, dit-elle. À cette condition, je consens à ce que vous voulez.»

      Émilie n'était pas seulement reconnaissante, elle était réellement