Jour et nuit des agents entourèrent le château.
Deux semaines s’écoulent sans le moindre incident. M. Bleichen annonce son départ. Ce jour-là une plainte est déposée contre lui. Le commissaire intervient officiellement et ordonne la visite des bagages. Dans un petit sac dont la clé ne quitte jamais le consul, on trouve un flacon de poudre de savon ; dans ce flacon, la bague !
Mme Bleichen s’évanouit. Son mari est mis en état d’arrestation.
On se rappelle le système de défense adopté par l’inculpé. Il ne peut s’expliquer, disait-il, la présence de la bague que par une vengeance de M. de Crozon. « Le comte est brutal et rend sa femme malheureuse. J’ai eu un long entretien avec celle-ci et l’ai vivement engagée au divorce. Mis au courant, le comte s’est vengé en prenant la bague, et, lors de mon départ, en la glissant dans le nécessaire de toilette ». Le comte et la comtesse maintinrent énergiquement leur plainte. Entre l’explication qu’ils donnaient et celle du consul, toutes deux également possibles, également probables, le public n’avait qu’à choisir. Aucun fait nouveau ne fit pencher l’un des plateaux de la balance. Un mois de bavardages, de conjectures et d’investigations n’amena pas un seul élément de certitude.
Ennuyés par tout ce bruit, impuissants à produire la preuve évidente de culpabilité qui eût justifié leur accusation, M. et Mme de Crozon demandèrent qu’on leur envoyât de Paris un agent de la Sûreté capable de débrouiller les fils de l’écheveau. On envoya Ganimard.
Durant quatre jours le vieil inspecteur principal fureta, potina, se promena dans le parc, eut de longues conférences avec la bonne, avec le chauffeur, les jardiniers, les employés des bureaux de poste voisins, visita les appartements qu’occupaient le ménage Bleichen, les cousins d’Andelle et Mme de Réal. Puis, un matin, il disparut sans prendre congé de ses hôtes.
Mais une semaine plus tard, ils recevaient ce télégramme :
« Vous prie venir demain vendredi, cinq heures soir, au Thé japonais, rue Boissy-d’Anglas. Ganimard ».
À cinq heures exactement, ce vendredi, leur automobile s’arrêtait devant le numéro 9 de la rue Boissy-d’Anglas. Sans un mot d’explication, le vieil inspecteur qui les attendait sur le trottoir les conduisit au premier étage du Thé japonais.
Ils trouvèrent dans l’une des salles deux personnes que Ganimard leur présenta :
– M. Gerbois, professeur au lycée de Versailles, à qui, vous vous en souvenez, Arsène Lupin vola un demi-million – M. Léonce d’Hautrec, neveu et légataire universel du Baron d’Hautrec.
Les quatre personnes s’assirent. Quelques minutes après il en vint une cinquième. C’était le chef de la Sûreté.
M. Dudouis paraissait d’assez méchante humeur. Il salua et dit :
– Qu’y a-t-il donc, Ganimard ? On m’a remis, à la Préfecture, votre avis téléphonique. Est-ce sérieux ?
– Très sérieux, chef. Avant une heure, les dernières aventures auxquelles j’ai donné mon concours auront leur dénouement ici. Il m’a semblé que votre présence était indispensable.
– Et la présence également de Dieuzy et de Folenfant, que j’ai aperçus en bas, aux environs de la porte ?
– Oui, chef.
– Et en quoi ? S’agit-il d’une arrestation ? Quelle mise en scène ! Allons, Ganimard, on vous écoute.
Ganimard hésita quelques instants, puis prononça avec l’intention visible de frapper ses auditeurs :
– Tout d’abord j’affirme que M. Bleichen n’est pour rien dans le vol de la bague.
– Oh ! Oh ! fit M. Dudouis, c’est une simple affirmation… et fort grave.
Et le comte demanda :
– Est-ce à cette… découverte que se bornent vos efforts ?
– Non, Monsieur. Le surlendemain du vol, les hasards d’une excursion en automobile ont mené trois de vos invités jusqu’au bourg de Crécy. Tandis que deux de ces personnes allaient visiter le fameux champ de bataille, la troisième se rendait en hâte au bureau de poste et expédiait une petite boîte ficelée, cachetée suivant les règlements, et déclarée pour une valeur de cent francs.
M. de Crozon objecta :
– Il n’y a rien là que de naturel.
– Peut-être vous semblera-t-il moins naturel que cette personne, au lieu de donner son nom véritable, ait fait l’expédition sous le nom de Rousseau, et que le destinataire, un M. Beloux, demeurant à Paris, ait déménagé le soir même du jour où il recevait la boîte, c’est-à-dire la bague.
– Il s’agit peut-être, interrogea le comte, d’un de mes cousins d’Andelle ?
– Il ne s’agit pas de ces messieurs.
– Donc de Mme de Réal ?
– Oui.
La comtesse s’écria, stupéfaite :
– Vous accusez mon amie Mme de Réal ?
– Une simple question, madame, répondit Ganimard. Mme de Réal assistait-elle à la vente du diamant bleu ?
– Oui, mais de son côté. Nous n’étions pas ensemble.
– Vous avait-elle engagée à acheter la bague ?
La comtesse rassembla ses souvenirs.
– Oui… en effet… je crois même que c’est elle qui m’en a parlé la première.
– Je note votre réponse, madame. Il est bien établi que c’est Mme de Réal qui vous a parlé la première de cette bague, et qui vous a engagée à l’acheter.
– Cependant… mon amie est incapable…
– Pardon, pardon, Mme de Réal n’est que votre amie occasionnelle, et non votre amie intime, comme les journaux l’ont imprimé, ce qui a écarté d’elle les soupçons. Vous ne la connaissez que depuis cet hiver. Or, je me fais fort de vous démontrer que tout ce qu’elle vous a raconté sur elle, sur son passé, sur ses relations, est absolument faux, que Mme Blanche de Réal n’existait pas avant de vous avoir rencontrée, et qu’elle n’existe plus à l’heure actuelle.
– Et après ?
– Après ? fit Ganimard.
– Oui, toute cette histoire est très curieuse, mais en quoi s’applique-t-elle à notre cas ? Si tant est que Mme de Réal ait pris la bague, ce qui n’est nullement prouvé, pourquoi l’a-t-elle cachée dans la poudre dentifrice de M. Bleichen ? Que diable ! Quand on se donne la peine de dérober le diamant bleu, on le garde. Qu’avez-vous à répondre à cela ?
– Moi, rien, mais Mme de Réal y répondra.
– Elle existe donc ?
– Elle existe… sans exister. En quelques mots, voici. Il y a trois jours, en lisant le journal que je lis chaque jour, j’ai vu en tête de la liste des étrangers, à Trouville, « Hôtel Beaurivage : Mme de Réal, etc. » Vous comprendrez que le soir même j’étais à Trouville, et que j’interrogeais le directeur de Beaurivage. D’après le signalement et d’après certains indices que je recueillis, cette Mme de Réal était bien la personne que je cherchais, mais elle avait quitté l’hôtel, laissant son adresse à Paris, 3, rue du Colisée. Avant-hier je me suis présenté à cette adresse, et j’appris qu’il n’y avait point de Mme de Réal, mais tout simplement une dame Réal, qui habitait le deuxième étage, qui exerçait le métier de courtière en diamants, et qui s’absentait souvent. La veille encore, elle arrivait de voyage. Hier j’ai sonné à sa porte, et j’ai offert à Mme Réal, sous un faux nom, mes services