Elle le contemplait avidement, dominée, soumise par la force de cet homme. Et ses yeux exprimaient une admiration qu’elle ne cherchait point à dissimuler. Il posa les mains sur les épaules de la jeune femme et il dit :
– Voilà mon rêve. Si grand qu’il soit, il sera dépassé par les faits, je vous le jure. Le Kaiser a déjà vu ce que je valais. Un jour, il me trouvera devant lui, campé, face à face. J’ai tous les atouts en main. Valenglay marchera pour moi !… L’Angleterre aussi… la partie est jouée… Voilà mon rêve… Il en est un autre…
Il se tut subitement. Dolorès ne le quittait pas des yeux, et une émotion infinie bouleversait son visage.
Une grande joie le pénétra à sentir une fois de plus, et si nettement, le trouble de cette femme auprès de lui. Il n’avait plus l’impression d’être pour elle ce qu’il était, un voleur, un bandit, mais un homme, un homme qui aimait, et dont l’amour remuait, au fond d’une âme amie, des sentiments inexprimés.
Alors, il ne parla point, mais il lui dit, sans les prononcer, tous les mots de tendresse et d’adoration, et il songeait à la vie qu’ils pourraient mener quelque part, non loin de Veldenz, ignorés et tout-puissants.
Un long silence les unit. Puis, elle se leva et ordonna doucement :
– Allez-vous-en, je vous supplie de partir… Pierre épousera Geneviève, cela je vous le promets, mais il vaut mieux que vous partiez… que vous ne soyez pas là… Allez-vous-en, Pierre épousera Geneviève…
Il attendit un instant. Peut-être eût-il voulu des mots plus précis, mais il n’osait rien demander. Et il se retira, ébloui, grisé, et si heureux d’obéir et de soumettre sa destinée à la sienne !
Sur son chemin vers la porte, il rencontra une chaise basse qu’il dut déplacer. Mais son pied heurta quelque chose. Il baissa la tête. C’était un petit miroir de poche, en ébène, avec un chiffre en or.
Soudain, il tressaillit, et vivement ramassa l’objet.
Le chiffre se composait de deux lettres entrelacées, un L et un M.
Un L et un M !
– Louis de Malreich, dit-il en frissonnant.
Il se retourna vers Dolorès.
– D’où vient ce miroir ? À qui est-ce ? Il serait très important de…
Elle saisit l’objet et l’examina :
– Je ne sais pas, je ne l’ai jamais vu… un domestique peut-être.
– Un domestique, en effet, dit-il, mais c’est très bizarre… il y a là une coïncidence…
Au même moment, Geneviève entra par la porte du salon, et, sans voir Lupin, que cachait un paravent, tout de suite, elle s’écria :
– Tiens ! Votre glace, Dolorès… Vous l’avez donc retrouvée ? Depuis le temps que vous me faites chercher ! Où était-elle ?
Et la jeune fille s’en alla en disant :
– Ah ! Bien, tant mieux ! Ce que vous étiez inquiète ! Je vais avertir immédiatement pour qu’on ne cherche plus…
Lupin n’avait pas remué, confondu et tâchant vainement de comprendre. Pourquoi Dolorès n’avait-elle pas dit la vérité ? Pourquoi ne s’était-elle pas expliquée aussitôt sur ce miroir ?
Une idée l’effleura, et il dit, un peu au hasard :
– Vous connaissiez Louis de Malreich ?
– Oui, fit-elle, en l’observant, comme si elle s’efforçait de deviner les pensées qui l’assiégeaient.
Il se précipita vers elle avec une agitation extrême.
– Vous le connaissiez ? Qui était-ce ? Qui est-ce ? Qui est-ce ? Et pourquoi n’avez-vous rien dit ? Où l’avez-vous connu ? Parlez… Répondez… Je vous en prie…
– Non, dit-elle.
– Il le faut, cependant… il le faut… Songez donc ! Louis de Malreich, l’assassin ! Le monstre ! Pourquoi n’avez-vous rien dit ?
À son tour, elle posa les mains sur les épaules de Lupin, et elle déclara, d’une voix très ferme :
– écoutez, ne m’interrogez jamais parce que je ne parlerai jamais… C’est un secret qui mourra avec moi… Quoi qu’il arrive, personne ne le saura, personne au monde, je le jure…
– 2 –
Durant quelques minutes, il demeura devant elle, anxieux, le cerveau en déroute.
Il se rappelait le silence de Steinweg, et la terreur du vieillard quand il lui avait demandé la révélation du secret terrible. Dolorès savait, elle aussi, et elle se taisait.
Sans un mot, il sortit.
Le grand air, l’espace, lui firent du bien. Il franchit les murs du parc, et longtemps erra à travers la campagne. Et il parlait à haute voix :
– Qu’y a-t-il ? Que se passe-t-il ? Voilà des mois et des mois que, tout en bataillant et en agissant, je fais danser au bout de leurs cordes tous les personnages qui doivent concourir à l’exécution de mes projets ; et, pendant ce temps, j’ai complètement oublié de me pencher sur eux et de regarder ce qui s’agite dans leur cœur et dans leur cerveau. Je ne connais pas Pierre Leduc, je ne connais pas Geneviève, je ne connais pas Dolorès… Et je les ai traités en pantins, alors que ce sont des personnages vivants. Et aujourd’hui, je me heurte à des obstacles…
Il frappa du pied et s’écria :
– À des obstacles qui n’existent pas ! L’état d’âme de Geneviève et de Pierre, je m’en moque… j’étudierai cela plus tard, à Veldenz, quand j’aurai fait leur bonheur. Mais Dolorès… Elle connaît Malreich, et elle n’a rien dit !… Pourquoi ? Quelles relations les unissent ? A-t-elle peur de lui ? A-t-elle peur qu’il ne s’évade et ne vienne se venger d’une indiscrétion ?
À la nuit, il gagna le chalet qu’il s’était réservé au fond du parc, et il y dîna de fort mauvaise humeur, pestant contre Octave qui le servait, ou trop lentement, ou trop vite.
– J’en ai assez, laisse-moi seul… Tu ne fais que des bêtises aujourd’hui… Et ce café ?… il est ignoble.
Il jeta la tasse à moitié pleine et, durant deux heures se promena dans le parc, ressassant les mêmes idées. À la fin, une hypothèse se précisait en lui :
« Malreich s’est échappé de prison, il terrorise Mme Kesselbach, il sait déjà par elle l’incident du miroir… »
Lupin haussa les épaules :
« Et cette nuit, il va venir te tirer par les pieds. Allons, je radote. Le mieux est de me coucher. »
Il rentra dans sa chambre et se mit au lit. Aussitôt, il s’assoupit, d’un lourd sommeil agité de cauchemars. Deux fois il