Elle regarda la petite Michelle qui dormait et prit un moment avant de répondre. « Kate Wise, » dit-elle, en essayant d’adopter un ton neutre.
« Wise, c’est Duran. C’est un bon moment pour parler ? »
« Ce n’est pas le meilleur moment, mais ça va. » répondit-elle. « Est-ce que tout va bien ? »
« Ça dépend. Je vous appelle pour savoir si vous seriez intéressée de vous occuper d’une affaire. »
« Est-ce que c’est une de ces affaires classées dont on avait parlé ? »
« Non. Cette fois-ci… eh bien, ça ressemble beaucoup à une affaire que vous aviez réussi à élucider assez rapidement en 1996. À ce stade, on a quatre victimes à deux endroits différents à Whip Springs, en Virginie. Les meurtres semblent avoir été commis à deux jours d’intervalle. Pour l’instant, c’est la police d’état de Virginie qui s’en occupe mais je leur ai parlé. Et si vous voulez vous occuper de l’enquête, vous avez le feu vert. Mais il faudrait que vous y alliez tout de suite. »
« Je ne vais pas pouvoir y aller tout de suite, » dit-elle. « J’ai un engagement que je dois tenir. » En regardant Michelle, c’était facile à dire. Mais presque chaque muscle de son corps luttait contre son tout nouvel instinct de mamy.
« Je vais déjà vous faire part des détails de l’affaire. Les victimes sont des couples mariés, un dans la cinquantaine et l’autre dans la soixantaine. Les victimes les plus récentes sont celles de la cinquantaine. Leur fille a découvert leurs corps quand elle rentrée de l’université aujourd’hui. Les meurtres ont été commis à environ une cinquantaine de kilomètres l’un de l’autre, un à Whip Springs et l’autre en périphérie de Roanoke. »
« Des couples ? Un quelconque lien entre eux, à part le fait qu’ils soient mariés ? »
« On n’en a pas encore trouvé. Mais les quatre victimes ont été sévèrement charcutées. L’assassin utilise un couteau. Et il fait ça de manière lente et méthodique. Je pense que tout indique qu’il va y avoir un autre couple de victimes dans les deux prochains jours. »
« Oui, on dirait bien qu’on a affaire à un tueur en série, » dit Kate.
Elle repensa à cette affaire de 1996 que Duran avait mentionnée. Une femme à moitié folle et qui avait travaillé en tant que nounou avait ôté la vie de trois couples en seulement deux jours. Il s’était avéré qu’elle avait travaillé pour les trois couples sur une période de dix ans. Kate avait arrêté la femme alors qu’elle était en route pour assassiner un quatrième couple et, selon ses dires, mettre fin à ses propres jours.
Est-ce qu’elle allait vraiment refuser cette opportunité ? Après le flashback intense qu’elle avait eu aujourd’hui, est-ce qu’elle allait laisser passer cette occasion d’arrêter un assassin ?
« J’ai combien de temps pour vous donner une réponse ? » demanda-t-elle.
« Je vous laisse une heure. Pas plus. J’ai besoin que quelqu’un s’occupe de cette affaire tout de suite. Et j’ai pensé à vous et à DeMarco. Une heure, Wise… et plus tôt, c’est encore mieux. »
Avant qu’elle ne puisse répondre par un OK ou un merci, Duran raccrocha. Il était généralement chaleureux et amical, mais il pouvait aussi être très irritable s’il n’obtenait pas ce qu’il voulait.
Aussi silencieusement que possible, elle entra dans la chambre et s’assit sur le bord du lit. Elle regarda Michelle dormir et le mouvement de sa poitrine qui se soulevait lentement et méthodiquement sous l’effet de sa respiration. Elle se rappelait clairement quand Mélissa était aussi petite. Le temps était passé à une vitesse folle. Et c’était de là que venait son problème : elle avait l’impression d’avoir raté tellement de choses en tant que mère et épouse à cause de son boulot, mais elle avait néanmoins toujours ressenti ce sens du devoir. Surtout quand elle savait qu’elle pouvait être sur le terrain et faire sa part pour arrêter un assassin.
