Les Faux-monnayeurs / Фальшивомонетчики. Книга для чтения на французском языке. Андре Жид. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Андре Жид
Издательство: КАРО
Серия: Littérature contemporaine
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 1925
isbn: 978-5-9925-1387-5
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Mais ce n’est pas pour cela qu’il m’intéresse. Au contraire: quand quelqu’un me prend par la tête, d’ordinaire ça me refroidit.

      Un serviteur reparut portant, sur un plateau, le vin et les verres.

      – Nous allons boire d’abord pour le pari, puis nous reboirons avec le gagnant.

      Le serviteur versa du vin et ils trinquèrent.

      – Moi, je le trouve rasoir, votre Vincent, reprit Robert.

      – Oh! “mon” Vincent!… Comme si ça n’était pas vous qui l’aviez amené! Et puis je vous conseille de ne pas répéter partout qu’il vous ennuie. On comprendrait trop vite pourquoi vous le fréquentez.

      Robert, se détournant un peu, posa ses lèvres sur le pied nu de Lilian, que celle-ci ramena vers elle aussitôt et cacha sous son éventail.

      – Dois-je rougir? dit-il.

      – Avec moi ce n’est pas la peine d’essayer. Vous ne pourriez pas.

      Elle vida son verre, puis:

      – Voulez-vous que je vous dise, mon cher. Vous avez toutes les qualités de l’homme de lettres: vous êtes vaniteux, hypocrite, ambitieux, versatile, égoïste…

      – Vous me comblez.

      – Oui, tout cela c’est charmant. Mais vous ne ferez jamais un bon romancier.

      – Parce que?…

      – Parce que vous ne savez pas écouter.

      – Il me semble que je vous écoute fort bien.

      – Bah! Lui, qui n’est pas littérateur, il m’écoute encore bien mieux. Mais quand nous sommes ensemble, c’est bien plutôt moi qui écoute.

      – Il ne sait presque pas parler.

      – C’est parce que vous discourez tout le temps. Je vous connais: vous ne le laissez pas placer deux mots.

      – Je sais d’avance tout ce qu’il pourrait dire.

      – Vous croyez? Vous connaissez bien son histoire avec cette femme?

      – Oh! les affaires de coeur, c’est ce que je connais au monde de plus ennuyeux!

      – J’aime aussi beaucoup quand il parle d’histoire naturelle.

      – L’histoire naturelle, c’est encore plus ennuyeux que les affaires de coeur. Alors il vous a fait un cours?

      – Si je pouvais vous redire ce qu’il m’a dit… C’est passionnant, mon cher. Il m’a raconté des tas de choses sur les animaux de la mer. Moi j’ai toujours été curieuse de tout ce qui vit dans la mer. Vous savez que maintenant ils construisent des bateaux, en Amérique, avec des vitres sur le côté, pour voir tout autour, au fond de l’océan. Il paraît que c’est merveilleux. On voit du corail vivant, des… des… comment appelez-vous cela? – des madrépores, des éponges, des algues, des bancs de poissons. Vincent dit qu’il y a des espèces de poissons qui crèvent quand l’eau devient plus salée, ou moins, et qu’il y en a d’autres au contraire qui supportent des degrés de salaison variée, et qui se tiennent au bord des courants, là où l’eau devient moins salée, pour manger les premiers quand ils faiblissent. Vous devriez lui demander de vous raconter… Je vous assure que c’est très curieux. Quand il en parle, il devient extraordinaire. Vous ne le reconnaîtriez plus… Mais vous ne savez pas le faire parler… C’est comme quand il raconte son histoire avec Laura Douviers… Oui, c’est le nom de cette femme… Vous savez comment il l’a connue?

      – Il vous l’a dit?

      – A moi l’on dit tout. Vous le savez bien, homme terrible! Et elle lui caressa le visage avec les plumes de son éventail refermé. – Vous doutez-vous qu’il est venu me voir tous les jours, depuis le soir où vous me l’avez amené?

      – Tous les jours! Non, vrai, je ne m’en doutais pas.

      – Le quatrième, il n’a plus pu y tenir; il a tout raconté. Mais chaque jour ensuite, il ajoutait quelque détail.

