Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 1. Charles Athanase Walckenaer. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Charles Athanase Walckenaer
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Биографии и Мемуары
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beauté dans la même situation qu'il avait trouvée si pénible, et que la violence de son amour lui faisait trouver digne d'envie depuis qu'il en était déchu. Pour se délivrer de ses instances, elle lui fit connaître qu'elle avait trop d'orgueil pour avoir contre lui de la haine ou de la colère, et qu'elle le servirait pour son avancement, auprès de son beau-père, plus ouvertement qu'auparavant; mais qu'il ne fallait plus qu'il songeât à elle: qu'elle se considérait comme entièrement dégagée, et que si elle ne l'était pas, elle ferait les plus grands efforts pour l'être.

      Ces derniers mots ayant réveillé dans le cœur de Bussy une faible espérance, il essaya de nouveau tout ce que les prières et les larmes ont de plus touchant, tout ce que les protestations d'une ardente passion ont de plus persuasif. Tout fut inutile. Mademoiselle de Romorantin se montra inflexible, et la fermeté de ses paroles ne permit plus de douter de la fixité de ses résolutions.

      Bussy s'attacha alors à celle qui avait conçu pour lui l'amour le plus passionné; mais celle-ci devint excessivement jalouse de mademoiselle de Romorantin, quoique Bussy se réduisit à l'égard de cette dernière aux termes de la simple amitié. Elle voulut exiger qu'il ne la vît point et qu'il cessât d'aller chez madame du Hallier. Bussy ne voulut point céder à cette exigence. Elle prit d'autres résolutions, et fit entendre à mademoiselle de Romorantin qu'elle savait que Bussy lui avait parlé de son amour, qu'il avait offert de lui en faire le sacrifice, et qu'elle n'avait pas voulu l'accepter. Mademoiselle de Romorantin, sans se déconcerter, lui dit qu'elle ne savait pas si Bussy était discret; mais qu'elle avait peine à croire qu'il fût menteur, et qu'elle lui parlerait de cette affaire148. Alors la dame, prévoyant que sa ruse serait bientôt découverte, se repentit de l'avoir employée. Elle en fit l'aveu à Bussy, en fondant en larmes. Bussy lui dit qu'il n'y avait pas d'autre moyen de réparer sa faute que d'aller faire à mademoiselle de Romorantin la confidence de sa liaison avec lui et de toutes ses faiblesses, et de lui demander pardon de l'offense que les tourments de la jalousie lui avaient fait commettre. La dame suivit d'autant plus volontiers ce conseil, qu'elle y vit un moyen d'empêcher Bussy de tromper mademoiselle de Romorantin sur la nature de leur liaison, et de mettre l'orgueil de sa rivale dans l'intérêt de sa passion. La confession qu'elle fit donna ensuite lieu à un entretien entre Bussy et mademoiselle de Romorantin, qui nous prouve combien à cette époque il y avait dans la haute classe de liberté dans le commerce entre les deux sexes, et jusqu'où pouvait aller la licence des entretiens avec les nobles demoiselles et les dames auxquelles on devait le plus de respect149.

      Ce fut la dernière conversation que Bussy eut avec mademoiselle de Romorantin. Le lendemain, elle partit avec sa mère. Bussy nous dit qu'il ne l'a pas revue depuis, et il n'en fait plus mention dans ses Mémoires. Nous savons cependant par d'autres qu'elle tint tout ce que le récit de Bussy pouvait faire présumer d'elle. Peu de mois après avoir quitté Châlons, elle épousa (le 4 novembre 1639) Claude de Pot, seigneur de Rhodes, grand maître des cérémonies de France. Elle devint veuve en 1650, fut mêlée à toutes les affaires de la Fronde, eut des liaisons particulières avec le garde des sceaux Châteauneuf, et de plus intimes encore avec le duc de Beaufort, et mourut à Paris, le 15 juillet 1652, à l'âge de trente-trois ans, laissant la réputation d'une des femmes les plus galantes et les plus intrigantes de son temps150.

      Le départ de mademoiselle de Romorantin causa une grande joie à la maîtresse de Bussy, qui crut être par là délivrée de tout motif de tourment. Elle se trompait. La jalousie s'attache à l'amour comme l'envie au bonheur, pour en troubler toutes les jouissances; et lorsque la destinée se complaît à écarter les causes qui pourraient alimenter ces deux passions haineuses, elles s'en créent d'imaginaires, qui produisent des angoisses aussi douloureuses que si elles étaient réelles.

      Le père de Bussy n'ignorait pas la liaison amoureuse de son fils à Châlons. Il lui écrivit qu'il y avait dans cette ville une fille riche, qui donnerait en dot à son mari quatre cent mille francs, et qu'il ferait bien de ne pas laisser échapper une aussi belle fortune; que c'était une occasion de mettre à profit le talent de plaire aux dames, qu'il paraissait avoir acquis. Bussy trouva l'avis de son père fort bon, résolut de le suivre, et chercha à se dégager des liens qui l'enchaînaient.

      D'après les dispositions où se trouvait Bussy, ce fut avec satisfaction qu'il vit arriver le temps d'entrer en campagne: il se rendit à l'armée devant Thionville, qu'assiégeait M. de Feuquières.

