— Comme vous, vous l’êtes, Altfor, dit le roi Carris. Je vous en remercie. Et vous aussi, Dame Moira. Maintenant, gardes… emmenez ce garçon et mettez-lui les chaînes. Je veux apprendre tout ce qu’il sait.
— Je ne vous dirai rien, protesta Garet.
— Oh si, tu le feras, promit le roi Carris. Une fois que les tisons sont appliqués sur la chair, les langues se délient assez rapidement.
Les gardes intervinrent pour attraper Garet. Ils l’emmenèrent, malgré sa résistance, et Geneviève fut submergée de tristesse à devoir le regarder ainsi. Cela lui fut plus douloureux encore de voir la façon dont Altfor s’était déplacé vers Moira, mettant un bras autour d’elle comme si Geneviève n’était pas là. Altfor fixa Geneviève, et sourit cruellement, sachant clairement quel effet son comportement avait sur elle.
Geneviève lutta pour ne montrer aucune réaction, malgré la façon dont son sang bouillait. Elle quitta la salle, mais à la même allure que les autres nobles prenant également congé, en s’assurant de ne pas courir, de ne pas bousculer tous ceux qui la précédaient pour gagner l’extérieur du château.
Quand elle y arriva, cependant, elle prit de grandes inspirations, essayant de ne pas crier en réaction à tout ce qui venait de se passer. Les horreurs que les prêtres avaient infligées avaient été horribles, mais voir Garet ainsi malmené, avait été bien pire.
Geneviève comprenait sa présence ici, pourquoi elle avait choisi de rester avec la cour du roi alors qu’elle aurait pu fuir avec sa sœur à Fallsport. Elle avait espéré pouvoir se rendre utile ici pour changer les choses, et à présent elle avait trouvé une tâche qui allait bien au-delà de l’espionnage.
Elle pouvait sauver Garet, elle devait le faire. Si elle pouvait l’atteindre, elle pourrait essayer de trouver un moyen de le faire sortir du donjon. Si elle pouvait sauver le frère de Royce, alors peut-être, peut-être seulement, cela suffirait à compenser tout le reste.
Et si elle pouvait trouver un moyen de tuer Moira dans le même temps, alors cette action approcherait de la perfection.
CHAPITRE QUATRE
— Il n’y a rien par ici, Royce, insista Mark.
Mais Royce secoua la tête. Il ne pouvait pas expliquer tout ce qu’il avait vu sans risquer de le changer, mais il savait que la direction était bonne. Il posa la main sur le sac contenant le miroir, se sentant rassuré par son contact.
— On va dans la bonne direction, lui assura Royce.
— Explique-nous un peu comment tu peux en être si sûr, demanda Mark.
— Je… ne peux pas, hésita Royce. S’il te plaît, tu dois me faire confiance. Il lança un regard suppliant à Matilde et Neave. Je sais que c’est dur, mais je sais ce que je fais.
— Ce serait plus rassurant s’il y avait au moins une terre à l’horizon, dit Matilde, en faisant un geste pour présenter l’étendue de la mer qui les entourait. Je ne veux pas dériver jusqu’à ce que nous mourions tous de faim, Royce.
Gwylim aboya ce qui aurait pu être son accord sur ce point.
— On pourra toujours te manger si la faim se fait trop sentir, ajouta Neave.
Royce mit un moment à réaliser que sa proposition n’était qu’une plaisanterie. Elle se tourna vers Royce.
— Si tu dis que nous sommes sur la bonne route… tu dois avoir raison.
Royce lui en fut reconnaissant, surtout qu’il était bien conscient que la jeune Picti aurait pu énumérer tous les moments où il s’était gravement trompé. Royce les avait déjà conduits sur une fausse piste, trouvant le miroir mais pas son père. Et si c’était encore le cas ? Et si le miroir ne lui avait pas montré la vérité ?
Ce sentiment le rongeait pendant qu’ils continuaient à naviguer ; Royce savait combien de gens s’étaient égarés en en voyant trop, en prenant les possibilités pour des certitudes. Barihash avait détruit toute une ville à cause de cela. Royce pourrait tout aussi bien mener ses amis à la mort.
Cette possibilité lui donna envie de rebrousser chemin. Il voulait que les autres soient en sécurité, qu’ils fassent ce qu’il fallait pour eux et pour le royaume, mais les choses qu’il avait vues le poussaient à avancer. Si ce n’était le vaste champ de possibilités et de nuances qu’il avait vu dans le miroir, il pouvait toujours s’en tenir à la ligne principale, se souvenir du chemin qu’il devrait emprunter. Il regarda à travers les yeux d’Ember, le faucon planant autour du bateau, et au loin, il crut distinguer une minuscule tache verte.
— Là, dit-il. Il y a une île là-bas !
Les autres semblèrent se réjouir de cette nouvelle, Mark corrigea un peu le cap du bateau, Matilde et Neave attendant avec impatience que le vent fasse avancer leur bateau. Gwylim s’approcha de l’avant du bateau, la créature semblable à un loup se tenant là, pareille à une figure de proue. Bientôt, il leur fut possible de voir l’île au loin, même sans l’aide d’Ember.
Elle était petite par rapport aux Sept Îles qu’ils avaient laissées derrière eux, mais elle semblait luxuriante et couverte d’arbres, la faisant ressembler à un joyau vert sortant de la mer. C’était assez plat, l’intérieur de l’île disparaissant au milieu des arbres, il était impossible d’en voir beaucoup plus depuis le bateau. Au fur et à mesure qu’ils s’approchaient, Royce pouvait apercevoir des plages de sable doré, bordant la lisière de la forêt comme le blanc autour d’un œil couleur émeraude.
— Espérons ne pas croiser de sorcière en chaleur ou de lézards armés cette fois-ci, remarqua Matilde.
Neave haussa les épaules.
— Si je me souviens bien, Lethe semblait à ton goût.
— Ce n’est pas le moment de se disputer, dit Royce. Mais tu as raison, restons sur nos gardes.
Il envoya Ember sur la plage, utilisant le faucon comme éclaireur, voulant s’assurer qu’il ne conduisait pas ses amis dans un autre endroit dangereux. Il aurait pu regarder dans le miroir, mais c’était une option beaucoup plus dangereuse ; il avait besoin de voir ce qui était, et non ce qui pourrait être. À travers ses yeux, il vit que les arbres formaient une sorte d’anneau entourant une immense clairière qui composait le cœur de l’île.
Il y aperçut tout un troupeau de cerfs blancs en train de paître, et il semblait qu’un cerf observait Ember passer, ses bois majestueux suivant le vol de l’oiseau qui passait. À présent, Royce savait sans l’ombre d’un doute qu’il était à l’endroit promis par le miroir. Cela signifiait aussi qu’il savait ce qu’il devait faire ensuite.
— Nous sommes au bon endroit, dit-il. Je dois y aller seul.
— Seul ? s’inquiéta Mark, l’incrédulité dans sa voix était évidente. Après que nous ayons fait tout ce chemin ensemble, tu veux y aller seul ?
— Il le faut, insista Royce. Je…
Une fois de plus, il sentit que le fil incertain du destin menaçait de changer. S’il l’expliquait, il ne savait pas comment, mais cela chamboulerait tout ce qu’il avait vu.
— … je ne peux pas en expliquer les raisons, mais je dois me rendre sur cette île sans vous.
— Tu sais de quoi ça a l’air ? demanda Matilde.
— Ça a l’air absurde, je sais, en convint Royce.
— Non, Royce, répondit-elle. On dirait que tu ne nous fais pas confiance.
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