Juste pour te prévenir que je suis assis avec un flingue dans la bouche.
Riley frémit en pensant à l’appel téléphonique désespéré qui avait suivi. Elle avait réussi à l’empêcher de se suicider.
Est-ce que ça recommençait ?
Si c’était le cas, que pouvait-elle faire ?
Un bruit strident interrompit brusquement ses pensées. Elle eut besoin d’une seconde pour comprendre que Jenn venait d’enclencher le gyrophare pour contourner un embouteillage.
Elle le prit comme un avertissement…
Je ne dois pas me laisser distraire.
*
Il était dix heures et demi quand Riley et Jenn arrivèrent au parc Belle Terre. Elles suivirent la route le long de la plage jusqu’à tomber sur des voitures de police et un fourgon de médecin légiste. Derrière les véhicules, de la rubalise délimitait le périmètre de la scène de crime.
On ne voyait pas encore la plage depuis le parking, mais des goélands volaient au-dessus de leurs têtes. La brise sentait le sel et on entendait un bruit de ressac.
Riley ne s’étonna pas de voir des journalistes sur le parking. Ils se massèrent autour de Riley et Jenn en posant des questions.
— Ce sont deux meurtres en deux jours. Est-ce l’œuvre d’un tueur en série ?
— Vous avez donné le nom de la victime de la veille. Avez-vous identifié la nouvelle victime ?
— Avez-vous contacté la famille de la victime ?
— Les deux victimes ont vraiment été enterrées vivantes ?
Riley serra les dents en entendant la dernière question. Evidemment, elle n’était pas surprise que la manière dont les deux personnes étaient mortes se soit ébruitée. Les journalistes avaient dû apprendre la nouvelle en écoutant la radio de la police. Ils essayaient maintenant d’en faire leurs choux gras.
Riley et Jenn jouèrent des coudes sans faire de commentaires. Elles furent accueillies par deux policiers qui les conduisirent sur la plage, au-delà de la barrière de rubalise. Riley sentit le sable rentrer dans ses chaussures tout en marchant.
La scène de crime apparut devant elles.
Des hommes étaient debout autour d’une fosse creusée dans le sable où se trouvait encore le corps. Deux d’entre eux s’approchèrent de Riley et Jenn. L’un était un homme trapu aux cheveux roux et en uniforme. L’autre, plus élancé et aux cheveux bruns bouclés, portait une chemise blanche.
— Je suis content que vous soyez là, dit l’homme aux cheveux roux après que Riley et Jenn se furent présentées. Je suis Parker Belt, le chef de police à Sattler. Et voilà Zane Terzis, le médecin légiste du district de Tidewater.
Belt fit signe à Riley et Jenn de s’approcher de la fosse. Elles baissèrent les yeux vers un corps à-moitié enseveli.
Riley avait l’habitude de voir des corps mutilés et décomposés. Mais celui-ci lui soutira un frisson d’horreur.
C’était un homme blond d’une trentaine d’années qui portait un jogging, sans doute pour courir tôt le matin sur la plage. Il avait les bras écartés, comme pour essayer de creuser vers la surface avec l’énergie du désespoir, figé dans cette position par la rigidité cadavérique. Ses yeux étaient fermés et sa bouche pleine de sable.
Belt se tenait à côté de Riley et de Jenn ;
Belt dit :
— Il avait son portefeuille sur lui et ce n’était pas difficile de l’identifier. Mais je n’en avais pas vraiment besoin : je l’ai reconnu dès que Terzis et son équipe ont dégagé son visage. Il s’appelle Todd Brier et c’est un pasteur luthérien à Sattler. Je n’allais pas à son église : je suis méthodiste. Mais je le connaissais. Nous étions bons amis. Nous allions parfois pêcher ensemble.
La voix de Belt était lourde de chagrin.
— Comment avez-vous trouvé le corps ? demanda Riley.
— C’est un type qui est passé avec son chien, répondit Belt. Le chien s’est arrêté, s’est mis à renifler et à gémir, puis à creuser. Une main est apparue.
— L’homme qui a trouvé le corps est toujours là ? demanda Riley.
Belt secoua la tête.
— Nous l’avons renvoyé chez lui. Il était très secoué. Mais nous lui avons dit qu’il devait rester disponible pour répondre à des questions. Je peux vous mettre en contact avec lui.
Riley releva les yeux vers l’océan qui se trouvait à une quinzaine de mètres. Dans la baie de Chesapeake, l’eau était d’un bleu très profond et agitée de vagues aux crêtes mousseuses. C’était la marée basse.
Riley demanda :
— C’est le deuxième meurtre ?
— Oui, répondit Belt d’un air grave.
— C’était déjà arrivé ?
— Vous voulez dire à Belle Terre ? demanda Belt. Non, jamais. C’est une réserve naturelle pour les oiseaux et la faune. Les gens viennent à la plage, surtout des familles. De temps en temps, on arrête un braconnier ou on règle une dispute entre des visiteurs. On chasse aussi des vagabonds. Rien de plus sérieux.
Riley s’éloigna de la fosse pour voir le corps sous un autre angle. Elle vit qu’il y avait du sang sur la tête de la victime.
— Que pensez-vous de cette blessure ? demanda-t-elle à Terzis.
— On dirait qu’il a été frappé avec un objet lourd, dit le médecin légiste. J’en saurai plus quand le corps sera à la morgue. Mais, d’après ce que je vois, ça l’a peut-être étourdi, juste assez longtemps pour qu’il ne puisse pas se défendre quand le tueur l’a enterré. Mais je doute qu’il ait vraiment perdu connaissance. Il s’est débattu, ça se voit.
Riley frémit.
Oui, cela se voyait.
Elle dit à Jenn.
— Prends des photos et envoie-les-moi.
Jenn sortit aussitôt son téléphone portable et prit des photos de la fosse et du corps. Pendant ce temps, Riley marcha lentement autour de la scène de crime pour examiner la plage dans toutes les directions. Le tueur n’avait pas laissé grand-chose. Le sable autour de la fosse avait été retourné et il y avait des traces de pas presque effacées : celles du joggeur et du tueur.
Le sable sec ne permettait pas de reconnaitre la forme de la chaussure. Mais Riley vit qu’il y avait également des traces sur le chemin de terre menant au parking.
Elle les pointa du doigt en interpellant Belt.
— Votre équipe a cherché s’il y avait des fibres ?
L’homme acquiesça.
Un sentiment était en train de remonter dans la poitrine de Riley – un sentiment qui lui venait parfois sur une scène de crime.
Ces derniers temps, ce sentiment se faisait rare. Mais il était toujours agréable de le retrouver, parce que Riley savait qu’elle pouvait s’en servir comme d’un outil.
Elle ressentait l’état d’esprit et les pensées du tueur.
Si elle laissait ce sentiment la submerger, elle comprendrait mieux ce qui s’était passé.
Riley s’éloigna du groupe. En jetant un coup d’œil à Jenn, elle vit que la jeune femme la regardait.