Colin relança le film et se pencha pour la rejoindre, tous les deux se tenaient au-dessus de la boîte pour manger, une main traînant sous chaque part pour attraper les miettes égarées.
Le film était loin d’être aussi original et captivant que Lex l’avait espéré, mais il avait le mérite de lui servir de distraction. Elle regarda la jeune héroïne en levant les yeux au ciel. Comment la fille faisait-elle pour ne pas se rendre compte de la magie qui l’entourait ? Les personnages de ce genre d’histoires étaient tellement naïfs. Ils ne comprenaient rien par eux-mêmes, et ils se retrouvaient toujours dans des situations dangereuses.
Lex se dit qu’une adaptation de roman n’était, en fin de compte, peut-être pas le meilleur des choix. Après tout, elle ne pouvait s’empêcher de réfléchir à la trame et à la structure, ce qui revenait, pour elle, à travailler. Non pas que ce soit encore son travail. Qu’allait-elle faire maintenant ? Ce qu’elle avait dit à Bryce était vrai : il n’y avait généralement pas de poste disponible pour des éditeurs qui travaillaient sur des genres très spécialisés.
– Tu sais, dit Colin en finissant la dernière bouchée de sa part, elle ne ressemble même pas à ça en vrai.
Lex reporta son attention sur l’écran où l’on pouvait voir la Terre depuis l’espace. Elle fronça les sourcils, ne comprenant pas ce qu’elle avait raté. Comment ça ?
– La planète. Elle n’est pas comme ça. En fait, elle est plate.
Lex le fixa, sa troisième part de pizza oubliée.
– Non, elle ne l’est pas.
– Si.
Colin se décala pour lui faire face, signifiant qu’il allait commencer à lui expliquer quelque chose qui était pour lui essentiel. Il avait sans doute attendu d’avoir une bonne excuse pour lui en parler.
– J’ai fait des recherches. C’est un gigantesque complot. On raconte à tout le monde que la Terre est ronde et on a toutes ces images truquées qui sont censées venir de l’espace. Ce n’est pas vrai. C’est prouvé scientifiquement. La Terre est forcément plate.
– Colin, dit calmement Lex, à peine capable de croire qu’elle avait cette conversation. Écoute-moi. Les Platistes sont des idiots. C’est complètement faux.
– Regarde vers l’horizon, dit Colin en gesticulant des bras. On devrait voir une courbe si la Terre était ronde, non ? Même une toute petite ? Mais il n’y en a pas. C’est toujours bien droit. Ils ont fait des expériences et il s’avère que si tu mesures une ligne droite d’un bout à l’autre de la Terre elle ne se courbe pas. C’est complètement plat.
– Non, ça…
Lex inspira profondément, essayant de ne pas s’énerver. Ce n’était pas le bon jour pour jouer avec sa patience.
– Colin, tu ne peux pas voir la courbe de la Terre à l’œil nu parce que la Terre est immense. Il y a des gens qui ont mesuré cette courbe et elle existe bel et bien. Tu ne peux pas t’informer uniquement sur les forums de Platistes. Fais de vraies recherches, beaucoup de gens ont réfuté cette théorie de tellement de façons différentes. Je vais même te montrer, regarde, je vais te montrer sur mon téléphone. Voilà, des photos de la NASA prise depuis la Station Spatiale Internationale. Tu vois ?
– Oh, Lexie. Ils t’ont eu toi aussi, dit Colin en lui prenant la main avec compassion. C’est ce qu’ils veulent nous faire croire, tu sais ? Tout ça parce qu’il y a des matériaux très précieux autour des bords de la Terre. Juste avant le vide intersidéral, il y a des mines où les gouvernements du monde fabriquent leur argent. Ils ne veulent pas qu’on le sache pour mieux contrôler les richesses et nous mener à la baguette. Toutes les photos sont truquées, personne n’a jamais été dans l’espace. Je vais te montrer des sites. Tu dois regarder la vérité en face.
