Correspondance, 1812-1876. Tome 4. Жорж Санд. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
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BARBÈS, A BELLE-ISLE EN MER

      Nohant, le 5 octobre 1854.

      Dieu soit béni pour avoir envoyé au dictateur cette bonne pensée, cette pensée de justice; car toute pensée de cette nature émane de la volonté de Dieu? Votre lettre, votre fragment de lettre cité dans les journaux est une pensée divine aussi; car Dieu veut qu'en dépit des erreurs de point de vue et des haines de parti, et de tous, les griefs fondés ou non, nous aimions la patrie. Comment n'aimerions-nous pas la nôtre, qui représente, à travers toutes les vicissitudes, les idées les plus avancées, de l'univers? Où est donc, ailleurs, le maître absolu qui sentirait qu'un patriotisme héroïque, inébranlable, dans le sein d'un homme enchaîné, est une raison plus forte que la raison d'État? Il faut gouverner des Français pour avoir cette lueur, de vérité, au milieu de l'enivrement du pouvoir.

      Acceptez, quoi qu'on vous dise; car il est des gens qui vous crieront de refuser, j'en suis sûre. Vous serez forcé, d'ailleurs! La prison ne reprend pas les victimes volontaires. Mais va-t-on vous conseiller de quitter la France? Non, ne le faites pas. Vous êtes libre sans conditions, cela est dit officiellement. Je ne pense pas qu'il y ait une porte de derrière pour vous exiler après cette parole?

      Restez donc en France, si les pouvoirs de second ordre ne vous chassent pas. Ils ne l'oseront pas, j'espère.

      Restez avec nous; on s'amoindrit à l'étranger, on voit faux, on s'aigrit; on arrive, par nostalgie, à maudire la patrie ingrate, et, par là, on devient ingrat soi-même. Venez à nous qui avons soif de vous voir; rappelez-vous ce rêve doux et déchirant que je faisais encore, pendant que vous étiez en jugement à Bourges: je vous appelais à Nohant, je voulais vous y garder longtemps, refaire votre santé ébranlée, et vous demander de me donner, à moi, cette santé morale qui ne vous a jamais abandonné. Venez, venez! dans huit ou dix jours, je serai à Paris pour une quinzaine, et je veux, de là, vous ramener à Nohant. Je vous y verrai, n'est-ce pas, tout de suite, à Paris? Écrivez-moi un mot, que je sache où vous êtes. Moi, je demeure rue Racine, 3, près l'Odéon.

      Il y aura des misérables, peut-être, qui diront que vous avez fait agir pour obtenir votre liberté. Oui, il y a, en tout temps, des calomniateurs, des lâches qui haïssent par instinct la candeur et la vertu. J'espère que vous n'allez pas vous occuper de cette fange. Moi, je me tiens sur la brèche pour cracher dessus; j'ai une lettre, une dernière lettre de vous, où vous me dites ce qu'il y a dans celle que l'empereur a lue. Je l'ai baisée avec respect, cette lettre qui me confirmait dans mon sentiment intime et profond de la patrie. Gardons-le, ce sentiment; défendons-le contre la hideuse joie d'une partie de notre parti. Rappelons-nous que l'on a tué la République en disant: «Tout! les Cosaques même, plutôt que le socialisme!» Affrontons avec courage ceux qui disent aujourd'hui: «Tout! les Cosaques mêmes, plutôt que l'Empire.» Et, si l'on nous dit que nous trahissons notre foi, tenez, rions-en, il n'y a pas autre chose à faire!—Mais, si vous ne pouvez pas en rire, vous dont le noble coeur a tant saigné, acceptez ceci comme un martyre de plus. Dieu vous rendra un jour la justice que vous refusent les hommes.

      J'attends avec impatience un mot de vous; si vous aviez vu comme Maurice était rayonnant en m'apportant cette nouvelle, ce matin, à mon réveil! Quelle joie dans la maison, même pour ceux qui ne vous connaissent pas!

      Si vous n'avez pas le temps d'écrire, faites-moi donner avis de ce que vous faites, par quelque ami.

      GEORGE SAND.

      CCCLXXXI

      AU MÊME

      Paris, 28 octobre 1854

      Mon ami,

      Vous vous calomniez quand vous dites: «J'ai agi dans un moment de surprise, en songeant plutôt à mes intérêts propres qu'à ceux de la cause.»

