Cyrano de Bergerac. Edmond Rostand. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Edmond Rostand
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 4064066089450
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Tous ces noms dont pas un ne mourra, que c'est beau !

      PREMIER MARQUIS:

       Attention ! nos précieuses prennent place:

       Barthénoïde, Urimédonte, Cassandace,

       Félixérie. . .

      DEUXIÈME MARQUIS (se pâmant): Ah ! Dieu ! leurs surnoms sont exquis ! Marquis, tu les sais tous ?

      PREMIER MARQUIS:

       Je les sais tous, marquis !

      LIGNIÈRE (prenant Christian à part): Mon cher, je suis entré pour vous rendre service: La dame ne vient pas. Je retourne à mon vice !

      CHRISTIAN (suppliant): Non !. . .Vous, qui chansonnez et la ville et la cour, Restez: vous me direz pour qui je meurs d'amour.

      LE CHEF DES VIOLONS (frappant sur son pupitre, avec son archet): Messieurs les violons !. . . (Il lève son archet.)

      LA DISTRIBUTRICE:

       Macarons, citronnée. . .

       (Les violons commencent à jouer.)

      CHRISTIAN:

       J'ai peur qu'elle ne soit coquette et raffinée,

       Je n'ose lui parler car je n'ai pas d'esprit.

       Le langage aujourd'hui qu'on parle et qu'on écrit,

       Me trouble. Je ne suis qu'un bon soldat timide.

       —Elle est toujours à droite, au fond: la loge vide.

      LIGNIÈRE (faisant mine de sortir): Je pars.

      CHRISTIAN (le retenant encore): Oh ! non, restez !

      LIGNIÈRE:

       Je ne peux. D'Assoucy

       M'attend au cabaret. On meurt de soif, ici.

      LA DISTRIBUTRICE (passant devant lui avec un plateau): Orangeade ?

      LIGNIÈRE:

       Fi !

      LA DISTRIBUTRICE:

       Lait ?

      LIGNIÈRE:

       Pouah !

      LA DISTRIBUTRICE:

       Rivesalte ?

      LIGNIÈRE:

       Halte !

       (A Christian): Je reste encore un peu.—Voyons ce rivesalte ? (Il s'assied près du buffet. La distributrice lui verse du rivesalte.)

      CRIS (dans le public à l'entrée d'un petit homme grassouillet et réjoui): Ah ! Ragueneau !. . .

      LIGNIÈRE (à Christian): Le grand rôtisseur Ragueneau.

      RAGUENEAU (costume de pâtissier endimanché, s'avançant vivement vers Lignière): Monsieur, avez-vous vu monsieur de Cyrano ?

      LIGNIÈRE (présentant Ragueneau à Christian): Le pâtissier des comédiens et des poètes !

      RAGUENEAU (se confondant): Trop d'honneur. . .

      LIGNIÈRE:

       Taisez-vous, Mécène que vous êtes !

      RAGUENEAU:

       Oui, ces messieurs chez moi se servent. . .

      LIGNIÈRE:

       A crédit.

       Poète de talent lui-même. . .

      RAGUENEAU:

       Ils me l'ont dit.

      LIGNIÈRE:

       Fou de vers !

      RAGUENEAU:

       Il est vrai que pour une odelette. . .

      LIGNIÈRE:

       Vous donnez une tarte. . .

      RAGUENEAU:

       Oh ! une tartelette !

      LIGNIÈRE:

       Brave homme, il s'en excuse ! Et pour un triolet

       Ne donnâtes-vous pas ?. . .

      RAGUENEAU:

       Des petits pains !

      LIGNIÈRE (sévèrement): Au lait. —Et le théâtre, vous l'aimez ?

      RAGUENEAU:

       Je l'idolâtre.

      LIGNIÈRE:

       Vous payez en gâteaux vos billets de théâtre !

       Votre place, aujourd'hui, là, voyons, entre nous,

       Vous a coûté combien ?

      RAGUENEAU:

       Quatre flans. Quinze choux.

       (Il regarde de tous côtés): Monsieur de Cyrano n'est pas là ? Je m'étonne.

      LIGNIÈRE:

       Pourquoi ?

      RAGUENEAU:

       Montfleury joue !

      LIGNIÈRE:

       En effet, cette tonne

       Va nous jouer ce soir le rôle de Phédon.

       Qu'importe à Cyrano ?

      RAGUENEAU:

       Mais vous ignorez donc ?

       Il fit à Montfleury, messieurs, qu'il prit en haine,

       Défense, pour un mois, de reparaître en scène.

      LIGNIÈRE (qui en est à son quatrième petit verre): Eh bien ?

      RAGUENEAU:

       Montfleury joue !

      CUIGY (qui s'est rapproché de son groupe): Il n'y peut rien.

      RAGUENEAU:

       Oh ! oh !

       Moi, je suis venu voir !

      PREMIER MARQUIS:

       Quel est ce Cyrano ?

      CUIGY:

       C'est un garcon versé dan les colichemardes.

      DEUXIÈME MARQUIS:

       Noble ?

      CUIGY:

       Suffisamment. Il est cadet aux gardes.

       (Montrant un gentilhomme qui va et vient dans la salle comme s'il cherchait quelqu'un): Mais son ami Le Bret peut vous dire. . . (Il appelle): Le Bret ! (Le Bret descend vers eux): Vous cherchez Bergerac ?

      LE BRET:

       Oui, je suis inquiet !. . .

      CUIGY:

       N'est-ce pas que cet homme est des moins ordinaires ?

      LE BRET (avec tendresse): Ah, c'est le plus exquis des êtres sublunaires !

      RAGUENEAU:

       Rimeur !

      CUIGY:

       Bretteur !

      BRISSAILLE:

       Physicien !

      LE BRET:

       Musicien !

      LIGNIÈRE:

       Et quel aspect hétéroclite que le sien !

      RAGENEAU:

       Certes, je ne crois pas que jamais nous le peigne

       Le solennel monsieur Philippe de Champaigne;

       Mais bizarre, excessif, extravagant, falot,

       Il eût fourni, je pense, à feu Jacques