F. Chopin. Ференц Лист. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Ференц Лист
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Биографии и Мемуары
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conserve plus aucune de ses terrestres faiblesses. Elle s'arrache de ce sol moite de sang et de larmes, elle s'élance vers le ciel et s'adresse au Juge suprême, trouvant pour l'implorer des supplications si ferventes que le cœur de quiconque les écoute se brise sous une auguste compassion. La mélopée funèbre, quoique si lamentable, est d'une si pénétrante douceur qu'elle semble ne plus venir de cette terre. Des sons qu'on dirait attiédis par la distance imposent un suprême recueillement, comme si, chantés par les anges eux-mêmes, ils flottaient déjà là-haut aux alentours du trône divin.

      On aurait cependant tort de croire que toutes les compositions de Chopin sont dépourvues des émotions dont il a dépouillé ce sublime élan, que l'homme n'est peut-être pas à même de ressentir constamment avec une aussi énergique abnégation et une aussi courageuse douceur. De sourdes colères, des rages étouffées, se rencontrent dans maints passages de ses œuvres. Plusieurs de ses Études, aussi bien que ses Scherzos, dépeignent une exaspération concentrée, un désespoir tantôt ironique, tantôt hautain. Ces sombres apostrophes de sa muse ont passé plus inaperçues et moins comprises que ses poèmes d'un plus tranquille coloris, en provenant d'une région de sentiments où moins de personnes ont pénétré, dont moins de cœurs connaissent les formes d'une irréprochable beauté. Le caractère personnel de Chopin a pu y contribuer aussi. Bienveillant, affable, facile dans ses rapports, d'une humeur égale et enjouée, il laissait peu soupçonner les secrètes convulsions qui l'agitaient.

      Ce caractère n'était pas facile à saisir. Il se composait de mille nuances qui, en se croisant, se déguisaient les unes les autres d'une manière indéchiffrable a prima vista. Il était aisé de se méprendre sur le fond de sa pensée, comme avec les slaves en général chez qui la loyauté et l'expansion, la familiarité et la captante desinvoltura des manières, n'impliquent nullement la confiance et l'épanchement. Leurs sentiments se révèlent et se cachent, comme les replis d'un serpent enroulé sur lui-même; ce n'est qu'en les examinant très attentivement qu'on trouve l'enchaînement de leurs anneaux. Il y aurait de la naïveté à prendre au mot leur complimenteuse politesse, leur modestie prétendue. Les formules de cette politesse et de cette modestie tiennent à leurs mœurs, qui se ressentent singulièrement de leurs anciens rapports avec l'orient. Sans se contagier le moins du monde de la taciturnité musulmane, les slaves ont appris d'elle une réserve défiante sur tous les sujets qui tiennent aux cordes délicates et intimes du cœur. On peut à peu près être certain qu'en parlant d'eux-mêmes, ils gardent toujours vis-à-vis de leur interlocuteur des réticences qui leur assurent sur lui un avantage d'intelligence ou de sentiment, en lui laissant ignorer telle circonstance ou tel mobile secret par lesquels ils seraient le plus admirés ou le moins estimés; ils se complaisent à le dérober sous un sourire fin, interrogateur, d'une imperceptible raillerie. Ayant en toute occurrence du goût pour le plaisir de la mystification, depuis les plus spirituelles et les plus bouffonnes jusqu'aux plus amères et aux plus lugubres, on dirait qu'ils voient dans cette moqueuse supercherie une formule de dédain à la supériorité qu'ils s'adjugent intérieurement, mais qu'ils voilent avec le soin et la ruse des opprimés.

      L'organisation chétive et débile de Chopin ne lui permettant pas l'expression énergique de ses passions, il ne livrait à ses amis que ce qu'elles avaient de doux et d'affectueux. Dans le monde pressé et préoccupé des grandes villes, où nul n'a le loisir de deviner l'énigme des destinées d'autrui, où chacun n'est jugé que sur son attitude extérieure, bien peu songent à prendre la peine de jeter un coup d'œil qui dépasse la superficie des caractères. Mais ceux que des rapports intimes et fréquents rapprochaient du musicien polonais, avaient occasion d'apercevoir à certains moments l'impatience et l'ennui qu'il ressentait d'être si promptement cru sur parole. L'artiste, hélas! ne pouvait venger l'homme!… D'une santé trop faible pour trahir cette impatience par la véhémence de son jeu, il cherchait à se dédommager en entendant exécuter par un autre, avec la vigueur qui lui faisait défaut, ses pages dans lesquelles surnagent les rancunes passionnées de l'homme plus profondément atteint par certaines blessures qu'il ne lui plaît de l'avouer, comme surnageraient autour d'une frégate pavoisée, quoique près de sombrer, les lambeaux de ses flancs arrachés par les flots.

