– Le siège est plein de sang.
– Oh. C’est bon. Je m’en fous. »
La gardienne pose sa main sur mon biceps, l’autre sur ma hanche et j’essaie, sans succès, de réprimer un gémissement de douleur tandis qu’elle m’aide à me mettre sur le côté. Elle est bien plus petite que moi, ses bras et ses épaules sont plus minces, elle est plus fragile et féminine.
Nial s’approche immédiatement, ses larges mains me soulèvent sans toucher mes blessures afin qu’elle puisse voir où j’ai été blessée.
Je suis grognon et je saigne, mais je suis pas une garce. La réaction bizarre—cette excitation subite—que j’ai eue en voiture, s’est estompée, mais me revient au contact de ses mains. La simple sensation de ses paumes me donne chaud. Je savoure sa force, étrange et troublante à la fois, puisque je ne compte en général que sur moi-même. Je n’ai besoin ni de l’aide ni de la force de personne. J’ai toujours été forte.
« Merci, » dit la gardienne en faisait rouler une desserte auprès d’elle. Elle se tourne vers Nial, qui me maintient toujours tandis qu’elle désinfecte et bande mes plaies. Je n’ai pas envie de voir ce qu’elle me fait.
« Ça va faire mal. » Ses mots sont le seul et unique avertissement, je sens un long objet en métal pointu s’enfoncer dans ma chair. Comme des pinces à épiler ?
« Dépêchez-vous. » Je grimace et empoigne le bord de la table. J’ai besoin d’agripper quelque chose, de saisir du concret tandis qu’elle farfouille dans ma chair.
Une large main chaude enveloppe et serre mes paumes tremblantes. C’est Nial. Je me retiens comme une désespérée alors qu’elle farfouille, comme si elle essayait de couper un steak, et non pas d’enlever un éclat.
« Vous n’auriez pas de quoi anesthésier ? De la Lidocaïne ou— » Elle creuse en profondeur et je respire entre mes dents serrées. « —whisky ?
– Impossible. Désolée. » Sa voix est calme et sincère tandis qu’elle poursuit son œuvre. « Ces médocs risquent d’interférer avec la baguette ReGen. »
J’ignore ce qu’est une baguette ReGen, et à vrai dire, je m’en fiche. Mais je commence à compter lentement dans ma tête jusqu’à cent. Ce n’est pas la première fois que je suis sur le billard, et ce n’est pas la blessure la plus moche que j’ai récoltée. Ça fait un mal de chien mais c’est supportable. Mes cicatrices prouvent que je suis déjà passée par là. Je ne me sens jamais à l’aise nue devant un homme avec toutes ces cicatrices et imperfections …
J’ouvre les yeux, je suis curieuse de voir la réaction de Nial face aux blessures de mon dos et ma cuisse. Comme prévu, son regard passe d’une blessure à l’autre. Je m’attendais à y lire de la curiosité ou du dégoût. Pas de la colère.
« Qui t’a infligé ces blessures, partenaire ? » Il croise mon regard et serre les mâchoires. Les veines de ses tempes et de son cou saillent d’émotion. « Dis-le que je le tue. »
Je ris et pousse un cri lorsque la gardienne, qui vient de me retirer un premier bout de métal dans l’épaule, fouille vigoureusement dans ma cuisse.
« Tu veux tuer la Terre entière on dirait, rétorquais-je les dents serrées.
– Je tuerai la civilisation entière pour te protéger. »
Ok. Il est un peu trop à fond à mon goût. « Pas besoin de tuer qui que ce soit. C’était un EEI en Irak. »
Il touche une cicatrice longue de trois doigts sur ma cuisse et je frissonne. « C’est quoi une EEI, partenaire ? Je ne comprends pas. Pourquoi t’ont-ils attaquée ? »
Je retiens mon souffle tandis que la gardienne retire le deuxième éclat de ma jambe et replace la pince sur la desserte. Le souffle court mais soulagée que l’épisode des fouilles à caractère médical soit enfin terminé, je réponds dans un souffle. « C’est un Engin Explosif Improvisé. C’est— j’indique la marque sur ma cuisse, —un clou de dix centimètres.
