Il poursuit sa création: des cieux il descend sur la terre. Les mêmes mains qui ont arrangé et construit les corps célestes travaillent à la composition du globe de la terre. Toutes les parties tendent vers le centre. La pesanteur est l'effet de la force centrifuge du tourbillon. Ce fluide, qui tend à s'éloigner, pousse vers le centre tous les corps qui ont moins de force que lui pour s'échapper: ainsi la matière n'a par elle-même aucun poids. Bientôt tout devoit changer: la pesanteur est devenue une qualité primitive et inhérente, qui s'étend à toutes les distances et à tous les mondes, qui fait graviter toutes les parties les unes vers les autres, retient la lune dans son orbite, et fait tomber les corps sur la terre. On devoit faire plus, on devoit peser les astres; monument singulier de l'audace de l'homme! Mais toutes ces grandes découvertes ne sont que des calculs sur les effets. Descartes, plus hardi a osé chercher la cause. Il continue sa marche: l'air, fluide léger, élastique et transparent, se détache des parties terrestres plus épaisses, et se balance dans l'atmosphère; le feu naît d'une agitation plus vive, et acquiert son activité brûlante; l'eau devient fluide, et ses gouttes s'arrondissent; les montagnes s'élèvent, et les abîmes des mers se creusent; un balancement périodique soulève et abaisse tour à tour les flots et remue la masse de l'océan, depuis la surface jusqu'aux plus grandes profondeurs; c'est le passage de la lune au-dessus du méridien qui presse et resserre les torrents de fluide contenus entre la lune et l'océan. L'intérieur du globe s'organise, une chaleur féconde part du centre de la terre, et se distribue dans toutes ses parties; les sels, les bitumes et les soufres se composent; les minéraux naissent de plusieurs mélanges; les veines métalliques s'étendent; les volcans s'allument; l'air, dilaté dans les cavernes souterraines, éclate, et donne des secousses au globe. De plus grands prodiges s'opèrent: la vertu magnétique se déploie, l'aimant attire et repousse, il communique sa force, et se dirige vers les pôles du monde; le fluide électrique circule dans les corps, et le frottement le rend actif. Tels sont les principaux phénomènes du globe que nous habitons, et que Descartes entreprend d'expliquer. Il soulève une partie du voile qui les couvre. Mais ce globe est enveloppé d'une masse invisible et flottante, qui est entraînée du même mouvement que la terre, presse sur sa surface, et y attache tous les corps: c'est l'atmosphère; océan élastique, et qui, comme le nôtre, est sujet à des altérations et à des tempêtes; région détachée de l'homme, et qui, par son poids, a sur l'homme la plus grande influence; lieu où se rendent sans cesse les particules échappées de tous les êtres; assemblage des ruines de la nature, ou volatilisée par le feu, ou dissoute par l'action de l'air, ou pompée par le soleil; laboratoire immense, où toutes ces parties isolées et extraites d'un million de corps différents se réunissent de nouveau, fermentent, se composent, produisent de nouvelles formes, et offrent aux yeux ces météores variés qui étonnent le peuple, et que recherche le philosophe. Descartes, après avoir parcouru la terre, s'élève dans cette région 18. Déjà on commençoit dans toute l'Europe à étudier la nature de l'air. Galilée le premier avoit découvert sa pesanteur. Torricelli avoit mesuré la pression de l'atmosphère. On l'avoit trouvée égale à un cylindre d'eau de même base et de trente-deux pieds de hauteur, ou à une colonne de vif-argent de vingt-neuf pouces. Ces expériences n'étonnent point Descartes: elles étoient conformes à ses principes. Il avoit deviné la nature avant qu'on l'eût mesurée. C'est lui qui donne à Pascal l'idée de sa fameuse expérience sur une haute montagneB; expérience qui confirma toutes les autres, parce qu'on vit que la colonne de mercure baissoit à proportion que la colonne d'air diminuoit en hauteur. Pourquoi Pascal n'a-t-il point avoué qu'il devoit cette idée à Descartes? N'étoient-ils pas tous deux assez grands pour que cet aveu pût l'honorer?
Note B: (retour) Le Puy de Dôme, en Auvergne.
