Godfrey prit sa tête dans ses mains, abasourdi qu’elle puisse être aussi douloureuse sans même avoir bu un verre. Il se remit sur pieds en chancelant, les genoux tremblants, et parcourut la cellule du regard. Un seul garde se tenait à l’extérieur des barreaux, dos à lui, regardant à peine. Et pourtant ces cellules étaient dotées de serrures robustes et d’épaisses barres d’acier, et Godfrey sut qu’il n’y aurait pas d’échappée facile cette fois-ci. Cette fois-ci, ils étaient là jusqu’à la mort.
Lentement, à côté de lui, Akorth, Fulton, Ario et Merek se remirent sur pied et étudièrent tous leur environnement, eux aussi. Il pouvait voir l’étonnement et la peur dans leurs yeux – puis le regret, tandis qu’ils commençaient à se souvenir.
« Sont-ils tous morts ? » demanda Ario, regard tourné vers Godfrey.
Godfrey sentit une douleur à l’estomac en hochant lentement de la tête.
« C’est notre faute », dit Merek. « Nous les avons laissé tomber. »
« Oui, ça l’est », répondit Godfrey, la voix brisée.
« Je t’avais dit de ne pas faire confiance aux Finiens », dit Akorth.
« La question n’est pas de savoir à qui est la faute », dit Ario, « mais ce que nous allons en faire. Allons-nous laisser tous nos frères et sœurs être morts en vain ? Ou allons-nous obtenir vengeance ? »
Godfrey pouvait voir le sérieux sur le visage du jeune Ario, et il fut impressionné par sa détermination d’acier, même en étant sous les verrous et sur le point d’être tué.
« Vengeance ? » demanda Akorth. « Es-tu fou ? Nous sommes enfermés sous terre, gardés par des barreaux d’aciers et des gardiens de l’Empire. Tous nos hommes sont morts. Nous sommes au milieu d’une cité et d’une armée hostiles. Tout notre or a disparu. Nos plans sont fichus. Quelle vengeance pourrions-nous possiblement prendre ? »
« Il y a toujours un moyen », dit Ario, déterminé. Il se tourna vers Merek.
Tous les yeux se tournèrent vers lui, et il fronça les sourcils.
« Je ne suis pas expert en vengeance », dit Merek. « Je tue des hommes quand ils m’ennuient. Je n’attends pas. »
« Mais tu es un maître voleur », dit Ario. « Tu as passé toute ta vie dans une cellule de prison, comme tu l’as admis. Tu peux sûrement nous sortir de là ? »
Merek se tourna et étudia la cellule, les barreaux, les fenêtres, les clefs, les gardes – tout – avec un œil aiguisé et expert. Il enregistra tout, puis reporta les yeux sur eux avec un air grave.
« Ce n’est pas une cellule ordinaire », dit-il. « Ce doit être une cellule Finienne. Un savoir-faire très cher. Je ne vois aucun point faible, pas d’issue, pour autant que je voudrais pouvoir vous dire autre chose. »
Godfrey, se sentant anéanti, essayant d’écarter les cris des autres prisonniers le long du hall, marcha vers la porte de la cellule, appuya son front contre le fer froid et lourd, et ferma les yeux.
« Amenez-le là ! », tonna une voix depuis l’extrémité du hall de pierre.
Godfrey ouvrit les yeux, tourna la tête, et regarda au bout de la salle pour voir plusieurs gardes de l’Empire trainant un prisonnier. Ce dernier portait une écharpe rouge par-dessus les épaules, en travers du torse, et il pendait mollement dans leurs bras, sans même essayer de résister. En fait, quand il se fut rapproché, Godfrey vit qu’ils devaient le tirer, car il était inconscient. Quelque chose n’allait manifestement pas chez lui.
« Vous m’emmenez une autre victime de la peste ? » hurla le garde avec mépris. « Qu’attendez-vous que j’en fasse ? »
« Pas notre problème ! » s’écrièrent les autres.
Le garde de service eut un regard apeuré tout en levant les mains.
« Je ne vais pas le toucher ! » dit-il. « Mettez-le là-bas – dans la fosse, avec les autres victimes de la peste. »
Les gardes le dévisagèrent d’un air interrogateur.
« Mais il n’est pas encore mort », répondirent-ils.
Le garde de service les regarda de travers.
« Vous pensez que je m’en soucie ? »
Les gardes échangèrent un regard puis firent comme on leur avait dit, le trainèrent à travers le couloir de la prison, et le jetèrent dans une grande fosse. Godfrey pouvait voir maintenant qu’elle était remplie de corps, tous couverts de la même écharpe rouge.
« Et s’il essaye de courir ? » demandèrent les gardes avant de s’en aller.
Le garde au commandement esquissa un sourire cruel.
« Ne savez-vous donc pas ce que la peste fait à un homme ? » demanda-t-il. « Il sera mort d’ici au matin. »
Les deux gardes se tournèrent et s’éloignèrent ; Godfrey regarda la victime de la peste, étendue là toute seule dans cette fosse non surveillée, et il eut soudain une idée. C’était juste assez fou pour pouvoir peut-être fonctionner.
Godfrey se tourna vers Akorth et Fulton.
« Frappez-moi », dit-il.
Ils échangèrent un regard perplexe.
« J’ai dit frappez-moi ! » dit Godfrey.
Ils secouèrent la tête.
« Es-tu fou ? » demanda Akorth.
« Je ne vais pas te frapper », intervint Fulton, « même si tu le mérites peut-être. »
« Je vous dis de me frapper ! » exigea Godfrey. « Fort. Au visage. Cassez-moi le nez ! MAINTENANT ! »
Mais Akorth et Fulton se détournèrent.
« Tu as perdu la tête », dirent-ils.
Godfrey se tourna vers Merek et Ario, mais eux aussi reculèrent.
« Quel que soit le but », dit Merek, « je ne veux pas y prendre part. »
Soudain, un des autres prisonniers dans la cellule s’avança d’un air désinvolte vers Godfrey.
« Pas pu m’empêcher d’écouter », dit-il, esquissant un large sourire édenté, exhalant un souffle vicié tout autour de lui. « Je suis plus que ravi de te cogner, juste pour te faire taire ! Tu n’as pas à me le demander deux fois. »
Le prisonnier frappa, toucha directement le nez de Godfrey avec ses jointures osseuses, et Godfrey sentit une douleur aiguë traverser son crâne tandis qu’il poussait un cri et mettait la main sur son nez. Du sang giclait sur tout son visage et sur sa chemise. La douleur lui piquait les yeux, troublant sa vision.
« Maintenant j’ai besoin de cette écharpe », dit Godfrey en se tournant vers Merek. « Peux-tu me l’obtenir ? »
Merek, dérouté, suivit son regard à travers le hall, vers le prisonnier gisant inconscient dans la fosse.
« Pourquoi ? » demanda-t-il.
« Fais-le, tout simplement », dit Godfrey.
Merek fronça les sourcils.
« Si j’attachais quelques choses ensemble, peut-être que je pourrais l’atteindre », dit-il. « Quelque chose de long et fin. »
Merek leva la main, tâta son propre col, et en tira un fil de fer ; en le déroulant, il s’avéra être assez long pour s’adapter à son but.
Merek se pencha contre les barres de la prison, prudemment pour ne pas alerter le garde, et tendit le bras avec le