Une collation attentive de ce nouveau manuscrit avec le texte contenu dans le manuscrit de Rome nous a permis de rétablir un passage assez étendu se référant aux événements de l'année 1438; pour faire juger de l'importance de cette restitution, il suffira de dire que le passage en question comprend six folios du volume du fonds français. Bien que le manuscrit 3480 soit à certains égards plus complet que celui du Vatican, il nous fournit cependant un texte beaucoup moins correct, par suite de l'inintelligence des scribes qui ont dénaturé le sens de nombreux passages, nous disons des scribes, parce que l'on remarque deux écritures distinctes, l'une qui va du folio 264 au folio 351 inclus, l'autre du folio 352 à 464.
§ 2.—Manuscrit de Rome.
Le volume catalogué sous le no 1923 du fonds de la reine de Suède est un petit in-folio sur papier, revêtu d'une reliure rouge assez commune, il comprend 187 folios et non 250 comme l'a imprimé M. Paul Lacroix dans sa notice [6]. Les onze premiers folios du manuscrit contiennent une assez longue pièce de vers en deux parties intitulées: la Bataille du Liège et les Sentences du Liège. Cette insipide poésie, relative à la prise d'armes des Liégeois contre leur évêque en 1408, n'est guère qu'une fastidieuse énumération des seigneurs bourguignons envoyés par Jean Sans-Peur pour réprimer cette rébellion; elle commence ainsi: A l'onneur de toute noblesse et en exaussant gentillesse.
La pièce en question sert pour ainsi dire de prologue au Journal et paraît n'avoir été mise en tête du volume que pour accompagner le récit tronqué par lequel débute l'extrait de Godefroy. Ce fragment de Journal, qui se trouve au folio 12 de notre manuscrit, se rapporte à la fin de l'année 1408 et au commencement de l'année 1409; il a précisément trait à la révolte des Liégeois contre leur évêque, en septembre 1408, et à l'entrée solennelle de Charles VI à Paris, le 17 mars suivant. C'est seulement au folio 13 que commence le Journal parisien proprement dit, tel que nous le lisons dans La Barre et tel que l'ont reproduit tous les éditeurs subséquents. A partir de là le Journal se continue sans interruption dans l'ordre chronologique et finit bien à l'année 1449, par le passage qu'avait déjà indiqué M. Paul Lacroix.
L'écriture du manuscrit de Rome est sans conteste du XVe siècle, néanmoins nous ne saurions considérer ce texte comme l'original de la Chronique parisienne si intéressante pour l'histoire des règnes de Charles VI et Charles VII. Voici l'ensemble des déductions sur lesquelles repose notre opinion. En premier lieu, la présence de ces poésies qui n'ont qu'un rapport bien indirect avec le Journal parisien, ensuite une interversion dans la suite des événements qui font l'objet du Journal. Comme nous l'avons déjà remarqué, la Bataille et les Sentences du Liège sont suivies d'un fragment incomplet du commencement, se rattachant aux faits des années 1408 et 1409 mentionnés plus haut, ce fragment se termine par un lambeau de journal relatif à un orage épouvantable survenu à Paris le 30 juin 1411. Telle est la matière d'un folio, le douzième du manuscrit; au folio suivant, nous tombons sur un passage que tous les éditeurs sans exception ont rapporté à l'année 1408, tandis qu'en réalité les événements racontés par le chroniqueur appartiennent à l'année 1405. L'auteur du Journal parisien relate, entre autres faits, l'arrivée de l'évêque de Liège à Paris; or ce voyage, au dire de chroniqueurs bien informés [7], eut lieu au mois de septembre 1405 et nullement en septembre 1408, époque à laquelle le prélat aux prises avec une situation extrêmement critique ne pouvait songer à un aussi lointain voyage.
