— Tout est relatif, murmura-t-elle en sortant du taxi, entourée de son escorte policière.
Les deux sergents la menèrent à l’intérieur, et dès qu’elle eut franchi le seuil, elle parcourut l’entrée d’un regard choqué : la maison de Levexitor aurait pu donner à un simple taudis des airs de palace. Des tas de détritus jonchaient le sol, à tel point qu’on peinait à se déplacer, et elle dut éviter soigneusement de petits ruisselets d’un immonde fluide jaunâtre. Des gouttelettes graisseuses d’un produit visqueux inidentifiable suintaient le long des murs. Rabinowitz était certaine que la puanteur lui aurait fait perdre connaissance si son corps artificiel avait été en mesure de transmettre les odeurs. Par chance, il se contentait d’une alarme pour l’alerter de la présence de fumée ou de produits corrosifs.
— C’est qui, son décorateur ? demanda-t-elle à voix haute. La compagnie des marais et des eaux usées ?
Cette maison offrait un tel contraste, tant avec la propreté des rues qu’avec l’austérité de l’holospace de Levexitor, que Rabinowitz eut soudain l’impression de se trouver sur une autre planète. Mais à la réflexion, elle connaissait beaucoup de gens sur Terre dont l’holospace n’avait rien à voir avec leur maison ou leur bureau.
— Son personnel devait être particulièrement incompétent, poursuivit-elle.
— Le Grandissime Levexitor vivait seul ici, expliqua Dellor. Son seul employé était son assistant, Dahb Chalnas.
— Tout seul ? Sans le moindre domestique ? Un citoyen aussi grand et important que le Grandissime Levexitor ?
— L’un des avantages à être aussi grand, répondit le sergent, c’est justement d’avoir l’autorisation de vivre seul.
Rabinowitz hocha la tête d’un air songeur — du moins, elle essaya : le mouvement fit s’agiter d’une manière incontrôlable son lourd corps métallique.
— Je vois, dit-elle. Bon, montrez-moi ce que vous vouliez me faire voir, que je puisse rapporter ce corps à l’agence. Ils devront le baigner dans l’acide avant qu’il puisse servir à nouveau.
Dellor lui fit traverser plusieurs pièces, chacune plus répugnante que la première, puis s’arrêta enfin et déclara :
— Voici la pièce où le Grandissime Levexitor a été assassiné.
L’unique point commun entre cette pièce et l’holospace de Levexitor était la haute table de travail et son plateau électronique, identique à celle devant laquelle il se tenait au moment de sa mort.
— Ça ne ressemble pas du tout à ce que j’ai vu.
— Cela n’a rien d’étonnant. Dites-nous ce que vous avez vu.
— Le Grandissime Levexitor se tenait derrière sa table. Il me parlait. De temps en temps, il mettait plusieurs secondes à me répondre ; je pense qu’il sortait brièvement de l’holospace pour s’adresser à une personne présente physiquement dans son bureau. En plein milieu de notre conversation, il a soudain levé les yeux, poussé un petit cri et s’est effondré sur la table. J’ai regardé partout, mais je n’ai vu personne d’autre dans l’holospace. Puis le corps du Grandissime s’est redressé — j’imagine que son meurtrier a soulevé son corps physique pour accéder à son holojecteur — et j’ai vu des mains invisibles presser les boutons. Puis la connexion a été coupée, et j’étais de nouveau chez moi.
Dellor resta un instant silencieux, puis déclara :
— Voilà qui confirme notre théorie. Veuillez accepter notre gratitude pour votre collaboration. Nous allons vous raccompagner à l’agence de location.
— Attendez ! C’est tout ? Vous payez pour me faire venir ici, vous me faites subir tout ce cirque pour louer un corps, vous m’emmenez dans cet égout nauséabond… Et tout ça pour passer deux minutes dans cette pièce en vous répétant ce que je vous ai déjà raconté au téléphone ?
— C’est exact.
— Et dites-moi, quelle est votre théorie ?
— Ce n’est pas votre affaire.
— Eh bien j’en fais mon affaire !
Elle se dressa devant lui de toute sa hauteur, le toisant d’un air qu’elle espérait impérieux et glacial.
— Et si vous espérez grandir un jour, vous allez à votre tour en faire mon affaire.
Dellor hésita un instant, puis répliqua :
— Cette affaire est extrêmement simple, elle ne mérite même pas votre intérêt. Une seule personne a pu commettre le crime.
— Dites-moi.
— Le coupable ne peut qu’être Dahb Chalnas, l’assistant de Levexitor. Nous l’avons déjà arrêté, il ne devrait pas tarder à avouer.
— Je vois. Le coupable est le majordome. Comment en êtes-vous arrivés à cette ahurissante révélation ?
— Ce n’était pas difficile : seul Chalnas avait accès à la maison.
— Le Grandissime n’aurait-il pas pu laisser entrer quelqu’un d’autre ?
— Comme pour la plupart des citoyens de sa stature, sa vie privée avait trop d’importance pour lui. Il n’aurait jamais fait entrer un visiteur en personne alors qu’il était possible de le recevoir par holojection.
— Sauf s’il s’agissait d’un sujet dont il ne voulait pas discuter sur les ondes, songea Rabinowitz à voix haute.
Dellor l’observa un instant, puis demanda :
— Détenez-vous la preuve qu’un sujet aussi délicat ait pu exister ?
— Non. Pas de preuves. Mais pourquoi êtes-vous si convaincu de la culpabilité de Chalnas ? Il a toujours été si calme, si timide…
— Madame Rabinowitz, vous êtes une étrangère sur Jenithar. Vous ne connaissez pas nos coutumes. Les citoyens d’aussi basse extraction que Chalnas nourrissent souvent des désirs perfides envers leurs supérieurs. Je l’ai vu bien trop souvent : un petit assassine un grand sans autre raison que la rage et la frustration. Peut-être est-ce un triste constat sur notre civilisation, mais c’est un fait et nous devons vivre avec.
— Avec quoi l’a-t-il frappé ?
— Je vous demande pardon ?
— Si Chalnas était beaucoup plus petit que Levexitor, il n’était probablement pas assez puissant pour le tuer à mains nues. Quelle est l’arme du crime ?
Le sergent ne se laissa pas démonter :
— Chalnas a pu se servir de n’importe quel objet contondant, puis l’avoir emporté pour s’en débarrasser. Comme vous pouvez le voir, il est impossible de déterminer s’il manque quelque chose dans la maison. Je vous prie de me croire : Chalnas est notre coupable, cela ne fait aucun doute.
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