– Oui, peut-être, dit M. Lenormand, peut-être… Mais j’ai une autre idée…
Ils suivirent l’enceinte des murs. La nuit était claire, et si l’on ne pouvait guère discerner leurs deux silhouettes, ils voyaient suffisamment, eux, pour examiner les pierres des murailles et pour s’assurer qu’aucune brèche, si habile qu’elle fût, n’avait été pratiquée.
– Une échelle, sans doute ? insinua Gourel.
– Non, puisque Gertrude passe en plein jour. Une communication de ce genre ne peut évidemment pas aboutir dehors. Il faut que l’orifice en soit caché par quelque construction déjà existante.
– Il n’y a que les quatre pavillons, objecta Gourel, et ils sont tous habités.
– Pardon, le troisième pavillon, le pavillon Hortense, n’est pas habité.
– Qui vous l’a dit ?
– Le concierge. Par peur du bruit, Mme Kesselbach a loué ce pavillon, lequel est proche du sien. Qui sait si, en agissant ainsi, elle n’a pas subi l’influence de Gertrude ?
Il fit le tour de la maison. Les volets étaient fermés. À tout hasard, il souleva le loquet de la porte : la porte s’ouvrit.
– Ah ! Gourel, je crois que nous y sommes. Entrons. Allume ta lanterne Oh ! Le vestibule, le salon, la salle à manger c’est bien inutile. Il doit y avoir un sous-sol, puisque la cuisine n’est pas à cet étage.
– Par ici, chef, voici l’escalier de service.
Ils descendirent, en effet, dans une cuisine assez vaste et encombrée de chaises de jardin et de guérites en jonc. Une buanderie, servant aussi de cellier, y attenait et présentait le même désordre d’objets entassés les uns pardessus les autres.
– Qu’est-ce qui brille, là, chef ?
Gourel, s’étant baissé, ramassa une épingle de cuivre à tête de perle fausse.
– La perle est toute brillante encore, dit Lenormand, ce qui ne serait point, si elle avait séjourné longtemps dans cette cave. Gertrude a passé ici, Gourel.
Gourel se mit à démolir un amoncellement de fûts vides, de casiers et de vieilles tables boiteuses.
– Tu perds ton temps, Gourel. Si le passage est là, comment aurait-on le loisir, d’abord de déplacer tous ces objets, et ensuite de les replacer derrière soi ? Tiens, voici un volet hors d’usage qui n’a aucune raison sérieuse d’être accroché au mur par ce clou. écarte-le.
Gourel obéit.
Derrière le volet, le mur était creusé. À la clarté de la lanterne, ils virent un souterrain qui s’enfonçait.
– 3 –
– Je ne me trompais pas, dit M. Lenormand, la communication est de date récente. Tu vois, ce sont des travaux faits à la hâte et pour une durée d’ailleurs limitée… Pas de maçonnerie. De place en place deux madriers en croix et une solive qui sert de plafond, et c’est tout. Ça tiendra ce que ça tiendra, mais toujours assez pour le but qu’on poursuit, c’est-à-dire…
– C’est-à-dire quoi, chef ?
– Eh bien, d’abord pour permettre les allées et venues entre Gertrude et ses complices… et puis, un jour, un jour prochain, l’enlèvement ou plutôt la disparition miraculeuse, incompréhensible de Mme Kesselbach.
Ils avançaient avec précaution pour ne pas heurter certaines poutres, dont la solidité ne semblait pas inébranlable. À première vue, la longueur du tunnel était de beaucoup supérieure aux cinquante mètres tout au plus qui séparaient le pavillon de l’enceinte du jardin. Il devait donc aboutir assez loin des murs, et au-delà d’un chemin qui longeait le domaine.
– Nous n’allons pas du côté de Villeneuve et de l’étang, par ici ? demanda Gourel.
– Du tout, juste à l’opposé, affirma M. Lenormand. La galerie descendait en pente douce. Il y eut une marche, puis une autre, et l’on obliqua vers la droite. À ce moment ils se heurtèrent à une porte qui était encastrée dans un rectangle de moellons soigneusement cimentés. M. Lenormand l’ayant poussée, elle s’ouvrit.
– Une seconde, Gourel, dit-il en s’arrêtant… réfléchissons… il vaudrait peut-être mieux rebrousser chemin.
– Et pourquoi ?
– Il faut penser que Ribeira a prévu le péril, et supposer qu’il a pris ses précautions au cas où le souterrain serait démasqué. Or, il sait que nous fouillons le jardin. Il nous a vus sans doute entrer dans ce pavillon. Qui nous assure qu’il n’est pas en train de nous tendre un piège ?
– Nous sommes deux, chef.
– Et ils sont vingt, eux.
Il regarda. Le souterrain remontait, et il marcha vers l’autre porte, distante de cinq à six mètres.
– Allons jusqu’ici, dit-il, nous verrons bien.
Il passa, suivi de Gourel auquel il recommanda de laisser la porte ouverte, et il marcha vers l’autre porte, se promettant bien de ne pas aller plus loin. Mais celle-ci était close, et, bien que la serrure parût fonctionner, il ne parvint pas à ouvrir.
– Le verrou est mis, dit-il. Ne faisons pas de bruit et revenons. D’autant que, dehors, nous établirons, d’après l’orientation de la galerie, la ligne sur laquelle il faudra chercher l’autre issue du souterrain.
Ils revinrent donc sur leurs pas vers la première porte, quand Gourel, qui marchait le premier, eut une exclamation de surprise.
– Tiens, elle est fermée…
– Comment ! Mais je t’avais dit de la laisser ouverte.
– Je l’ai laissée ouverte, chef, mais le battant est retombé tout seul.
– Impossible ! Nous aurions entendu le bruit.
– Alors ?…
– Alors… alors je ne sais pas… Il s’approcha.
– Voyons… il y a une clef… Elle tourne. Mais de l’autre côté il doit y avoir un verrou…
– Qui l’aurait mis ?
– Eux parbleu ! Derrière notre dos. Ils ont peut-être une autre galerie qui longe celle-ci ou bien ils étaient restés dans ce pavillon inhabité… Enfin, quoi, nous sommes pris au piège.
Il s’acharna contre la serrure, introduisit son couteau dans la fente, chercha tous les moyens, puis, en un moment de lassitude, prononça :
– Rien à faire !
– Comment, chef, rien à faire ? En ce cas, nous sommes fichus ?
– Ma foi… dit-il.
Ils retournèrent à l’autre porte, puis revinrent à la première. Elles étaient toutes deux massives, en bois dur, renforcées par des traverses somme toute indestructibles.
– Il faudrait une hache, dit le chef de la Sûreté ou tout au moins un instrument sérieux… un couteau même, avec lequel on essaierait de découper l’emplacement probable du verrou… Et nous n’avons rien.
Il eut un accès de rage subit, et se rua contre l’obstacle, comme s’il espérait l’abolir. Puis, impuissant, vaincu, il dit à Gourel :
– écoute, nous verrons ça dans une heure ou deux… Je suis éreinté, je vais dormir… Veille, pendant ce temps-là… Et si l’on venait nous attaquer…
– Ah ! Si l’on venait, nous serions sauvés, chef… s’écria Gourel en homme qu’eût soulagé la bataille, si inégale qu’elle fût.