Ghislaine. Hector Malot. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Hector Malot
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066089009
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que les déceptions que Soupert lui avait causées eussent été cruelles et mortifiantes, lady Cappadoce avait encore assez confiance en sa probité d'artiste pour le croire en un pareil sujet. D'ailleurs, Nicétas offrait des garanties personnelles, il était premier prix de violon du Conservatoire de Vienne, premier prix également du Conservatoire de Paris. Et quand Soupert affirmait que le meilleur accompagnateur que pût trouver mademoiselle de Chambrais était ce jeune musicien, il semblait qu'on pouvait se fier à cette parole.

      Mais Soupert, ne s'en tenant pas à ces titres sérieux qui recommandaient l'artiste, avait ajouté tout bas et confidentiellement des détails particulier sur l'homme dont lady Cappadoce s'était émue.

      —Je dois vous dire que ce qu'est Nicétas au juste, je n'en sais rien.

      —Mais alors....

      —Évidemment il flotte dans une atmosphère mystérieuse. Quelle est sa nationalité? Je n'ai que des probabilités à ce sujet. Comment se nomme-t-il de vrai? Je l'ignore.

      —Et vous le recommandez!

      —Qu'il soit Russe, Français, Italien, qu'il s'appelle Alexis, Jacques, Emilio, cela ne lui donne ni ne lui retire du talent, et il me semble que c'est le talent seul qui doit vous influencer. En tout cas, c'est lui qui m'a fait m'intéresser à Nicétas. Un jour il vint me trouver à Palaiseau et me demander mes conseils, sinon mes leçons. Nous étions en été, et la poussière couvrait ses chaussures, la sueur ruisselait sur son visage comme s'il avait fait la route à pied. Je le questionnai. Il me répondit qu'en effet il était venu à pied. Huit lieues aller et retour pour me demander un conseil, cela me toucha. Je lui offris de se rafraîchir. Il dévora une miche de pain. Je me mis à sa disposition pour lui donner autant de leçons qu'il voudrait en prendre; ce fut le commencement de nos relations. Elles continuèrent sans que j'apprisse rien, ou à peu près rien sur lui, tant il était réservé et discret: il était remarquablement doué pour la musique; en toutes choses, son éducation avait été poussée beaucoup plus avant que ne l'est ordinairement celle des virtuoses; il parlait plusieurs langues, voilà tout ce que je savais de lui. Il y avait à peu près un an que je le connaissais, lorsque par hasard je lui parlai d'une de mes anciennes élèves que j'aimais beaucoup, qui allait partir pour la Russie et que j'aurais voulu servir dans ce pays. La façon dont je m'exprimais lui montra combien je m'intéressais à elle.—Je puis lui donner des lettres qui lui ouvriront quelques portes, me dit-il.—Vous avez habité la Russie?—Oui. Il me donna ces lettres; l'une était pour une grande duchesse, les autres pour des personnages de la plus haute noblesse. Vous comprenez ma stupéfaction: comment avait-il des relations dans ce monde, et telles qu'il pouvait y présenter quelqu'un? Malgré ma curiosité, je ne lui adressai pas de questions. A quelque temps de là, le hasard me fit monter chez lui, car après l'avoir fait engager aux Concerts populaires, je lui avais trouvé aussi quelques leçons, et il avait maintenant un chez lui, sous les toits. C'était la première fois que j'entrais dans sa chambre, sa pauvre chambre; au mur était accrochée une gravure, un portrait, celui d'un personnage revêtu d'un uniforme étranger chamarré de décorations: un nom avait été gravé au dessous, mais il était effacé; à côté se lisait, de l'écriture de Nicétas, que je connais bien, cette étrange inscription: «Haine éternelle.»

      —Voilà qui est bizarre.

      —Ce qui l'est plus encore, c'est qu'entre le personnage qui représente ce portrait et Nicétas, il y a une ressemblance frappante.

      —Son père, alors.

      —Je ne suis pas naturellement bien curieux, mais j'avoue que cette histoire du portrait, s'ajoutant à celle des lettres, m'intéressa. Je voulus en savoir un peu plus long, et sans forcer les confidences de Nicétas par des questions, lever un coin du voile dans lequel il s'enveloppe.

      —Et vous y êtes arrivé?

      —Non pas avec certitude, mais au moins avec des probabilités. Il serait le fils d'un personnage russe qui l'aurait eu d'une jeune fille de Nice, aimée pendant un séjour que ce personnage aurait fait dans le Midi. Obligé de retourner en Russie, ce personnage maria sa maîtresse à un professeur du Conservatoire de Marseille, et celui-ci, moyennant le paiement d'une grosse somme, reconnut l'enfant. Pendant sept ou huit ans, Nicétas vit auprès du mari de sa mère, mais martyrisé par celui-ci, il écrit à son vrai père qui vient le reprendre, le rachète, l'emmène en Russie et le fait élever dans sa propre famille avec ses autres enfants. Ce serait pendant ce temps qu'il aurait été le camarade de ceux et de celles pour qui il m'a donné des lettres de recommandation. Un jour son père meurt et l'enfant naturel est chassé de la maison paternelle. Jeté sur le pavé, il vient je ne sais comment à Vienne, entre au Conservatoire où il obtient un premier prix, et arrive enfin à Paris où il en obtient un autre.

      Il n'en fallait pas tant pour que l'esprit romanesque de lady Cappadoce s'enflammât; mais c'était presque un personnage de roman, ce jeune musicien; de plus, il avait de la naissance, une naissance illustre, à coup sûr, car sur ce point sa certitude d'Anglaise affolée de supériorité aristocratique allait plus vite et plus loin que les probabilités de Soupert.

      —Amenez-le, cher monsieur Soupert.

      Quand elle l'avait vu arriver au château, amené par Soupert, elle n'avait plus douté de cette naissance illustre.

      Évidemment ce jeune homme de vingt-trois ans, de grande taille, large d'épaules, à la tête énergique et bizarre, aux longs cheveux noirs qui lui retombaient sur le cou et sur le front en boucles frisées, était quelqu'un.

      Peut-être y avait-il de l'affectation dans le désordre voulu de cette chevelure tortillée en serpents; peut-être les yeux ardents qui brillaient, à travers ces mèches ramenées en avant, au lieu d'être rejetées en arrière, cherchaient-ils à donner à leur regard une expression peu naturelle, toujours en quête d'un effet quelconque; mais qu'importait, cela n'empêchait pas qu'il fût étrangement original,—comme il convenait à un homme de son sang.

      Un Romanof—elle était sûre que c'en était un—maître de musique de la princesse de Chambrais; au-dessus de lui une Cappadoce, c'était bien.

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