Les Faux-monnayeurs / Фальшивомонетчики. Книга для чтения на французском языке. Андре Жид. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Андре Жид
Издательство: КАРО
Серия: Littérature contemporaine
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 1925
isbn: 978-5-9925-1387-5
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avec des rubans… Non, non… d’abord des gens tout gris, sans sexe ni âge, pour balayer l’allée, arroser l’herbe, changer les fleurs, enfin préparer la scène et le décor avant l’ouverture des grilles, tu comprends? Alors, l’entrée des nourrices. Des mioches font des pâtés de sable, se chamaillent; les bonnes les giflent. Ensuite il y a la sortie des petites classes – et puis les ouvrières. Il y a des pauvres qui viennent manger sur un banc. Plus tard des jeunes gens qui se cherchent; d’autres qui se fuient; d’autres qui s’isolent, des rêveurs. Et puis la foule, au moment de la musique et de la sortie des magasins. Des étudiants, comme à présent. Le soir, des amants qui s’embrassent; d’autres qui se quittent en pleurant. Enfin, à la tombée du jour, un vieux couple… Et, tout à coup, un roulement de tambour: on ferme. Tout le monde sort. La pièce est finie. Tu comprends: quelque chose qui donnerait l’impression de la fin de tout, de la mort… mais sans parler de la mort, naturellement.

      – Oui, je vois ça très bien, dit Olivier qui songeait à Bernard et n’avait pas écouté un mot.

      – Et ça n’est pas tout; ça n’est pas tout! reprit Lucien avec ardeur. Je voudrais, dans une espèce d’épilogue, montrer cette même allée, la nuit, après que tout le monde est parti, déserte, beaucoup plus belle que pendant le jour; dans le grand silence, l’exaltation de tous les bruits naturels: le bruit de la fontaine, du vent dans les feuilles, et le chant d’un oiseau de nuit. J’avais pensé d’abord à y faire circuler des ombres, peut-être des Statues… mais je crois que ça serait plus banal; qu’est-ce que tu en penses?

      – Non, pas de Statues, pas de Statues, protesta distraitement Olivier; puis, sous le regard triste de l’autre: Eh bien, mon vieux, si tu réussis, ce sera épatant, s’écria-t-il chaleureusement.

      II

      Il n’y a point de trace, dans les lettres de Poussin, d’aucune obligation qu’il aurait eue à ses parents, jamais dans la suite il ne marqua de regrets de s’être éloigné d’eux. Transplanté volontairement à Rome, il perdit tout désir de retour, on dirait même tout souvenir.

PAUL DESJARDINS (Poussin)

      Monsieur Profitendieu était pressé de rentrer et trouvait que son collègue Molinier, qui l’accompagnait le long du boulevard Saint-Germain, marchait bien lentement. Albéric Profitendieu venait d’avoir au Palais une journée particulièrement chargée: il s’inquiétait de sentir une certaine pesanteur au côté droit; la fatigue, chez lui, portait sur le foie, qu’il avait un peu délicat. Il songeait au bain qu’il allait prendre; rien ne le reposait mieux des soucis du jour qu’un bon bain; en prévision de quoi il n’avait pas goûté ce jourd’hui, estimant qu’il n’est prudent d’entrer dans l’eau, fût-elle tiède, qu’avec un estomac non chargé. Après tout, ce n’était peut-être là qu’un préjugé; mais, les préjugés sont les pilotis de la civilisation.

      Oscar Molinier pressait le pas tant qu’il pouvait et faisait effort pour suivre Profitendieu, mais il était beaucoup plus court que lui et de moindre développement crural; de plus, le coeur un peu capitonné de graisse, il s’essoufflait facilement. Profitendieu, encore vert à cinquante-cinq ans, de coffre creux et de démarche alerte, l’aurait plaqué volontiers; mais il était très soucieux des convenances; son collègue était plus âgé que lui, plus avancé dans la carrière: il lui devait le respect. Il avait, de plus, à se faire pardonner sa fortune qui, depuis la mort des parents de sa femme, était considérable, tandis que monsieur Molinier n’avait pour tout bien que son traitement de président de chambre, traitement dérisoire et hors de proportion avec la haute situation qu’il occupait avec une dignité d’autant plus grande qu’elle palliait sa médiocrité. Profitendieu dissimulait son impatience; il se retour-nait vers Molinier et regardait celui-ci s’éponger; au demeurant ce que lui disait Molinier l’intéressait fort; mais leur point de vue n’était pas le même et la discussion s’échauffait.

