“Je suppose qu'il va déposer cette serviette quelque part puis recommencer toute la procédure”, dit Jessie.
“Restez ici”, lui dit le vigile, qui parla alors dans sa radio. “Je vais avoir besoin de renforts dans le vestibule dès que possible.”
Il approcha de l'homme en costume, qui le vit du coin de l’œil et accéléra. Le vigile en fit autant. L'homme en costume se mit à courir et il sortait juste par la porte de devant quand il se heurta à un autre vigile qui courait dans la direction opposée. Ils tombèrent tous les deux sur le sol.
Le vigile auquel Jessie avait parlé se saisit de l'homme en costume, le souleva, lui tira le bras derrière le dos et le claqua contre le mur de l'hôtel.
“Puis-je regarder dans votre sac, monsieur ?” demanda-t-il.
Jessie voulait voir la suite mais, quand elle jeta un coup d’œil rapide à sa montre, elle vit que son rendez-vous avec le Dr Lemmon, qui était prévu pour 11 heures, était pour dans cinq minutes. Elle allait devoir renoncer à se promener et prendre un taxi pour arriver à l'heure. Elle n'aurait même pas le temps de dire au revoir au vigile. Elle craignait que, si elle le faisait, il n'insiste pour qu'elle reste faire sa déclaration à la police.
Elle arriva juste à temps et, à bout de souffle, venait juste de s'asseoir dans la salle d'attente quand le Dr Lemmon ouvrit la porte de son bureau pour l'inviter à entrer.
“Êtes-vous venue de Westport Beach en courant ?” demanda le docteur en gloussant.
“En fait, oui, en quelque sorte.”
“Eh bien, entrez et mettez-vous à l'aise”, dit le Dr Lemmon en refermant la porte derrière elle et en leur versant à toutes les deux un verre d'un pichet rempli d'eau, de tranches de citron et de concombre. Elle avait encore l'affreuse permanente dont Jessie se souvenait, avec de petites boucles blondes serrées qui rebondissaient quand elles lui touchaient les épaules. Elle portait des lunettes épaisses qui donnaient l'impression que ses yeux perçants de chouette étaient plus petits qu'ils ne l'étaient vraiment. C'était une petite femme qui ne mesurait guère plus d'un mètre cinquante mais qui était visiblement maigre et nerveuse, probablement à cause du yoga qu'elle faisait trois fois par semaine comme elle l'avait dit à Jessie. Pour une femme qui avait aux alentours de soixante-cinq ans, elle avait l'air en grande forme.
Jessie s'assit dans le fauteuil confortable qu'elle utilisait toujours pour ses séances et reprit immédiatement ses habitudes. Cela faisait longtemps qu'elle n'était pas venue ici, facilement plus d'une an, et elle avait espéré ne jamais revenir. Cela dit, cette pièce était un lieu de confort, où elle s'était efforcée de faire la paix avec son passé et avait parfois réussi.
Le Dr Lemmon lui tendit son verre d'eau, s'assit en face d'elle, prit un bloc-notes et un stylo et les posa sur ses jambes. C'était sa façon de montrer que la séance avait officiellement commencé.
“De quoi allons-nous parler aujourd'hui, Jessie ?” demanda-t-elle chaleureusement.
“Autant commencer par les bonnes nouvelles. Je fais mon stage à DSH-Metro, à l'unité de la DNR.”
“Eh bien, c'est impressionnant. Qui est votre conseiller académique ?”
“Warren Hosta de UC-Irvine”, dit Jessie. “Le connaissez-vous ?”
“On s'est croisés”, dit le docteur de façon énigmatique. “Je crois que vous êtes entre de bonnes mains. Il est irritable mais il s'y connaît et c'est ce qui compte.”
“Je suis contente de vous l'entendre dire parce que je n'ai guère eu le choix”, précisa Jessie. “C'est le seul que le Comité accepte dans cette zone.”
“J'imagine que, pour obtenir ce que vous voulez, il faut que vous suiviez un peu leurs ordres. C'est ce que vous vouliez, n'est-ce pas ?”