      – Et cela ne vous ennuyait pas! Vous êtes admirable.

      – Je t’ai dit que je l’aime. Et elle lui saisit le bras emphatiquement.

      – Et lui… il aime cette femme?

      Lilian se mit à rire:

      – Il l’aimait. – Oh! il a fallu d’abord que j’aie l’air de m’intéresser vivement à elle. J’ai même dû pleurer avec lui. Et cependant j’étais affreusement jalouse. Maintenant, plus. Écoute comment ça a commencé; ils étaient à Pau tous les deux, dans une maison de santé, un sanatorium, où on les avait envoyés l’un et l’autre parce qu’on prétendait qu’ils étaient tuberculeux. Au fond, ils ne l’étaient vraiment ni l’un ni l’autre; Mais ils se croyaient très malades tous les deux. Ils ne se connaissaient pas encore. Ils se sont vus pour la première fois, étendus l’un à côté de l’autre sur une terrasse de jardin, chacun sur une chaise longue, près d’autres malades qui restent étendus tout le long du jour en plein air pour se soigner. Comme ils se croyaient condamnés, ils se sont persuadés que tout ce qu’ils feraient ne tirerait plus à conséquence. Il lui répétait à tout instant qu’ils n’avaient plus l’un et l’autre qu’un mois à vivre; et c’était au printemps. Elle était là-bas toute seule. Son mari est un petit professeur de français en Angleterre. Elle l’avait quitté pour venir à Pau. Elle était mariée depuis trois mois. Il avait dû se saigner à blanc pour l’envoyer là-bas. Il lui écrivait tous les jours. C’eét une jeune femme de très honorable famille; très bien élevée, très réservée, très timide. Mais là-bas… Je ne sais pas trop ce que Vincent a pu lui dire, mais le troisième jour elle lui avouait que, bien que couchant avec son mari et possédée par lui, elle ne savait pas ce que c’était que le plaisir.

      – Et lui, alors, qu’est-ce qu’il a dit?

      – Il lui a pris la main qu’elle laissait pendre au côté de sa chaise longue et l’a longuement pressée sur ses lèvres.

      – Et vous, quand il vous a raconté cela, qu’avez-vous dit?

      – Moi! c’est affreux… figurez-vous qu’alors j’ai été prise d’un fou rire. Je n’ai pas pu me retenir et je ne pouvais plus m’arrêter… Ça n’était pas tant ce qu’il me disait qui me faisait rire; c’était l’air intéressé et consterné que j’avais cru devoir prendre, pour l’engager à continuer. Je craignais de paraître trop amusée. Et puis, au fond, c’était très beau et très triste. Il était tellement ému en m’en parlant! Il n’avait jamais raconté rien de tout cela à personne. Ses parents, naturellement, n’en savent rien.

      – C’est vous qui devriez écrire des romans.

      – Parbleu, mon cher, si seulement je savais dans quelle langue!… Mais entre le russe, l’anglais et le français, jamais je ne pourrai me décider. – Enfin, la nuit suivante, il est venu retrouver sa nouvelle amie dans sa chambre et là il lui a révélé tout ce que son mari n’avait pas su lui apprendre, et que je pense qu’il lui enseigna fort bien. Seulement, comme ils étaient convaincus qu’ils n’avaient plus que très peu de temps à vivre, ils n’ont pris naturellement aucune précaution, et, naturellement, peu de temps après, l’amour aidant, ils ont commencé d’aller beaucoup mieux l’un et l’autre. Quand elle s’est rendu compte qu’elle était enceinte, ils ont été tous les deux consternés. C’était le mois dernier. Il commençait à faire chaud. Pau, l’été, n’est plus tenable. Ils sont rentrés ensemble à Paris. Son mari croit qu’elle est chez ses parents qui dirigent un pensionnat près du Luxembourg; mais elle n’a pas osé les revoir. Les parents, eux, la croient encore à Pau; mais tout finira bientôt par se découvrir. Vincent jurait d’abord de ne pas l’abandonner; il lui proposait de partir n’importe où avec elle, en Amérique, en Océanie. Mais il leur fallait de l’argent. C’est précisément alors qu’il a fait votre rencontre et qu’il a commencé à jouer.

      – Il