– Où l’attaque a-t-elle eu lieu ? »
Je hausse les épaules. « C’est la guerre, Nial, ça explose de partout. Les gens meurent. » Comme le simple soldat qui était à côté de moi quand on a sauté sur cette mine il y a trois ans. C’est lui qui a été le plus touché, il est mort dans mes bras.
« Les femmes ne font pas la guerre. »
Je lève les yeux au ciel. « Sur Terre oui.
– Alors il est temps qu’on t’arrache à cette planète. Vos hommes sont des idiots. »
Que répondre à ça ?
La gardienne s’est éloignée, elle revient avec une petite baguette qui ressemble à la télécommande de ma télévision, dotée d’un embout lumineux bleuté. Elle la passe sur la blessure de ma cuisse et je soupire, on dirait que la lumière pénètre à l’intérieur de mon corps, ça chauffe, ça fait du bien, c’est parfait. Je ne ressens plus aucune douleur, je regarde ma peau, complètement cicatrisée, bien qu’encore maculée de sang.
« Oh, mon Dieu. C’est ahurissant. »
Elle sourit et la déplace sur mon épaule, le soulagement est quasi instantané. « Vous me pardonnez de ne pas vous avoir anesthésiée ?
– Oui. » Je pousse un grognement, la douleur a disparu. Je baisse la tête et pousse un profond soupir. Mon Dieu ça fait du bien.
Je devrais lâcher la main de Nial mais je ne suis pas prête. Pas encore. J’ai envie de rester comme ça encore une minute sans penser au cartel, à Clyde, ou à ces trucs de la Ruche qui me pourchassaient. J’ai envie de me sentir bien, la main chaude et solide à la fois de Nial me fait du bien. Je ne ressens plus aucune douleur et il me… rassure.
Mais je ne suis jamais contente, je n’ai plus besoin de me soucier d’être tuée ou pas, je dois passer à la vitesse supérieure. J’ai à faire. Mon répit était de courte durée.
Je dois envoyer les dernières photos à mes contacts de la police et aux médias. Je dois terminer ce que j’ai commencé. La mort de Clyde ne tardera pas à être découverte. Je veux m’assurer que la fièvre médiatique serve à quelque chose.
« J’ai besoin de mon appareil. » J’essaie de m’asseoir mais suis prise de vertige et serre la main de Nial, il m’empêche de tomber de la table.
« L’étrange boîte noire que tu avais autour du cou ? Demande Nial.
– Oui. » J ’essaie de m’asseoir de nouveau mais une large main me tient la nuque. Je lève les mains pour que Nial ôte ses mains chaudes de ma peau sensible mais il ne bouge pas et j’atterris contre lui.
Contrariée, je regarde son visage totalement impassible. La force et l’assurance qui se lisent sur son visage me donne le frisson, je suis obligée de lui demander la permission de me lever. « Je l’ai laissé dans la voiture. Je dois le récupérer. C’est important. »
Il me regarde d’un air chaleureux. Peut-être parce que je ne lutte plus et me colle à lui. « Ander te l’apportera quand il arrivera. »
Ander. Le second, quel qu’il soit. Je l’avais oublié.
« Quand ? » Je secoue la tête et repousse la main de Nial. « J’en ai besoin maintenant. On pourrait le voler. Je dois vraiment le récupérer.
– Tu ne sortiras pas d’ici, partenaire. Tu dois te reposer en vue du transfert.
– Quoi ? Quel transfert ? Non. Non. Non. Je n’irai nulle part. »
Il étrécit les yeux. « Tu es ma partenaire. Tu iras où je te dirai d’aller. »
Je réprime un rire et ça fait un sale bruit. C’est ma blessure, ma déception