      – Faites surveiller la maison, disait Molinier. Recueillez les rapports du concierge et de la fausse servante, tout cela va fort bien. Mais faites attention que, pour peu que vous poussiez un peu trop avant cette enquête, Parfaire vous échappera… Je veux dire qu’elle risque.de vous entraîner beaucoup plus loin que vous ne pensiez tout d’abord.

      – Ces préoccupations n’ont rien à voir avec la justice.

      – Voyons! Voyons, mon ami; nous savons vous et moi ce que devrait être la justice, et ce qu’elle est. Nous faisons pour le mieux, c’est entendu; mais, si bien que nous fassions, nous ne parvenons à rien que d’approximatif. Le cas qui vous occupe aujourd’hui est particulièrement délicat: sur quinze inculpés ou qui, sur un mot de vous, pourront l’être demain, il y a neuf mineurs. Et certains de ces enfants, vous le savez, sont fils de très honorables familles. C’est pourquoi je considère en l’occurrence le moindre mandat d’arrêt comme une insigne maladresse. Les journaux de parti vont s’emparer de l’affaire, et vous ouvrez la porte à tous les chantages, à toutes les diffamations. Vous aurez beau faire: malgré toute votre prudence vous n’empêcherez pas que des noms propres soient prononcés… Je n’ai pas qualité pour vous donner un conseil, et vous savez combien plus volontiers j’en recevrais de vous dont j’ai toujours reconnu et apprécié la hauteur de vue, la lucidité, la droiture… Mais, à votre place, voici comment j’agirais: je chercherais le moyen de mettre fin à cet abominable scandale en m’emparant des quatre ou cinq instigateurs… Oui, je sais qu’ils sont de prise difficile; mais que diable! c’est notre métier. Je ferais fermer l’appartement, le théâtre de ces orgies, et je m’arrangerais de manière à prévenir les parents de ces jeunes effrontés, doucement, secrètement, et simplement de manière à empêcher les récidives. Ah! par exemple, faites coffrer les femmes; ça, je vous l’accorde volontiers; il me paraît que nous avons affaire ici à quelques créatures d’une insondable perversité et dont il importe de nettoyer la société. Mais, encore une fois, ne vous saisissez pas des enfants; contentez-vous de les effrayer, puis couvrez tout cela de l’étiquette “ayant agi sans discernement” et qu’ils restent longtemps étonnés d’en être quittes pour la peur. Songez que trois d’entre eux n’ont pas quatorze ans et que les parents sûrement les considèrent comme des anges de pureté et d’innocence. Mais, au fait, cher ami, voyons, entre nous, est-ce que nous songions déjà aux femmes à cet âge?

      Il s’était arrêté, plus essoufflé par son éloquence que par la marche, et forçait Profitendieu, qu’il tenait par la manche, de s’arrêter aussi.

      – Ou si nous y pensions, reprenait-il, c’était idéalement, mystiquement, religieusement si je puis dire. Ces enfants d’aujourd’hui, voyez-vous, ces enfants n’ont plus d’idéal… A propos, comment vont les vôtres? Bien entendu, je ne disais pas tout cela pour eux. Je sais qu’avec eux, sous votre surveillance, et grâce à l’éducation que vous leur avez donnée, de tels égarements ne sont pas à craindre.

      En effet, Profitendieu n’avait eu jusqu’à présent qu’à se louer de s’és fils; mais il ne se faisait pas d’illusion: la meilleure éducation du monde ne prévalait pas contre les mauvais instincts; Dieu merci, ses enfants n’avaient pas de mauvais instincts, non plus que les enfants de Molinier sans doute; aussi se garaient-ils d’eux-mêmes des mauvaises fréquentations et des mauvaises leâures. Car que sert d’interdire ce qu’on ne peut pas empêcher? Les livres qu’on lui défend de lire, l’enfant les lit en cachette. Lui, son système est bien simple: les mauvais livres, il n’en défendait pas la lefture; mais il s’arrangeait de façon que ses enfants n’aient aucune envie de les lire. Quant à l’affaire en question, il y réfléchirait encore et promettait en tout cas de ne rien faire sans en aviser Molinier. Simplement on continuerait à exercer une discrète surveillance et, puisque le mal durait déjà depuis trois mois, il pouvait bien continuer quelques jours ou quelques semaines encore. Au surplus, les vacances se chargeraient de disperser les délinquants. Au revoir.

      Profitendieu put enfin presser le pas.

      Sitôt rentré, il courut à son cabinet de toilette et ouvrit les robinets de la baignoire. Antoine guettait le retour de son maître et fit en sorte de le croiser dans le corridor.

      Ce