– Merci, David, dit Yonatan. (Il détailla les hommes présents dans la salle.) Messieurs, j’aimerais commencer cette réunion. Donc s’il vous plaît, prenez place et captivez-moi avec votre sagacité.
Il parcourut la pièce du regard. Efraim Shavitz était là, toujours juvénile, faisant beaucoup plus jeune que son âge. On le surnommait le Mannequin. Il était le directeur du Mossad. Il portait un onéreux costume sur mesure et des chaussures italiennes en cuir noir reluisantes. On aurait dit qu’il se rendait dans une boîte de nuit à Tel-Aviv, et non qu’il supervisait actuellement la destruction de son propre peuple. Dans une pièce remplie de militaires vieillissants et de penseurs mal fagotés, Shavitz le dandy avait l’air d’un genre d’oiseau exotique.
Yonatan secoua la tête. Shavitz était l’un des hommes de son prédécesseur. Yonatan l’avait gardé parce qu’il lui avait été recommandé, et qu’il semblait savoir ce qu’il faisait. Jusqu’à aujourd’hui.
– Efraim, votre évaluation, s’il vous plaît.
– Bien sûr, acquiesça Shavitz.
Il sortit une télécommande de la poche de sa veste et se tourna vers le vaste écran au bout de la table de conférence. Aussitôt apparut une vidéo d’un lancement de missile depuis une plateforme mobile vert olive.
– Les Fateh-200 sont arrivés au Liban. Nous avons soupçonné que ça pourrait être le cas…
– Quand l’avez-vous soupçonné ? le coupa Yonatan.
Shavitz se tourna vers lui.
– Pardon ?
– Quand avez-vous soupçonné que le Hezbollah avait reçu le système d’arme Fateh-200 ? Quand ? Je n’ai jamais lu le moindre rapport, et personne ne m’a averti qu’un tel rapport pourrait m’être transmis. La première fois que j’en ai entendu parler, ça a été quand des missiles à longue portée hautement explosifs ont commencé à abattre des immeubles résidentiels à Tel-Aviv.
S’installa un silence prolongé. Tous les hommes dans la salle fixaient qui Yonatan Stern, qui Efraim Shavitz, qui la table devant eux.
– Quoi qu’il en soit, ils les ont, marmonna Shavitz.
– En effet, acquiesça Yonatan. Maintenant, à propos de l’Iran… qu’est-ce qu’ils ont ?
Shavitz pointa Yonatan du doigt.
– Ne confondez pas l’acquisition par le Hezbollah d’armes conventionnelles puissantes avec la menace nucléaire iranienne, Yonatan. Ne faites pas cela. Nous vous avons dit que les Iraniens travaillaient sur des missiles nucléaires. Nous connaissons les endroits suspects. Nous connaissons les personnes impliquées. Nous avons une idée du nombre d’ogives. Vous êtes avertis de ces dangers depuis des années. Nous avons perdu beaucoup d’hommes de valeur pour obtenir ces informations. Que vous n’ayez rien fait n’est pas ma faute, ni celle du Mossad.
– Il y a des considérations politiques, remarqua Yonatan.
Shavitz secoua la tête.
– Ce n’est pas mon domaine. Nous pensons à présent que les Iraniens peuvent posséder jusqu’à quatorze ogives, situées en trois endroits, et probablement enterrées assez profond. Ils peuvent n’en avoir aucun. Ça peut être un mensonge. Mais pas plus de quatorze.
– Et s’ils les ont, ces quatorze ogives ?
Shavitz haussa les épaules. Une mèche de cheveux glissa sur son front, ce qui était très inhabituel chez lui. Il aurait mieux fait de se donner un coup de peigne avant d’aller en boîte.
– Et s’ils réussissent à les lancer ?
– Oui, acquiesça Yonatan.
– Nous serions anéantis. Aussi simple que ça.
– Quelles sont nos options ?