“Effectivement”, dit Jessie.
Le Dr Lemmon la regarda de près. Un moment de compréhension muette passa entre elles. A l'époque où Jessie avait été interrogée sur sa thèse par les autorités, le Dr Lemmon était arrivé au poste de police, complètement à l'improviste. Jessie se souvenait qu'elle avait vu sa psychiatre parler à voix basse à plusieurs personnes qui avaient silencieusement observé son interrogatoire. Après cela, les questions avaient eu l'air moins accusatoires et plus respectueuses.
Ce n'était que plus tard que Jessie avait appris que le Dr Lemmon était membre du Comité et qu'elle était tout à fait au courant de ce qui se passait à la DNR. Elle en avait même soigné quelques patients. Quand on y repensait, ce n'aurait pas dû être une surprise. Après tout, si Jessie avait cherché à avoir cette femme comme thérapeute, c'était précisément parce qu'elle avait la réputation d'être experte dans ce domaine.
“Puis-je vous demander quelque chose, Jessie ?” dit le Dr Lemmon. “Vous dites que travailler à la DNR est ce que vous voulez faire mais avez-vous pensé que cet endroit pourrait ne pas vous fournir les réponses que vous cherchez ?”
“Je veux juste mieux comprendre comment ces gens pensent”, insista Jessie, “de façon à être meilleure profileuse.”
“Je crois que nous savons toutes les deux que vous cherchez beaucoup plus que ça.”
Jessie ne répondit pas mais plia les mains sur les genoux et inspira profondément. Elle savait comment le docteur allait interpréter ce geste mais ne s'en souciait guère.
“Nous pourrons y revenir plus tard”, dit doucement le Dr Lemmon. “Passons à autre chose. Comment trouvez-vous la vie d'épouse ?”
“C'est surtout pour cela que je voulais vous voir aujourd'hui”, dit Jessie, heureuse de changer de sujet. “Comme vous le savez, Kyle et moi, nous venons de déménager d'ici à Westport Beach parce que son entreprise l'a réassigné à son bureau du comté d'Orange. Nous avons une grande maison dans un très beau quartier assez proche du port pour qu’on puisse y aller à pied …”
“Mais …?” suggéra le Dr Lemmon.
“Je trouve que l'endroit a l'air un peu bizarre. J'ai du mal à comprendre ce que c'est. Tout le monde a été incroyablement sympathique jusqu'à présent. J'ai été invitée à prendre le café, à déjeuner, à des barbecues, on m'a indiqué quelles étaient les meilleures épiceries et la meilleure crèche pour le jour où nous finirons par avoir besoin d'une crèche. Pourtant, quelque chose me paraît … aller de travers et ça commence à me peser.”
“De quelle façon ?” demanda le Dr Lemmon.
“Je me rends compte que je me sens triste sans raison”, dit Jessie. “Kyle est rentré trop tard pour un dîner que j'avais préparé et j'ai accepté que ça me démoralise beaucoup plus que je ne l'aurais dû. Ce n'était pas un drame mais il le prenait avec trop de nonchalance. Ça m'a agacée. De plus, rien que le fait de déballer des caisses me paraît intimidant alors que ce n'est pas une tâche si difficile. J'ai cette sensation constante et écrasante que je n'ai pas ma place là-bas, qu'il y a une clé qui ouvre la porte d'une pièce secrète où tous les autres sont allés mais que personne ne veut me la donner.”
“Jessie, comme notre dernière séance remonte à longtemps, je vais vous rappeler une chose dont nous avons déjà discuté. Ces sensations n'ont pas besoin d'avoir de ‘bonne raison’ pour vous envahir. Ce que vous affrontez là peut sortir de nulle part. De plus, il n'est pas choquant qu'une nouvelle situation stressante, indépendamment de sa perfection apparente, puisse les réveiller. Prenez-vous régulièrement vos médicaments ?”
“Tous les jours.”
“OK”, dit le docteur en écrivant quelque chose sur son bloc-notes. “Il est possible que vous soyez obligée d'en prendre plus. J'ai aussi remarqué que vous aviez précisé que la crèche