“Il faudra que ça change”, se dit Henry.
Il avait entendu les rumeurs sur sa cousine mais il avait aussi eu l'intelligence de chercher ses propres sources d'information. Il avait payé des hommes pour qu'ils lui dévoilent ce qu'ils savaient et avait bu avec les voyageurs qui s'arrêtaient à l'auberge locale. D'après ce qu'il comprenait, sa cousine avait été rejetée non pas une fois mais deux par Sebastian, le fils qui, selon la rumeur, avait assassiné sa mère. Angelica avait alors pris le parti de Rupert, probablement pour s'assurer d'arriver jusqu'au trône mais, à ce moment-là, l'invasion menée par Sophia Danse avait fait des cibles de tous ceux qui étaient liés à la famille royale.
“Et elle en est morte”, marmonna Henry en allant chercher ses vêtements et de l'argent, des pistolets et sa vieille rapière de duel.
Il était certain qu'Angelica avait accompli beaucoup de choses abominables pour arriver si haut. Une partie de Henry aurait voulu ne pas comprendre comment ces choses fonctionnaient mais il le comprenait et même quelqu'un comme Angelica ne pouvait devenir reine par accident. Elle n'avait jamais hésité à tricher ou à mentir pour gagner aux jeux de son enfance dès que cela avait paru pouvoir lui apporter un avantage.
Pourtant, ce dont les rumeurs l'accusaient … elles ressemblaient plus à une déformation de l'histoire par des gens qui voulaient se refaire une virginité. Elles étaient une excuse pour la mettre à mort, pour arriver au pouvoir sans plus d'obstacles.
S'il avait été comme son père, Henry aurait éclaté d'une colère impuissante à cette idée. S'il avait été comme sa mère, il se serait effondré sous une telle horreur tout en répandant des ragots. Cela dit, il n'était pas comme eux. Il était un homme qui faisait le nécessaire et il fallait qu'il le fasse maintenant.
“L'honneur de la famille ne se contenterait jamais de moins”, dit Henry en se redressant et en soulevant son sac.
Il redescendit et s'arrêta à la porte du salon.
“Mère, Père, je m'en vais maintenant. Je ne reviendrai pas. Je veux que vous sachiez que je vais venger la mort de ma cousine quoi qu'il en coûte. Je ne le fais pas pour que vous soyez fiers de moi, vu que, franchement, votre opinion sur la question m'indiffère, mais parce qu'il faut que quelqu'un le fasse. Adieu.”
Comme discours d'adieu, c'était singulièrement froid mais Henry sentait qu'il n'avait rien de mieux à leur offrir. Il quitta la maison à pas raides sans tenir compte des pleurs de sa mère ou des regards courroucés de son père.
A l'écurie, il choisit la belle jument châtain qu'il chevauchait toujours avec un cheval moucheté pour porter ses bagages. Il commença à seller les deux bêtes sans la moindre hésitation. Il avait déjà arrêté de penser à ses parents et se concentrait sur les choses qu'il allait falloir qu'il fasse dans les jours à venir, les alliances qu'il allait devoir nouer, les combats qu'il allait falloir qu'il gagne avec des mots, de l'or et de l'acier.
Est-ce que leur nouvelle reine était véritablement une des Danse ? C'était possible, vu les rumeurs, mais, même si elle l'était, cela ne lui donnait pas le droit de prendre le trône. Il avait été la prérogative de Rupert, puis d'Angelica après la mort de Rupert. Comme le seul membre restant des Flambergs était presque certainement coupable de trahison, cela signifiait …
“Oui”, dit Henry avec un sourire triste parce qu'il avait atteint sa conclusion bien trop facilement, “ça pourrait fonctionner.”
Ce n'était pas qu'il voulait le faire. Il n'avait pas plus besoin d'un trône qu'il n'avait désiré le poste dans le clergé que ses parents avaient essayé de lui imposer. C'était tout simplement un élément nécessaire de ce qui allait se passer. S'il fonçait à Ashton et essayait de tuer la reine, il ne serait qu'un simple traître.