      Un après-dîner, nous n'étions que trois. Chopin avait longtemps joué; une des femmes les plus distinguées de Paris se sentait de plus en plus envahie par un pieux recueillement, pareil à celui qui saisirait à la vue des pierres mortuaires jonchant ces champs de la Turquie, dont les ombrages et les parterres promettent de loin un jardin riant au voyageur surpris. Elle lui demanda d'où venait l'involontaire respect qui inclinait son cœur devant des monuments, dont l'apparence ne présentait à la vue qu'objets doux et gracieux? De quel nom il appellerait le sentiment extraordinaire qu'il renfermait dans ses compositions, comme des cendres inconnues dans des urnes superbes, d'un albâtre si fouillé?… Vaincu par les belles larmes qui humectaient de si belles paupières, avec une sincérité rare dans cet artiste si ombrageux sur tout ce qui tenait aux intimes reliques qu'il enfouissait dans les châsses brillantes de ses œuvres, il lui répondit que son cœur ne l'avait pas trompée dans son mélancolique attristement, car quels que fussent ses passagers égayements, il ne s'affranchissait pourtant jamais d'un sentiment qui formait en quelque sorte le sol de son cœur, pour lequel il ne trouvait d'expression que dans sa propre langue, aucune autre ne possédant d'équivalent au mot polonais de Zal! En effet, il le répétait fréquemment, comme si son oreille eût été avide de ce son qui renfermait pour lui toute la gamme des sentiments que produit une plainte intense, depuis le repentir jusqu'à la haine, fruits bénis ou empoisonnés de cette âcre racine.

      Zal! Substantif étrange, d'une étrange diversité et d'une plus étrange philosophie! Susceptible de régimes différents, il renferme tous les attendrissements et toutes les humilités d'un regret résigné et sans murmure, aussi longtemps que son régime direct s'applique aux faits et aux choses. Se courbant, pour ainsi dire, avec douceur devant la loi d'une fatalité providentielle, il se laisse traduire alors par, «regret inconsolable après une perte irrévocable». Mais, sitôt qu'il s'adresse à l'homme et que son régime devient indirect, en affectant une préposition qui le dirige vers celui-ci ou celle-là, il change aussitôt de physionomie et n'a plus de synonyme ni dans le groupe des idiomes latins, ni dans celui des idiomes germains.—D'un sentiment plus élevé, plus noble, plus large que le mot «grief», il signifie pourtant le ferment de la rancune, la révolte des reproches, la préméditation de la vengeance, la menace implacable grondant au fond du cœur, soit en épiant la revanche, soit en s'alimentant d'une stérile amertume! Oui vraiment, le Zal! colore toujours d'un reflet tantôt argenté, tantôt ardent, tout le faisceau des ouvrages de Chopin. Il n'est même pas absent de ses plus douces rêveries.

      Ces impressions ont eu d'autant plus d'importance dans la vie de Chopin, qu'elles se sont manifestées sensiblement dans ses derniers ouvrages. Elles ont peu à peu atteint une sorte d'irascibilité maladive, arrivée au point d'un tremblement fébrile. Celui-ci se révèle dans quelques-uns de ses derniers écrits par un contournement de sa pensée, qu'on est parfois plus peiné que surpris d'y rencontrer.—Suffoquant presque sous l'oppression de ses violences réprimées, ne se servant plus de l'art que pour se donner à lui-même sa propre tragédie, après avoir d'abord chanté son sentiment, il se prit à le dépecer. On retrouve dans les feuilles qu'il a publiées sous ces influences quelque chose des émotions alambiquées de Jean-Paul, auquel il fallait les surprises causées par les phénomènes de la nature et de la physique, les sensations d'effroi voluptueux dues à des accidents imprévoyables dans l'ordre naturel des choses, les morbides surexcitations d'un cerveau halluciné, pour remuer un cœur macéré de passions et blasé sur la souffrance.

      La mélodie de Chopin devient alors tourmentée; une sensibilité nerveuse et inquiète amène un remaniement de motifs d'une persistance acharnée, pénible comme le spectacle des tortures que causent ces maladies de l'âme ou du corps qui n'ont que la mort pour remède. Chopin était en proie à un de ces mals qui, empirant d'année en année, l'a enlevé jeune encore. Dans les productions dont nous parlons, on retrouve les traces des douleurs aiguës qui le dévoraient, comme on trouverait dans un beau corps celles des griffes d'un oiseau de proie. Ces œuvres cessent-elles pour cela d'être belles? L'émotion qui les inspire, les formes qu'elles prennent pour s'exprimer, cessent-elles d'appartenir au domaine du grand