– On n’en a guère, expliqua Shavitz. Tout le monde ici les connaît déjà. Tout le monde ici connaît bien nos propres capacités en missiles nucléaires et conventionnels, et en forces aériennes. Nous pouvons lancer une attaque préventive massive tous azimuts, contre tous les sites de missiles iraniens et syriens connus, et contre toutes les bases de l’armée de l’air iranienne. Si nous agissons avec un engagement total, et avec toutes nos forces en parfait accord, nous pouvons détruire complètement les capacités militaires iraniennes et syriennes, et renvoyer la société civile iranienne à l’âge de pierre. Ceux dans cette salle qui ont des considérations politiques n’ont pas besoin que je leur dise quelle serait la réaction mondiale.
– Et une frappe moins importante ?
Shavitz secoua de nouveau la tête.
– Pour quoi faire ? Toute frappe qui laisse l’Iran avec des capacités en missiles, avec des chasseurs ou des bombardiers en vol, ou qui laisse ne serait-ce qu’un seul missile nucléaire opérationnel, serait pour nous un désastre. Pendant que certains d’entre nous dorment, monsieur le Premier ministre, ou récompensent leurs amis par des contrats gouvernementaux, les Iraniens travaillent comme des fourmis à construire un arsenal de missiles conventionnels d’une fiabilité incroyable, tout ça à notre intention.
« Le Fajr-3, avec son guidage de précision et ses multiples véhicules de rentrée, est presque impossible à abattre. Le programme Shahab-3 comprend assez de missiles, assez de puissance de feu, et la portée nécessaire pour bombarder chaque centimètre carré d’Israël. Les systèmes Ghadr-110, Ashoura, Sejjil et Bina peuvent tous nous atteindre, des milliers de projectiles et d’ogives individuels. Et, bien que ça ne paraisse guère urgent pour l’instant, ils travaillent toujours sur le missile lancé par le satellite Simorgh, qui est en cours d’essai et que nous pouvons estimer opérationnel d’ici un an. Une fois ce système en place…
Shavitz soupira. Le reste de la salle demeurait silencieux.
– Et notre système d’abris ? relança Yonatan.
Shavitz hocha la tête.
– Si on suppose que les Iraniens bluffent et ne possèdent aucune arme nucléaire, on peut affirmer en toute confiance que s’ils lancent une attaque majeure contre nous, un certain pourcentage de notre population gagnerait les abris à temps, que certains de ces abris tiendraient le coup, et que par la suite, une poignée de survivants en sortirait en vie. Mais ne croyez pas une seconde qu’ils reconstruiraient. Ils seraient traumatisés, démunis de tout, errant à travers un paysage lunaire et dévasté. Que ferait le Hezbollah alors ? Ou les Turcs ? Ou les Syriens ? Ou les Arabes ? Se précipiter pour apporter de l’aide et du réconfort aux derniers vestiges de la société israélienne ? Je ne le crois vraiment pas.
Yonatan prit une grande respiration.
– Y a-t-il d’autres options ?
– Juste une. Une idée lancée par les Américains. Envoyer en Iran un petit commando pour découvrir si les armes nucléaires sont réelles, et pour déterminer leurs positions. Puis les forces américaines viendraient frapper avec précision ces positions, peut-être avec notre participation, ou peut-être pas. Si les Américains lancent une attaque précise et limitée et ne détruisent que les armes nucléaires, les Iraniens peuvent hésiter à riposter.
C’était une idée que Yonatan détestait. Il la détestait à cause de toutes ces pertes inutiles – la perte d’agents précieux et hautement qualifiés – déjà subies lors de précédentes infiltrations en Iran. Il détestait cette idée parce qu’il serait obligé d’attendre pendant que les agents disparaîtraient, ignorant s’ils pourraient refaire surface et s’ils sauraient quoi que ce soit à ce moment-là. Yonatan n’aimait pas devoir attendre – pas quand l’horloge tournait et que les Iraniens pouvaient lancer leur attaque massive à tout moment.
Il