      L'hiver suivant (en 1640), Bussy fut envoyé en garnison à Moulins, où il eut une nouvelle intrigue avec une comtesse qu'il eut à disputer au marquis de Mauny, fils du maréchal de la Ferté, et au fils d'Arnauld d'Andilly, alors militaire, depuis abbé, le même qui fut lié avec madame de Sévigné, et dont nous avons les Mémoires.

      Quelque forts que fussent les attachements de Bussy, jusqu'ici aucun n'avait duré plus longtemps que son séjour dans la ville où il les contractait; lorsqu'il cessait d'y être en garnison ou qu'il fallait se rendre à l'armée, il reprenait sa liberté, et il n'était plus question de rien. Il n'en fut pas de même de l'amour qu'il éprouva pour une de ses parentes. Il venait de passer cinq mois en captivité à la Bastille; on l'avait rendu responsable de la conduite de son régiment, qui à Moulins avait pratiqué le faux saunage, et donné lieu à de grandes plaintes de la part de l'administration des gabelles. Cette rigueur, qui était méritée, puisque son absence des lieux où son devoir l'obligeait à résider était la principale cause du désordre, lui parut injuste. Il vint à la cour en 1642, dans l'intention de quitter le service; et, en attendant quelque occasion favorable d'y rentrer, il résolut de chercher fortune par un mariage. Ennemi de toute contrainte, il eût désiré rester garçon; mais il voulut satisfaire son père, qui désirait fortement le voir établi. «J'aurais voulu, dit-il, de ces mariages de riches veuves qui s'entêtent d'un beau garçon, et qu'on m'eût pris avec mes droits, sans demander autre chose.» Son nouvel amour vint fort mal à propos contrarier les desseins de son père et ses propres résolutions. Sa parente était fort belle, mais n'avait point de fortune. «Croyant d'abord, dit-il, m'amuser, en attendant que j'eusse rencontré quelque bon parti, je finis par en devenir amoureux. Dans les commencements de ma passion, je fus assez mon maître pour ne la vouloir point épouser, ne désirant pas me ruiner pour l'amour d'elle; et quand l'amour m'eut mis en état de ne plus songer à mes intérêts, je songeai aux siens, et je ne voulus pas la rendre malheureuse en l'épousant malgré mon père, ni la ruiner pour l'amour de moi… Et sur cela j'admire la bizarrerie de mon amour, qui n'avait d'autre but que soi-même; car je ne voulais ni débaucher ma maîtresse ni l'épouser.»

      La parente de Bussy répondait sans aucun détour à sa tendresse, et se livrait avec lui à d'innocentes caresses avec la plus intime confiance et le plus entier abandon. Il arriva un jour que, dans un de ces entretiens qui les rendaient si heureux, Bussy, emporté par son désir amoureux, parut vouloir oublier ses généreuses résolutions; et elle, se sentant aussi incapable d'opposer aucune résistance, prit une attitude suppliante, et lui dit: «Vous êtes le maître, mon cousin, si vous le voulez absolument; mais vous ne le voudrez pas si vous désirez me donner la plus grande marque d'amour qui soit en votre pouvoir…» Et cette marque d'amour, si difficile à donner dans un tel moment, il la lui donna151. Ce fut un beau trait de Bussy, et peu d'accord avec la conduite de toute sa vie. Il nous montre qu'il a du moins une fois éprouvé ce sentiment si rare qui rend l'âme, plus que les sens, avide des jouissances qu'il procure, et qui ne s'empare du cœur que pour en chasser tous les penchants impurs et n'y plus laisser de place qu'aux vertus généreuses.

      Cependant l'amour que Bussy inspirait à sa parente ne paraît pas avoir été égal à celui qu'il ressentait pour elle. Dès qu'elle eut appris que le père et la mère de Bussy, inquiets de la liaison de leur fils avec elle, s'étaient hâtés d'arrêter son mariage avec Gabrielle de Toulongeon, elle rompit tout commerce avec son cousin, et son attachement sembla cesser dès qu'elle eut perdu l'espoir de devenir sa femme. Bussy en fut surpris, et profondément affligé. Son père, craignant qu'il n'en tombât malade, l'emmena avec lui en Normandie, afin de chercher à le distraire.

      Les préliminaires du mariage de Bussy traînaient en longueur,


<p>148</p>

BUSSY, Supplément aux Mémoires, partie I, p. 17.

<p>149</p>

Ibid., p. 18.

<p>150</p>

NEMOURS, Mémoires, t. XXXIV, p. 460.—MOTTEVILLE, Mémoires, t. XXXVIII, p. 173.—PETITOT, Introduction aux Mémoires sur la Fronde, t. XXXV, p. 145.—RETZ, Mémoires, I. XLV, p. 37, 105, 115, 147, 157, 186, 187, 192.—JOLY, Mém., t. XLVII, p. 105.—LORET, Muse historique, 15 octobre 1650, t. I, p. 63.—SÉVIGNÉ, lettre en date du 25 février 1685, t. VII, p. 34.

<p>151</p>

BUSSY-RABUTIN, Mémoires, t. I, p. 91.—Ibid., in-4o, t. I, p. 112.