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voir. Cela fit qu'elle voulut s'éloigner de lui.

      Alors le parrain Drosselmayer se mit à rire aux éclats en disant:

      – Pardieu! ma chère filleule, je ne comprends pas comment une jolie petite fille comme toi peut être aussi aimable pour cet affreux petit bonhomme.

      Alors Marie se retourna; et, comme, dans son amour du prochain, le compliment que lui faisait son parrain n'établissait pas une compensation suffisante avec l'injuste attaque adressée à son casse-noisette, elle se sentit, contre son naturel; prisé d'une grande colère, et cette vague comparaison qu'elle avait déj faite de son parrain avec le petit homme au manteau de bois lui revenant à l'esprit:

      – Parrain Drosselmayer, dit-elle, vous êtes injuste envers mon pauvre petit casse-noisette, que vous appelez un affreux petit bonhomme; qui sait même si vous aviez sa jolie petite polonaise, sa jolie petite culotte et ses jolies petites bottes, qui sait si vous auriez aussi bon air que lui?

      A ces mots, les parents de Marie se mirent à rire, et le nez du conseiller de médecine s'allongea prodigieusement.

      Pourquoi le nez du conseiller de médecine s'était-il allong ainsi, et pourquoi le président et la présidente avaient-ils éclaté de rire? C'est ce dont Marie, étonnée de l'effet que sa réponse avait produit, essaya vainement de se rendre compte.

      Or, comme il n'y a pas d'effet sans cause, cet effet se rattachait sans doute à quelque cause mystérieuse et inconnue qui nous sera expliquée par la suite.

      Choses merveilleuses

      Je ne sais, mes chers petits amis, si vous vous rappelez que je vous ai dit un mot de certaine grande armoire vitrée dans laquelle les enfants enfermaient leurs joujoux. Cette armoire se trouvait à droite en entrant dans le salon du président. Marie était encore au berceau, et Fritz marchait à peine seul quand le président avait fait faire cette armoire par un ébéniste fort habile, qui l'orna de carreaux si brillants, que les joujoux paraissaient dix fois plus beaux, rangés sur les tablettes, que lorsqu'on les tenait dans les mains. Sur le rayon d'en haut, que ni Marie ni même Fritz ne pouvaient atteindre, on mettait les chefs-d'oeuvre du parrain Drosselmayer. Immédiatement au-dessous était le rayon des livres d'images; enfin, les deux derniers rayons étaient abandonnés à Fritz et à Marie, qui les remplissaient comme ils l'entendaient. Cependant il arrivait presque toujours, par une convention tacite, que Fritz s'emparait du rayon supérieur pour en faire le cantonnement de ses troupes, et que Marie se réservait le rayon d'en bas pour ses poupées, leurs ménages et leurs lits. C'est ce qui était encore arrivé le jour de la Noël; Fritz rangea ses nouveaux venus sur la tablette supérieure, et Marie, après avoir relégué mademoiselle Rose dans un coin, avait donné sa chambre à coucher et son lit mademoiselle Claire, c'était le nom de la nouvelle poupée, et s'était invitée à passer chez elle une soirée de sucreries. Au reste, Mademoiselle Claire, en jetant les yeux autour d'elle, en voyant son ménage bien rangé sûr les tablettes, sa table chargée de bonbons et de pralines, et surtout son petit lit blanc avec son couvre-pieds de satin rose si frais et si joli, avait paru fort satisfaite de son nouvel appartement.

      Pendant tous ces arrangements, la soirée s'était fort avancée; il allait être minuit, et le parrain Drosselmayer était déjà parti depuis longtemps; qu'on n'avait pas encore pu arracher les enfants devant leur armoire.

      Contre l'habitude, ce fut Fritz qui rendit le premier aux raisonnements de ses parents, qui lui faisaient observer qu'il était temps de se coucher.

      – Au fait, dit-il, après l'exercice qu'ils ont fait toute l soirée, mes pauvres diables de hussards doivent être fatigués; or, je lès connais, ce sont de braves soldats qui connaissent leur devoir envers moi; et comme, tant que je serai là; il n'y en aurait pas un qui se permettrait de fermer l'oeil, je vais me retirer.

      Et, à ces mots; après leur avoir donné le mot d'ordre pour qu'ils ne fussent pas surpris par quelque patrouille ennemie, Fritz se retira effectivement.

