Deux. Impair. Federico Montuschi. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Federico Montuschi
Издательство: Tektime S.r.l.s.
Серия:
Жанр произведения: Полицейские детективы
Год издания: 0
isbn: 9788893986472
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      — Dépêche-toi, je dois faire une petite sieste matinale, sinon comment je fais pour guérir, moi ? »

      Il lui sembla qu'il pouvait voir un demi-sourire apparaître sur les lèvres du Slave.

      « Mmm... On dirait que oui, ils prélèvent encore la redevance du modem. Six cent quatre-vingt-dix colons, chef.

      — Comment ça ? Tu n’avais pas résilié le contrat le mois dernier ? Déjà que c’est une période de vache maigre, si en plus on dépense de l’argent pour des choses qui ne nous servent à rien, où va-t-on ? Au diable la Telefonica !

      — Oui, oui, chef, j’avais résilié, j’avais résilié, calmez-vous. Je les appellerai un peu plus tard, je vais régler ça, vous verrez. Et puis, chef, à mon avis, il va falloir prouver qu’on n’a pas utilisé Internet en 2015...

      — Facile à dire, c’est pas toi qui paies ! », grogna Castillo, interrompant brusquement le Slave, qui ne sembla pas en tenir compte.

      Il connaissait l’inspecteur et son caractère affable depuis presque un an et demi : plus précisément, par une douce matinée de janvier, quelques semaines après être arrivé à Burgos et s’être installé dans l’auberge Hermosa , ayant jeté un coup d'œil furtif à l’intérieur du bureau de Castillo et le trouvant particulièrement en désordre, il proposa à l’inspecteur de l’aider dans ses tâches administratives.

      Il ne savait rien faire d’autre, le Slave, mais il avait envie de recommencer sa vie dans cette nouvelle réalité, même si cela impliquait de repartir tout en bas de l’échelle.

      Castillo avait accepté, précisant qu’il n’aurait pas un salaire fixe, étant donné les restrictions économiques auxquelles il faisait face ; le Slave avait accepté sans broncher : il faut dire qu’il était arrivé d’Italie avec une somme importante en liquide, gage de sa vie précédente, qui selon une estimation grossière lui aurait suffi pour vivre une cinquantaine d’années au Costa Rica.

      Le Slave reprit tranquillement la conversation téléphonique interrompue par l’intervention bourrue de l’inspecteur.

       « Inspecteur, je voulais aussi vous dire que ce matin un homme est passé, il vous cherchait. Il disait qu’il aimerait vous rencontrer.

      — Et c’était qui ?

      — Je ne sais pas. Il est resté à l’extérieur, il portait une écharpe qui lui couvrait la bouche et des lunettes sombres. Il me semble qu’il portait un béret sur la tête, ou quelque chose de ce genre. Ça s’est joué vraiment à quelques secondes, j’ai à peine eu le temps de lui dire que vous aviez de la fièvre qu’il a tourné les talons et a disparu, après m’avoir dévisagé de la tête aux pieds. Il ne m’a pas mis très à l’aise, pour être honnête.

      — Bah, si jamais il revient, dis-lui qu’il peut m’appeler à la maison, sans problème. Tu vas voir que finalement quelqu’un aura besoin de nous pour résoudre un cas sérieux, au lieu des sornettes habituelles. Et maintenant raccroche et fonce aux bureaux de la Telefonica , éclaircie-moi cette histoire de modem et fais-toi rembourser la somme facturée, ok ?

      — Oui, chef, ok, pas de problème, je m’en occupe. Bonne journée, à demain ! »

      Mais le Slave savait que l’appel ne pouvait pas se terminer ainsi.

      Effectivement, Castillo ne lui laissa pas le temps de raccrocher.

      « Où crois-tu aller comme ça, canaille ? »

      Le Slave souffla, non sans avoir éloigné le combiné de sa bouche. La voix de l’inspecteur arriva, précise :

       Relax, said the night man,

       We are programmed to receive! You can check out any time you like... but you can never leave!

      « Facile, chef... Hotel California , Eagles.

      — Année ?

      — 1976.

      — Bravo, mon gars. Tu es toujours bien préparé, ça me fait plaisir.

      — Oui. Merci chef. À demain, et surtout, rétablissez-vous vite. »

      Clic.

      Clic.

      Castillo aimait défier le Slave sur le rock.

      Pour lui, c’était une marque d’affection (ils partageaient la même passion) ; de plus, cela lui permettait de se sentir encore jeune, bien que cette illusion fût anéantie chaque jour par son reflet dans le miroir, au moment le plus impitoyable de la journée : au petit matin, barbe naissante et yeux pochés.

      Le Slave se prenait au jeu, parfois amusé, parfois résigné.

      Après tout, l’inspecteur était pour lui le premier point de repère important, sur cette terre étrangère.

      Castillo raccrocha et, fatigué comme s’il avait couru le marathon de San José, s’abandonna à un profond sommeil réparateur, pelotonné dans le matelas moelleux et enveloppé dans la couverture jusqu’au menton, comme lorsqu’il était petit.

      ***

      Le Slave avait atterri à l’aéroport Juan Santamarià de San José, au Costa Rica, un soir de décembre 2013.

      Il avait à peine plus de trente ans et venait de Milan, où il avait laissé derrière lui un homicide, une maladie mentale guérie au moyen de soins couteux et une identité trop saugrenue pour être honnête, tout cela grâce à un nouveau passeport qui était faux et, surtout, un portefeuille plein à craquer.

      Il voyageait avec une valise remplie d’argent provenant d’un trafic d’armes ayant vu le jour en Croatie, quelques mois plus tôt, auquel il avait participé par hasard, mais qui lui avait rapporté un joli magot en cash, le tout bien caché dans le double fond du bagage embarqué sur le vol international Milan - San José.

      Il savait qu’il prenait des risques, à la douane, avec cette quantité d’argent cachée, mais il comptait bien - non sans frissonner - passer entre les mailles des contrôles aléatoires effectués par la police costaricienne sur les bagages en arrivée.

      Par chance, sa valise n’avait pas été inspectée et, après avoir passé le contrôle d’identité, il avait poussé un soupir de soulagement, réalisant à ce moment précis que la fuite de son passé douteux s’était véritablement concrétisée.

      Dehors, il tombait une pluie fine mais constante, qui toucha en premier lieu son âme avant de pénétrer ses os.

      En sortant de l’aéroport, il avait sauté dans le premier taxi disponible et, dans un espagnol assez approximatif, mais toutefois convenable, il avait demandé au chauffeur de le conduire dans le quartier italien.

      Le chauffeur, un homme petit et suant, un mégot de cigarette suspendu aux lèvres, l’avait regardé d’un air étrange.

      Ce jeune homme blond, grand, musclé, portant une chemise à carreaux et des Ray-Ban posées sur le front, malgré l’obscurité qui enveloppait déjà les petites routes mal éclairées de la zone environnant l’aéroport, lui rappelait le personnage d’un jeu vidéo qui l’avait marqué des années plus tôt, à l’époque du lycée.

      Duke Nukem, s’il se rappelait bien.

      Le jeune homme voyageait avec un seul bagage et n’arrêtait pas de regarder autour de lui avec des yeux de furet, qui se déplaçaient de gauche à droite avec une incroyable rapidité, alors que sa tête restait immobile.

      « Il n’y a pas de quartier italien à San José, monsieur », avait déclaré le chauffeur, sans se tourner.

      Depuis le siège arrière, aucun commentaire ne lui était parvenu.

      Incertain sur la conduite à suivre, le chauffeur observait la réaction du jeune homme dans le miroir du rétroviseur.