– Tiens, qu’est-ce que c’est que cela ? Un paquet ! Et pour qui donc ? Mais c’est pour vous.
– Pour moi ?
– Lisez : « M. Herlock Sholmès, de la part d’Arsène Lupin. »
L’Anglais saisit le paquet, le déficela, enleva les deux feuilles de papier qui l’enveloppaient. C’était une montre.
– Aoh ! dit-il, en accompagnant cette exclamation d’un geste de colère…
– Une montre, fit Devanne, est-ce que par hasard ?…
L’Anglais ne répondit pas.
– Comment ! C’est votre montre ! Arsène Lupin vous renvoie votre montre ! Mais s’il vous la renvoie, c’est qu’il l’avait prise… Il avait pris votre montre ! Ah ! Elle est bonne, celle-là, la montre de Herlock Sholmès subtilisée par Arsène Lupin ! Dieu, que c’est drôle ! Non, vrai… vous m’excuserez… mais c’est plus fort que moi.
Et quand il eut bien ri, il affirma d’un ton convaincu :
– Oh ! C’est un homme, en effet.
L’Anglais ne broncha pas. Jusqu’à Dieppe, il ne prononça pas une parole, les yeux fixés sur l’horizon fuyant. Son silence fut terrible, insondable, plus violent que la rage la plus farouche. Au débarcadère, il dit simplement, sans colère cette fois, mais d’un ton où l’on sentait toute la volonté et toute l’énergie du personnage :
– Oui, c’est un homme, et un homme sur l’épaule duquel j’aurai plaisir à poser cette main que je vous tends, monsieur Devanne. Et j’ai idée, voyez-vous, qu’Arsène Lupin et Herlock Sholmès se rencontreront de nouveau un jour ou l’autre… Oui, le monde est trop petit pour qu’ils ne se rencontrent pas… et ce jour là…
Arsène Lupin contre Herlock Sholmès
Contenu
Premier épisode LA DAME BLONDE
3 Herlock Sholmès ouvre les hostilités
4 Quelques lueurs dans les ténèbres
6 La seconde arrestation d’Arsène Lupin
Deuxième épisode LA LAMPE JUIVE
Premier épisode
LA DAME BLONDE
1
Le numéro 514 – série 23
Le 8 décembre de l’an dernier, M. Gerbois, professeur de mathématiques au lycée de Versailles, dénicha, dans le fouillis d’un marchand de bric-à-brac, un petit secrétaire en acajou qui lui plut par la multiplicité de ses tiroirs.
« Voilà bien ce qu’il me faut pour l’anniversaire de Suzanne, pensa-t-il. »
Et comme il s’ingéniait, dans la mesure de ses modestes ressources, à faire plaisir à sa fille, il débattit le prix et versa la somme de soixante-cinq francs.
Au moment où il donnait son adresse, un jeune homme, de tournure élégante, et qui furetait déjà de droite et de gauche, aperçut le meuble et demanda :
– Combien ?
– Il est vendu, répliqua le marchand.
– Ah !… À Monsieur, peut-être ?
M. Gerbois salua et, d’autant plus heureux d’avoir ce meuble qu’un de ses semblables le convoitait, il se retira.
Mais il n’avait pas fait dix pas dans la rue qu’il fut rejoint par le jeune homme, qui, le chapeau à la main et d’un ton de parfaite courtoisie, lui dit :
– Je vous demande infiniment pardon, Monsieur… Je vais vous poser une question indiscrète… Cherchiez-vous ce secrétaire plus spécialement qu’autre chose ?
– Non. Je cherchais une balance d’occasion pour certaines expériences de physique.
– Par conséquent, vous n’y tenez pas beaucoup ?
– J’y tiens, voilà tout.
– Parce qu’il est ancien, peut-être ?
– Parce qu’il est commode.
– En ce cas vous consentiriez à l’échanger contre un secrétaire aussi commode, mais en meilleur état ?
– Celui-ci est en bon état, et l’échange me paraît inutile.
– Cependant…
M. Gerbois est un homme facilement irritable et de caractère ombrageux. Il répondit sèchement :
– Je vous en prie, Monsieur, n’insistez pas.
L’inconnu se planta devant lui.
– J’ignore le prix que vous l’avez payé, Monsieur… Je vous en offre le double.
– Non.
– Le triple ?
– Oh restons-en là, s’écria le professeur, impatienté, ce qui m’appartient n’est pas à vendre.
Le jeune homme le regarda fixement, d’un air que M. Gerbois ne devait pas oublier, puis, sans mot dire, tourna sur ses talons et s’éloigna.
Une heure après on apportait le meuble dans la maisonnette que le professeur occupait sur la route de Viroflay. Il appela sa fille.
– Voici pour toi, Suzanne, si toutefois il te convient.
Suzanne était une jolie créature, expansive et heureuse. Elle se jeta au cou de son père et l’embrassa avec autant de joie que s’il lui avait offert un cadeau royal.
Le soir même, l’ayant placé dans sa chambre avec l’aide d’Hortense, la bonne,