— D’accord.
En vérité, Tiffany s’était habillée juste après avoir englouti une gaufre pour le petit déjeuner, avec Maman et Papa. C’était juste qu’elle n’avait pas envie de descendre. Elle regardait des vidéos marrantes avec des animaux sur son téléphone portable.
Elle avait vu un pékinois faire du skateboard, un bulldog monter une échelle, un chat essayer de jouer de la guitare, un gros chien qui courait après sa queue dès que quelqu’un chantait « Pop Goes the Weasel » et une garenne de lapins partir en galopant.
Celle qu’elle regardait maintenant la faisait beaucoup rire. C’était un écureuil qui essayait de se servir dans une mangeoire à oiseaux justement conçue pour que les animaux de son espèce ne puissent pas s’y accrocher. Chaque fois qu’il sautait dessus, la mangeoire tournait sur elle-même comme une toupie et l’écureuil dégringolait. Il semblait pourtant bien décidé à ne pas se laisser abattre.
Elle gloussait encore quand sa mère l’appela à nouveau.
— Tiffany ! Ta sœur vient avec nous ?
— Je ne pense pas, Maman.
— Va lui demander, s’il te plait.
Tiffany soupira. Elle avait bien envie de répondre : « Vas-y toi-même ! ».
Au lieu de cela, elle cria :
— D’accord.
Lois, sa sœur de dix-neuf ans, n’était pas descendue pour le petit déjeuner. Tiffany était presque sûre qu’elle n’avait pas l’intention d’aller à la messe. Elle avait dit à Tiffany la veille qu’elle ne voulait pas.
On voyait Lois de moins en moins depuis qu’elle avait commencé les cours à l’université en automne. Elle revenait à la maison le week-end et pour les vacances, mais elle passait beaucoup de temps avec ses amis et dormait tard le matin.
Tiffany ne lui reprochait rien, bien au contraire.
Pour une adolescente, la famille Pennington était à mourir d’ennui, surtout quand il fallait aller à la messe.
En soupirant, elle arrêta la vidéo et sortit de sa chambre. Celle de Lois était à l’étage. C’était une chambre immense aménagée dans le grenier. Elle avait même une salle de bain et une penderie. Tiffany était coincée dans sa petite chambre du premier étage depuis aussi loin que remontaient ses souvenirs.
Ce n’était pas juste. Tiffany avait espéré qu’elle hériterait de la chambre de sa sœur quand elle partirait à l’université. Lois n’avait pas besoin de tout cet espace : après tout, elle n’était là que le week-end. Pourquoi ne pouvaient-elles pas échanger ?
Elle s’en plaignait souvent, mais personne ne faisait attention.
Au pied des escaliers menant au grenier, Tiffany appela :
— Eh, Lois ! Tu viens avec nous ?
Pas de réponse. Tiffany roula les yeux au ciel. Cela arrivait souvent quand elle venait chercher Lois.
Elle monta les marches et frappa à la porte.
— Eh, Lois ! hurla-t-elle à nouveau. On va à la messe. Tu veux venir ?
Encore une fois, pas de réponse.
Tiffany se dandina avec impatience. Elle frappa à nouveau.
— Tu es réveillée ? demanda-t-elle.
Toujours pas de réponse.
Tiffany poussa un grognement. Lois était peut-être en train de dormir, ou alors elle avait ses écouteurs dans les oreilles, mais il était plus probable qu’elle ignorait sa sœur, tout simplement.
— Bon, d’accord, dit-elle. Je vais dire à Maman que tu ne viens pas.
En redescendant les marches, Tiffany ne put s’empêcher de ressentir un peu d’inquiétude. Lois avait l’air déprimé ces derniers temps. Pas dépressive, mais pas aussi heureuse que d’habitude. Elle avait même dit à Tiffany que l’université, c’était plus difficile qu’elle ne le pensait. Elle ressentait la pression.
En bas des escaliers, Papa regardait sa montre d’un air impatient. Il était prêt à partir, bien emmitouflé dans son manteau, son écharpe, ses gants et sa casquette fourrée. Maman mettait son manteau.
— Lois vient ? demanda Papa.
— Elle a dit non, répondit Tiffany.
Ce n’était qu’un petit mensonge. Papa se mettrait en colère si Tiffany lui disait que Lois n’avait même pas pris la peine de répondre.
— Ce n’est pas surprenant, dit Maman en enfilant ses gants. Je l’ai entendue se garer très tard, la nuit dernière. Je ne sais même pas quelle heure il était.
Tiffany ressentit une autre pointe d’envie en pensant à la voiture de sa sœur. Lois était tellement libre depuis qu’elle était à l’université ! Et personne ne faisait attention à l’heure à laquelle elle rentrait. Tiffany ne l’avait même pas entendue monter.
Je devais dormir…, pensa-t-elle.
Pendant que Tiffany enfilait son manteau, Papa grommela :
— Vous traînez. On va être en retard à la messe.
— On sera à l’heure, répondit calmement Maman.
— Je vais démarrer la voiture.
Il ouvrit la porte et sortit en tapant des pieds. Tiffany et sa mère terminèrent rapidement de se préparer, avant de le suivre.
L’air frais fouetta le visage de Tiffany. Il restait de la neige par terre. Tiffany aurait préféré rester dans son lit douillet. Il faisait trop mauvais pour aller où que ce soit.
Soudain, sa mère poussa un hoquet de surprise.
— Lester, qu’est-ce que tu as ? s’écria-t-elle.
Tiffany vit que Papa s’était arrêté devant la porte ouverte du garage. Il avait le regard fixe, choqué et horrifié.
— Que se passe-t-il ? s’exclama à nouveau Maman.
Papa se tourna vers elle. Il semblait avoir du mal à parler.
Enfin, il lâcha :
— Appelle le 911.
— Pourquoi ? répondit Maman.
Papa ne répondit pas. Il entra dans le garage. Maman se précipita à sa suite. Quand elle atteignit la porte, elle poussa un cri qui pétrifia Tiffany d’effroi.
Maman se précipita dans le garage.
Pendant un long moment, Tiffany resta immobile, incapable de faire un geste.
— Qu’est-ce qu’il y a ? appela-t-elle.
La voix de sa mère lui répondit, chargée de sanglots :
— Retourne à l’intérieur, Tiffany.
— Pourquoi ? s’écria Tiffany.
Maman sortit du garage en courant. Elle attrapa Tiffany par le bras et l’entraina de force vers la maison.
— Ne regarde pas, dit-elle. Retourne dans la maison.
Tiffany se débattit, se dégagea et courut vers le garage.
Elle eut besoin de quelques secondes pour comprendre ce qu’elle voyait. Il y avait les trois voitures garées à l’intérieur. Au fond, à gauche, Papa se débattait avec une échelle.
Quelque chose était pendu par une corde au plafond.
C’était une personne.
C’était sa sœur.