      Mais il n'en fut pas ainsi de Marie; et comme la présidente, qui avait hâte de rejoindre son mari qui était déjà passé dans sa chambre, l'invitait à se séparer de sa chère armoire:

      – Encore un instant, un tout petit instant; chère maman, dit-elle, laisse-moi finir mes affaires; j'ai encore une foule de choses importantes à terminer; et, dès que j'aurai fini, je te promets que j'irai me coucher.

      Marie demandait cette grâce d'une voix si suppliante, d'ailleurs c'était une enfant à la fois si obéissante et si sage, que sa mère ne vit aucun inconvénient à lui accorder ce qu'elle désirait; cependant, comme mademoiselle Trudchen était déj remontée pour préparer le coucher de la petite fille, de peur que celle-ci, dans la préoccupation que lui inspirait la vue de ses nouveaux joujoux, n'oubliât de souffler les bougies, la présidente s'acquitta elle-même de ce soin, ne laissant brûler que la lampe du plafond, laquelle répandait dans la chambre une douce et pâle lumière, et se retira à son tour en disant:

      – Rentre bientôt, chère petite Marie, car, si tu restais trop tard, tu serais fatiguée, et peut-être ne pourrais-tu plus te lever demain.

      Et, à ces mots, la présidente sortit du salon et ferma la porte derrière elle.

      Dès que Marie se trouva seule, elle en revint à la pensée qui la préoccupait avant toutes les autres, c'est-à-dire à son pauvre petit casse-noisette, qu'elle avait toujours continué de porter sur son bras, enveloppé dans son mouchoir de poche. Elle le déposa doucement sur la table, le démaillotta et visita ses blessures. Le casse-noisette avait l'air de beaucoup souffrir, et paraissait fort mécontent.

      – Ah! cher petit bonhomme, dit-elle bien bas, ne sois pas en colère, je t'en prie, de ce que mon frère Fritz t'a fait tant de mal; il n'avait pas mauvaise intention, sois-en bien sûr; seulement, ses manières sont devenues un peu rudes, et son coeur s'est tant soit peu endurci dans sa vie de soldat. C'est, du reste, un fort bon garçon, je puis te l'assurer, et je suis convaincue que, lorsque tu le connaîtras davantage, tu lui pardonneras. D'ailleurs, par compensation du mal que mon frère t'a fait, moi, je vais te soigner si bien et si attentivement, que, d'ici à quelques jours, tu seras redevenu joyeux et bien portant. Quant à te replacer les dents et à te rattacher le menton, c'est l'affaire du parrain Drosselmayer, qui s'entend très bien à ces sortes de choses.

      Mais Marie ne put achever son petit discours. Au moment où elle prononçait le nom du parrain Drosselmayer, le casse-noisette, auquel ce discours s'adressait, fit une si atroce grimace, et il sortit de ses deux yeux verts un double éclair si brillant, que la petite fille, tout effrayée, s'arrêta et fit un pas en arrière. Mais, comme aussitôt la casse-noisette reprit sa bienveillante physionomie et son mélancolique sourire, elle pensa qu'elle avait été le jouet d'une illusion, et que la flamme de la lampe, agitée par quelque courant d'air, avait défiguré ainsi le petit bonhomme.

      Elle en vint même à se moquer d'elle-même et à se dire:

      – En vérité, je suis bien sotte d'avoir pu croire un instant que cette figure de bois était capable de me faire des grimaces. Allons, rapprochons-nous de lui et soignons-le comme son état l'exige.

      Et, à la suite de ce monologue intérieur, Marie reprit son protégé entre ses bras, set rapprocha de l'armoire vitrée, frappa à la porte qu'avait fermée Fritz, et dit à la poupée neuve:

      – Je t'en prie, mademoiselle Claire, abandonne ton lit à mon casse-noisette qui est malade, et, pour une nuit, accommode-toi du sofa; songe que tu te portes à merveille et que tu es pleine de santé, comme le prouvent tes joues rouges et rebondies. D'ailleurs, une nuit est bientôt passée; le sofa est bon, et il n'y aura pas encore à Nuremberg beaucoup de poupées aussi bien couchées que toi.

      Mademoiselle Claire, comme on le pense bien, ne souffla pas le mot; mais il sembla à Marie qu'elle prenait un air fort pincé et fort maussade. Mais Marie, qui trouvait, dans sa conscience, qu'elle avait pris avec mademoiselle Claire tous les ménagements convenables, ne fit pas davantage de façons avec elle, et, tirant le lit à elle, elle y coucha avec beaucoup de soin le casse-noisette malade, lui ramenant les draps jusqu'au menton. Alors elle réfléchit qu'elle ne connaissait pas encore le fond du caractère de mademoiselle