Il n'est point possible d'admettre, pour le manuscrit original d'une œuvre historique, une semblable confusion dans le récit des événements. On nous objectera peut-être que ce défaut de suite peut provenir de lacunes causées par des mutilations dont le manuscrit aurait eu à souffrir; mais ce n'est pas le cas en ce qui concerne ces folios 12 et 13, aucune trace de lacération n'est visible. A ce point de vue spécial, le manuscrit de Rome a été de notre part l'objet d'un examen attentif; comme les éditeurs s'accordaient à signaler des feuillets déchirés et que généralement ces lacunes coïncident avec des fins de pages, nous avons vérifié avec le plus grand soin les endroits incomplets et nous avons pu constater qu'aucun feuillet n'avait été arraché. Ce qui a levé tous nos doutes à cet égard, c'est que l'une des lacunes, relative à la publication de la paix faite à Paris le 1er avril 1412, existe dans le manuscrit en haut du folio 22 vo, et ne peut par conséquent provenir que d'un exemplaire du journal déjà incomplet, dont notre volume ne serait que la reproduction. Une nouvelle particularité viendrait non seulement à l'appui de cette thèse, mais tendrait encore à faire admettre un original aujourd'hui perdu. La main d'un annotateur du xvie siècle signale entre les folios 60 et 61 l'absence de trois feuillets, et cependant l'œil le plus exercé ne peut apercevoir la moindre trace de lacération; il faudrait donc supposer, ou que ce chiffre est donné au hasard et d'une façon purement approximative, ou que l'auteur de la note avait connaissance d'un manuscrit plus complet. La lacune dont il s'agit est d'autant plus regrettable qu'elle porte sur un passage contenant le récit de la mort de Jean Sans-Peur; peut-être ce passage a-t-il été supprimé dans le texte primitif, en raison des attaques violentes à l'adresse des Armagnacs, dont l'auteur du Journal, bourguignon passionné, avait dû entremêler sa narration.
Un dernier argument à faire valoir en faveur de l'existence d'un manuscrit original se tire du fait suivant que personne n'a relevé jusqu'ici.
Le chroniqueur parisien raconte, à la date du 6 juin 1429, la naissance d'un enfant phénoménal à Aubervilliers, et joint à la description de ce monstrueux produit un dessin qu'il mentionne à deux reprises en ces termes: Ainsi comme cette figure est, comme vous voyez. Le manuscrit de Rome ne contient à cet endroit aucun genre d'illustration; le copiste, ne se sentant probablement aucun goût artistique, s'est contenté de ménager dans la marge la place nécessaire pour l'exécution du croquis, place qui est restée en blanc [8].
Dans ses ingénieuses conjectures sur l'auteur du Journal parisien, M. Longnon a montré tout l'attrait que ce précieux document avait pour les érudits dès la seconde moitié du XVIe siècle; on voit à ce moment ce vieux livre, lu et relu, passer de main en main [9]. La couche épaisse de crasse qui recouvre les bords du manuscrit de Rome témoigne en effet d'un fréquent usage. De nombreuses annotations remplissent les marges de ce volume; elles sont dues à deux mains différentes. L'une des écritures, assez grosse et assez nettement tracée, offre beaucoup d'analogie avec les premières pages d'un manuscrit du fonds français (no 24,726) intitulé: Veilles et observations sur la lecture de plusieurs autheurs françois par Claude Fauchet. Aussi nous n'hésitons pas à lui attribuer la paternité de ces notes, et surtout de la remarque suivante, si souvent reproduite, qui se trouve au folio 181 vo dans la marge de droite: «Il semble que l'autheur ait esté homme d'église ou docteur en quelque faculté, pour le moins de robe longue.»
Elle est certainement du président Fauchet et permet d'établir avec certitude la provenance du Journal, qui des mains de Fauchet passa en celles de Petau pour entrer ensuite dans la bibliothèque de la reine Christine.
Une autre écriture, avons-nous dit, se remarque encore sur les marges, celle-ci est beaucoup plus ténue et présente tous les déliés des écritures courantes du XVIe siècle. Elle doit être en effet de la seconde moitié de ce siècle, et postérieure en tous cas à l'année 1567, car l'une des observations du commentateur, consignée en marge du manuscrit, à propos d'un vent violent qui s'éleva à Paris le 7 octobre 1434, porte ce qui suit:
Vent pareil à celuy qui fut l'an 1567, le lundi, mardi