Lex retira précipitamment sa main de celle de Colin et laissa tomber la part qu’elle mangeait dans la boîte.
– Tu sais quoi, Colin, dit-elle.
Elle avait eu une longue journée, même une série de longues journées pour autant qu’il sache et maintenant il essayait de lui « mec-spliquer » un sujet sur lequel elle était beaucoup mieux informée que lui.
– Tout mon travail porte, enfin portait sur les sciences et l’histoire. Et tu penses vraiment que je ne serai pas au courant, si la Terre était plate ?
Colin fronça les sourcils.
– Je pense juste que tu mérites de connaître la vérité, au lieu de rester dans l’ignorance comme le reste du troupeau. Tu ne m’as pas cru non plus quand je t’ai parlé des faux alunissages, ou de la race d’hommes-lézards qui dirige la planète et nous contrôlent, ni même des Illuminatis et de leurs messages secrets ! Tu es tellement étroite d’esprit ! Je ne suis pas sûr de pouvoir rester dans une relation avec quelqu’un qui refuse de voir la vérité.
Lex secoua la tête, incrédule. Les mots de Colin avaient sûrement pour but de résonner comme une menace, une menace qui la ferait en temps normal se défiler et essayer de le calmer. Mais pour quoi faire ? Pour qu’il recommence la semaine prochaine, et encore celle d’après ?
– Je ne supporte plus d’être entourée de gens irrationnels, dit-elle, plus pour elle-même que pour Colin qui ne l’écoutait pas de toute façon. Je ne peux pas. C’est simple. Ça suffit.
Elle se leva du canapé, attrapa son sac près de la porte en passant. Une rage sourde commença à l’envahir, alimentée par sa colère d’avoir perdu son travail, par la suffisance de Karen, par le manque de sensibilité de Colin et par tout le reste. Cette rage la poussait maintenant vers l’avant avec une énergie décuplée.
– Lexie, bébé, où vas-tu ? demanda-t-il.
Il n’avait l’air ni inquiet, ni bouleversé, mais simplement condescendant. Comme s’il ne croyait pas qu’elle puisse vraiment partir. Derrière lui le film continuait de défiler, totalement oublié. Elle savait qu’il ne l’avait pas écouté, pas vraiment.
– Je rentre chez moi, répondit Lex par-dessus son épaule. Je ne reviendrai pas. C’est fini Colin. N’essaie pas de m’appeler.
Elle sortit de l’appartement et claqua la porte derrière elle pour marquer le coup, descendant le couloir, puis les escaliers en ne ressentant rien d’autre que du soulagement. Même si elle savait au fond d’elle qu’elle avait fait le bon choix, il restait tout de même une question qui la taraudait : maintenant qu’elle avait réussi l’exploit de perdre à la fois sa carrière et sa relation en l’espace d’une journée, qu’est-ce qui pourrait encore lui arriver ?
CHAPITRE TROIS
Lex se précipitait vers son père, tout excitée. Il la souleva pour l’emmener vers l’arrière de la boutique. Derrière l’imposant comptoir en bois, vernis de rouge foncé, il y avait une porte qui menait au monde extérieur où une palette remplie de carton les attendait.
– Attention, dit son père.
Il la protégea de ses mains en la posant avant de faire apparaître un couteau de poche. Avec des gestes précis, il coupa le scotch qui retenait chaque carton, l’un après l’autre, puis il en attrapa un pour le poser par terre à la hauteur de Lex.
Elle plongea dedans avec enthousiasme, sortant un exemplaire flambant neuf d’un livre portant la photo d’une Reine en tenue de Tudors qui posait entourée d’épines.
– Où va celui-là, ma puce ? demanda son père en lui mettant la main sur l’épaule.
– Fictions Historique, annonça Lex, les mains déjà dans la boîte pour sortir les deux autres exemplaires du même roman.
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