Les propriétés de l'air, sa fluidité, sa pesanteur et son ressort le rendent un des agents les plus universels de la nature. De son élasticité naissent les vents. Descartes les examine dans leur marche. Il les voit naître sous l'impression du soleil, qui raréfie les vapeurs de l'atmosphère; suivre entre les tropiques le cours de cet astre, d'orient en occident; changer de direction à trente degrés de l'équateur; se charger de particules glacées, en traversant des montagnes couvertes de neiges; devenir secs et brûlants en parcourant la zone torride; obéir, sur les rivages de l'océan, au mouvement du flux et du reflux; se combiner par mille causes différentes des lieux, des météores et des saisons; former partout des courants, ou lents ou rapides, plus réguliers sur l'espace immense et libre des mers, plus inégaux sur la terre, où leur direction est continuellement changée par le choc des forêts, des villes et des montagnes, qui les brisent et qui les réfléchissent. Il pénètre ensuite dans les ateliers secrets de la nature; il voit la vapeur en équilibre se condenser en nuage; il analyse l'organisation des neiges et des grêles; il décompose le tonnerre, et assigne l'origine des tempêtes qui bouleversent les mers, ou ensevelissent quelquefois l'Africain et l'Arabe sous des monceaux de sable.
Un spectacle plus riant vient s'offrir. L'équilibre des eaux suspendues dans le nuage s'est rompu, la verdure des campagnes est humectée, la nature rafraîchie se repose en silence, le soleil brille, un arc, paré de couleurs éclatantes, se dessine dans l'air. Descartes en cherche la cause; il la trouve dans l'action du soleil sur les gouttes d'eau qui composent la nue: les rayons partis de cet astre tombent sur la surface de la goutte sphérique, se brisent à leur entrée, se réfléchissent dans l'intérieur, ressortent, se brisent de nouveau, et vont tomber sur l'oeil qui les reçoit. Je ne cherche point à parer Descartes d'une gloire étrangère; je sais qu'avant lui Antonio de Dominis avoit expliqué l'arc-en-ciel par les réfractions de la lumière; mais je sais que ce prélat célèbre avoit mêlé plusieurs erreurs à ces vérités. Descartes expliqua ce phénomène d'une manière plus précise et plus vraie: il découvrit le premier la cause de l'arc-en-ciel extérieur; il fit voir qu'il dépendoit de deux réfractions et de deux réflexions combinées. S'il se trompa dans les raisons qu'il donne de l'arrangement des couleurs, c'est que l'esprit humain ne marche que pas à pas vers la vérité; c'est qu'on n'avoit point encore analysé la lumière; c'est qu'on ne savoit point alors qu'elle est composée de sept rayons primitifs, que chaque rayon a un degré de réfrangibilité qui lui est propre, et que c'est de la différence des angles sous lesquels ces rayons se brisent que dépend l'ordre des couleurs. Ces découvertes étoient réservées à Newton. Mais, quoique Descartes ne connût pas bien la nature de la lumière, quoiqu'il la crût une matière homogène et globuleuse répandue dans l'espace, et qui, poussée par le soleil, communique en un instant son impression jusqu'à nous; quoique la fameuse observation de Roemer sur les satellites de Jupiter n'eût point encore appris aux hommes que la lumière emploie sept à huit minutes à parcourir les trente millions de lieues du soleil à la terre, Descartes n'en explique pas avec moins de précision, et les propriétés générales de la lumière, et les lois qu'elle suit dans son mouvement, et son action sur l'organe de l'homme. Il représente la vue comme une espèce de toucher, mais un toucher d'une nature extraordinaire et plus parfaite, qui ne s'exerce point par le contact immédiat des corps, mais qui s'étend jusqu'aux extrémités de l'espace, va saisir ce qui est hors de l'empire de tous les autres sens, et unit à l'existence de l'homme l'existence des objets les plus éloignés. C'est par le moyen de la lumière que s'opère ce prodige. Elle est, pour l'homme éclairé, ce que le bâton est pour l'aveugle: par l'un, on voit, pour ainsi dire, avec ses mains; par l'autre, on touche avec ses yeux. Mais, pour que la lumière agisse sur l'oeil, il faut qu'elle traverse des espaces immenses; ces espaces sont semés de corps innombrables, les uns opaques, les autres transparents ou fluides. Descartes suit la lumière dans sa route, et à travers tous ces chocs: il la voit, dans un milieu uniforme, se mouvoir en ligne droite; il la voit se réfléchir sur la surface des corps solides, et toujours sous un angle égal à celui d'incidence; il la voit enfin, lorsqu'elle traverse différents