      Non, ce n'est pas comme cela: vous avez cru sacrifier encore une fois votre vie et votre repos à l'intérêt moral de la cause. Moi, j'aurais eu, j'avais une autre appréciation de cet intérêt. Votre action n'en est pas moins pure et moins belle. Mais laissez-moi vous dire mon sentiment. Il y a les belles actions, et les bonnes actions. La charité peut faire taire l'honneur même. Je ne dis pas le véritable honneur, celui qu'on garde intact et serein au fond de la conscience, mais l'honneur visible et brillant, l'honneur à l'état d'oeuvre d'art et de gloire historique. Cet honneur-là, de même que celui du coeur, s'est emparé de votre existence. Vous êtes déjà passé à l'état de figure historique et vous représentez, de nos jours, le type du héros, perdu dans notre triste société.

      Laissez-moi pourtant défendre la charité, cette vertu toute religieuse, toute intérieure, toute secrète peut-être, dont l'histoire ne parlera pas et qu'elle pourra même méconnaître absolument. Eh bien, selon moi, la charité vous criait: «Restez, taisez-vous! acceptez cette grâce; votre fierté chevaleresque rive les fers et les verrous des cachots. Elle condamne à l'exil éternel les proscrits de Décembre, à la mendicité ou à la misère dont on meurt, sans se plaindre, des familles entières, des familles nombreuses.»

      Ah! vous avez vécu dans votre force et dans votre sainteté! vous n'avez pas vu pleurer les femmes et les enfants?

      Dans ce cruel parti dont nous sommes, on blâme, on flétrit les pères de famille qui demandent à revenir gagner le pain de leurs enfants, cela est odieux. J'en ai vu rentrer, de ces malheureux, qui ont mieux aimé jurer de ne jamais s'occuper de politique sous l'Empire que d'abandonner leurs fils à la honte de la mendicité et leurs filles à celle de la prostitution; car vous savez bien que le résultat de l'extrême détresse; c'est la mort ou l'infamie.

      Ces farouches politiques! Ils exigeaient que tous leurs frères fussent des saints! En avaient-ils le droit? Vous seul peut-être aviez ce droit-là! mais l'a-t-on jamais? je ne me suis pas senti l'avoir, moi; j'ai fait rentrer ou sortir tant que j'ai pu: rentrer ceux que l'exil eût tués, sortir ceux qui en restant eussent été immolés. J'ai pu bien peu; je ne sais pas si on me le reproche, si quelques rigoristes le trouvent mauvais; ah! cela m'est bien égal! Je ne méprise pas les hommes qui ne sont pas des héros et des saints. Il me faudrait mépriser trop de gens, et moi-même, dont les entrailles ne peuvent pas s'endurcir au spectacle de la souffrance.

      Et puis, je ne suis pas bien sûre que ceux qui ont sacrifié leur activité, leur carrière, leur avenir politique, leur réputation même, n'aient pas été, en certaines circonstances, les vrais saints et les vrais martyrs. L'intolérance et le soupçon, l'orgueil et le mépris, voilà de tristes chemins pour marcher vers le temple de la Fraternité!

      Et puis encore, je vous disais, je crois, que toute bonne pensée vient de Dieu. S'il en envoie à nos adversaires, devons-nous y répondre par le dédain? si nous le faisons, quand reviendront-elles, ces pensées de justice et de réparation? Nous ne voulons pas que ce joug devienne moins lourd. Nous sommes fiers, de la force de nos fronts, nous ne songeons pas aux faibles qui succombent!

      Vous allez me trouver trop femme, je le sens bien. Mais je suis femme, et je ne peux pas en rougir, devant vous surtout, qui avez tant de tendresse et de piété dans le coeur.

      Maintenant, vais-je trop loin dans l'amour de l'abnégation, et, vous, avez-vous été trop loin dans l'amour de votre propre dignité? Que Dieu, qui sait nos intentions pures, pardonne à celui de nous qui se trompe. Dans un monde plus brillant et plus libre, comme ceux que nous promet Jean Reynaud, nous verrons plus clair et nous agirons avec plus de certitude. Le but pour nous dans ce purgatoire qu'il nous attribue, c'est d'agir selon nos forces et nos croyances, de manière à pouvoir monter toujours.

      J'ai à cet égard une sérénité d'espérance qui m'a toujours soutenue ou consolée, et je vous donne rendez-vous avec confiance dans un astre mieux éclairé, où nous reparlerons-de ces petits événements d'aujourd'hui qui nous paraissent si grands.

      Nous reverrons-nous dans celui-ci? Je l'ignore. Mille choses disent oui, mille autres choses disent non. Si nous avions pu causer à Nohant, je vous aurais dit le livre que vous avez à faire et que vous ferez quand même, lorsqu'un peu de calme et de repos vous aura fait apparaître dans son ensemble et dans sa signification le résumé de votre propre mission.

      Ce