Mais il y avait un agent, un expert en affaires classées, qui n’était pas d’accord.
« Il est toujours dans le coin, avait-il dit à tout le monde. On le trouvera si on continue de chercher. »
Ses supérieurs ne l’avaient pas cru et ils avaient refusé de le soutenir. Quantico avait classé l’affaire.
L’agent avait pris sa retraite des années plus tôt et il avait déménagé en Floride. Riley savait comment le contacter.
Elle tendit la main vers son téléphone et composa son numéro.
Quelques instants plus tard, une familière voix rocailleuse répondit au téléphone. Jake Crivaro avait été son partenaire et son mentor quand elle avait rejoint l’Unité d’Analyse Comportementale.
— Salut, gamine, dit Jake. Comment ça va ? Qu’est-ce que tu fais ? Tu n’appelles pas, tu n’écris pas. C’est comme ça qu’on traite la pauvre vieille buse qui t’a tout appris ?
Riley sourit. Elle savait qu’il ne le pensait pas. Après tout, ils s’étaient vus très récemment. Jake était sorti de sa retraite pour l’aider à résoudre une affaire seulement un mois plus tôt.
Elle ne lui demanda pas comment il allait.
Elle se rappelait encore sa litanie la dernière fois qu’elle lui avait posé la question.
« J’ai soixante-quinze ans. On m’a changé les deux genoux et la hanche. Ma vue baisse. J’ai un appareil pour entendre et un pacemaker. Et tous mes amis sont morts, à part toi. Qu’est-ce que tu dis de ça ? »
Il ne servait à rien de lui redemander pour l’entendre à nouveau se plaindre.
La vérité, c’était qu’il était toujours en très bonne forme et qu’il avait l’esprit aussi vif qu’avant.
— J’ai besoin de ton aide, Jake, dit Riley.
— Ah, tu me fais plaisir. J’ai horreur de la retraite. Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?
— Je m’intéresse à une affaire classée.
Jake pouffa.
— C’est ce que je préfère. Tu sais, j’étais le spécialiste des affaires classées. C’est toujours le cas, mais c’est devenu un passe-temps. Tu te rappelles de Angel Face ? Le tueur de l’Ohio ? J’ai résolu cette affaire il y a quelques années. Elle était classée depuis des années.
— Je m’en souviens, dit Riley. Pas mal pour un vieux bonhomme.
— La flatterie ne te mènera nulle part. Alors, qu’est-ce que tu veux ?
Riley hésita. Elle savait qu’elle s’apprêtait à remuer des souvenirs désagréables.
— C’est une des tiennes, Jake, dit-elle.
Jake ne répondit pas tout de suite.
— Ne me dis rien, dit-il enfin. Le tueur aux allumettes.
Riley faillit lui demander comment il avait deviné.
Mais il était facile de répondre à cette question.
Jake était obsédé par les échecs, surtout les siens. Il devait savoir que c’était l’anniversaire de la mort de Tilda Steen. Il avait sûrement noté les deux autres dates. Riley devina que ça le hantait chaque année.
— C’était avant ton arrivée, dit Jake. Pourquoi tu remues l’histoire ancienne ?
Elle entendit de l’amertume dans sa voix – une amertume dont elle se rappelait pour l’avoir entendue dans sa voix quand elle était encore débutante. Il était furieux que ses supérieurs aient classé cette affaire. Son amertume ne l’avait jamais vraiment quitté.
— Tu sais que j’appelle la mère de Tilda Steen depuis des années, dit Riley. Je lui ai encore parlé hier. Cette fois…
Elle s’interrompit. Comment formuler son sentiment ?
— C’était encore plus difficile que d’habitude. Si personne ne fait rien, cette dame va mourir sans savoir que le tueur de sa fille a été puni pour son crime. Je n’ai rien d’autre à faire et je…
Elle se tut.
— Je sais ce que tu ressens, dit Jake d’une voix soudain pleine de compassion. Ces trois femmes méritaient mieux. Leurs familles méritaient mieux.
Riley fut soulagée de savoir que Jake partageait son sentiment.
— Je ne peux pas faire grand-chose sans le soutien du FBI, dit Riley. Tu penses qu’ils pourraient rouvrir le dossier ?
— Je ne sais pas. Peut-être. Au boulot !
Riley entendit les doigts de Jake pianoter sur son clavier d’ordinateur.
— Qu’est-ce qui n’a pas marché la dernière fois ?
— La question serait plutôt de savoir ce qui a marché ! Personne ne voulait entendre parler de mes hypothèses à l’UAC. C’était une région très rurale, juste trois petites villes, mais ça circulait beaucoup sur la route 64. Le Bureau avait décidé que c’était un gars qui vagabondait. Moi, mon instinct me disait autre chose. Je pensais qu’il était du coin et qu’il vivait toujours là-bas. Mais tout le monde se fichait bien de mon instinct.
Tout en pianotant, il grommela :
— J’aurais résolu cette affaire sans mon imbécile de partenaire.
Riley avait déjà entendu parler de l’ancien partenaire très incompétent de Jake, qui avait été renvoyé du FBI avant l’arrivée de Riley. Elle dit :
— Il parait qu’il faisait tout rater.
— Oui, on peut le dire. Dans un des bars, il a ramassé un verre dans lequel le tueur avait bu et il a mis ses empreintes partout.
— Il y avait des empreintes sur les boites d’allumettes ou les blocs-notes ?
— Pas après leur séjour sous la terre. Mon partenaire a tout foutu en l’air. On aurait dû le virer à ce moment-là. Après, ça n’a pas traîné longtemps. Il parait qu’il travaille dans une épicerie, maintenant. Bon débarras.
Riley entendit Jake taper sur son clavier. Il devait avoir tous les documents sous la main.
— OK. Ferme les yeux, dit Jake.
Riley ferma les yeux en souriant. Il allait lui faire faire le même exercice qu’elle avait demandé à ses étudiants. Elle tenait ça de lui.
Jake dit :
— Tu es le tueur, mais tu n’as encore tué personne. Tu entres dans un pub à Brinkley, le McLaughlin, et tu te présentes à une fille nommée Melody Yanovich. Tu lui sors le grand jeu et ça a l’air de bien marcher.
Riley commençait à se glisser dans la tête du tueur. Elle voyait très clairement la scène. Jake dit :
— Il y a des boites d’allumettes dans un grand bol, sur le comptoir. Tu en attrapes une et tu la mets dans ta poche. Pourquoi ?
Riley sentait presque la boite entre ses doigts. Elle s’imagina en train de la glisser dans sa poche de chemise.
Mais pourquoi ? se demanda-t-elle.
Quand l’affaire avait été ouverte, l’explication semblait toute trouvée. Le tueur avait laissé des boîtes