Pourtant, il ne pouvait pas permettre aux envahisseurs d'Ishjemme d'échapper à leur punition. D'un seul coup, ils avaient détruit tous les systèmes soigneusement installés à la suite des guerres civiles. Ils avaient détruit l'ordre ancien et institué un nouveau où l'Assemblée des Nobles était sujette aux caprices du souverain et où sa cousine pouvait être exécutée sur un simple mot de la reine.
Henry ne l'accepterait pas. Il pouvait remettre les choses en l'état. Il pouvait résoudre le problème.
Cette idée en tête, il partit. Il allait avoir besoin de soutien pour cette mission et, heureusement, Henry savait exactement où le trouver.
CHAPITRE NEUF
Sophia eut l'impression qu'une semaine ne suffisait pas. C'était trop peu de temps à passer avec son mari. C'était trop peu de temps à gâter Violette, qui roucoulait dès que Sophia la tenait et qui voulait caresser la fourrure de Sienne dès que la chatte de la forêt approchait.
“Nous n'avons pas besoin de partir si vite si tu ne veux pas”, dit Lucas. Ils étaient sur les quais, en train d'attendre le navire qui devait les transporter, et les gens étaient amassés autour d'eux pour les voir partir. Le Grand Marchand N’Ka attendait à bord et leur souriait probablement parce qu'il pensait aux caisses de marchandises et aux promesses que Sophia lui avait données.
“Ou alors, on peut y aller à deux”, dit Kate, “et on te rapporterait nos parents.”
Sophia secoua la tête. “Je sais que ça a l'air fou de le faire si vite et que ça me fait souffrir plus que je ne peux le dire de laisser Violette à Ashton mais j'ai la sensation que, si nous devons retrouver nos parents, il faudra que ce soit à trois. S'ils se sont assurés que la carte ne soit lisible en totalité que par nous trois, c'est qu'il y a une raison.”
“Cela dit, on peut y aller plus tard”, dit Lucas.
“Si on n'y va pas maintenant, alors, quand ?” demanda Sophia. “Le royaume est en paix pour un certain temps. Sebastian peut assurer la régence du royaume et je ne suis pas encore prisonnière de tous les détails de mon règne. Si j'attends trop longtemps pour partir, je ne pourrai jamais le faire.”
De plus, j'ai vu à quel point devoir attendre vous a déçus, dit-elle par télépathie. Je veux que vous soyez heureux et je veux que Violette ait ses grands-parents.
Je suis sûr qu'ils l'adoreront, répondit Lucas par télépathie. Et nous les trouverons.
En s’accrochant à cette certitude, Sophia se rendit à l'endroit où Sebastian se tenait avec leur fille. Elle sentait qu'il essayait d'être fort pour elle, qu'il aurait voulu qu'elle ne parte pas, ou partir avec elle. Elle l'embrassa tendrement.
“Je ne pars pas pour si longtemps”, dit-elle.
“Chaque moment me semblera trop long”, répondit Sebastian. “De plus, la route est longue jusqu'au confins du sud.”
“Le haut marchand est sûr que le voyage jusqu'à la côte ne prendra pas plus d'une semaine ou deux”, dit Sophia en espérant qu'il ne se trompait pas. “Après ça, le voyage vers l'intérieur des terres pourrait prendre une autre semaine, deux au plus. Je te retrouverai très vite et j'emmènerai les grands-parents de Violette s'ils sont là-bas.”
“Deux mois me paraîtront comme une éternité”, dit Sebastian. Il passa une main dans les cheveux de son épouse. “Cela dit, je sais à quel point ça te rendra heureuse de retrouver enfin tes parents. Je t'accompagnerais si je le pouvais.”
Sophia savait qu'il le ferait et elle aurait adoré partir à la recherche de ses parents avec sa famille entière, bien qu'elle sache que ce n'était pas envisageable.
“Il faut que