Quelle genre de personne cela ferait d’elle si elle refusait cette proposition et que Duran finissait par choisir un autre agent qui n’avait peut-être pas la même expérience qu’elle ?
Mais quel genre de grand-mère et de mère serait-elle si elle finissait par appeler Mélissa pour lui dire de rentrer plus tôt et de venir chercher sa fille parce que le FBI faisait de nouveau appel à elle ?
Kate regarda Michelle pendant quelques minutes et se coucha même à côté d’elle, en plaçant sa main sur sa poitrine de bébé pour sentir sa respiration. Et en voyant cette petite étincelle de vie, une vie qui ne savait encore rien des atrocités qui pouvaient exister dans ce monde, il lui fut beaucoup plus facile de prendre sa décision.
En fronçant les sourcils, Kate prit son téléphone et appela Mélissa.
***
Un jour, quand Mélissa avait seize ans, elle avait fait entrer un garçon en douce dans sa chambre tard le soir, quand Kate et Michael étaient déjà endormis. Kate avait été réveillée par un bruit (qu’elle avait compris plus tard être le genou de quelqu’un cognant sur le mur de la chambre de Mélissa) et elle était montée pour aller voir ce qui se passait. Quand elle avait ouvert la porte de la chambre de sa fille et qu’elle l’avait trouvée seins nus avec un garçon dans son lit, elle l’avait jeté en bas du lit et lui avait hurlé de sortir.
La colère qu’elle avait vue ce soir-là dans les yeux de Mélissa fut éclipsée par le regard que sa fille lui jeta au moment où elle attacha Michelle dans le siège bébé à 21h30 – environ une heure après que Duran l’eut appelée concernant l’affaire à Roanoke.
« C’est vraiment n’importe quoi, maman, » dit-elle.
« Lissa, je suis vraiment désolée. Mais qu’est-ce que j’étais supposée faire ? »
« Eh bien, d’après ce que j’ai compris, normalement, les gens restent à la retraite une fois qu’ils l’ont prise. Tu pourrais peut-être commencer par-là ! »
« Ce n’est pas aussi facile que ça, » dit Kate.
« Oh, je sais, maman, » dit Mélissa. « Ça n’a jamais été facile pour toi. »
« Ce n’est pas juste… »
« Et ne pense pas que je sois fâchée parce que tu as écourté la seule soirée un peu relax que je pouvais avoir. Ce n’est même pas pour ça. Je ne suis pas aussi égoïste. Contrairement à d’autres. Je suis fâchée parce que ton boulot – que tu es sensée avoir quitté depuis plus d’un an – continue à passer avant ta famille. Même après tout ce qui… même après papa… »
« Lissa, évitons de parler de ça. »
Mélissa prit le siège bébé avec une douceur surprenante, comparé à la dureté de son ton et la manière dont son corps était crispé.
« Je suis d’accord, » dit Mélissa. « N’en parlons pas. »
Et sur ces mots, elle sortit en claquant la porte derrière elle.
Kate tendit la main vers la poignée de la porte mais se ravisa. Qu’est-ce qu’elle allait faire ? Continuer de se disputer sur le pas de la porte ? De plus, elle connaissait bien Mélissa. Dans quelques jours, elle se serait calmée et elle écouterait probablement ce que Kate avait à lui dire. Peut-être même qu’elle accepterait ses excuses.
Kate se sentit vraiment mal quand elle prit son téléphone pour appeler Duran. Il l’informa qu’il avait de toute façon compté sur sa présence sur l’affaire. Il avait déjà arrangé pour qu’un officier de la police d’état de Virginie les retrouve, elle et DeMarco, à 4h30 du matin à Whip Springs. Quant à DeMarco, elle avait quitté Washington une demi-heure