La Comédie humaine - Volume 05. Scènes de la vie de Province - Tome 01. Honore de Balzac. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Honore de Balzac
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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consultant de l'Empereur en 1805, avait dû gagner beaucoup d'argent, mais personne ne connaissait sa fortune; il vivait simplement, sans autres dépenses que celles d'une voiture à l'année et d'un somptueux appartement; il ne recevait jamais et dînait presque toujours en ville. Sa gouvernante, furieuse de ne pas l'accompagner à Nemours, dit à Zélie Levrault, la femme du maître de poste, qu'elle connaissait au docteur quatorze mille francs de rentes sur le grand-livre. Or, après vingt années d'exercice d'une profession que les titres de médecin en chef d'un hôpital, de médecin de l'Empereur et de membre de l'Institut rendaient si lucrative, ces quatorze mille livres de rentes, fruit de placements successifs, accusaient tout au plus cent soixante mille francs d'économies! Pour n'avoir épargné que huit mille francs par an, le docteur devait avoir eu bien des vices ou bien des vertus à satisfaire; mais ni la gouvernante ni Zélie, personne ne put pénétrer la raison de cette modestie de fortune: Minoret, qui fut bien regretté dans son quartier, était un des hommes les plus bienfaisants de Paris, et comme Larrey gardait un profond secret sur ses actes de bienfaisance. Les héritiers virent donc arriver, avec une vive satisfaction, le riche mobilier et la nombreuse bibliothèque de leur oncle, déjà officier de la Légion-d'Honneur, et nommé par le roi chevalier de l'ordre de Saint-Michel, à cause peut-être de sa retraite qui fit une place à quelque favori. Mais quand l'architecte, les peintres, les tapissiers eurent tout arrangé de la manière la plus comfortable, le docteur ne vint pas. Madame Minoret-Levrault, qui surveillait le tapissier et l'architecte comme s'il s'agissait de sa propre fortune, apprit, par l'indiscrétion d'un jeune homme envoyé pour ranger la bibliothèque, que le docteur prenait soin d'une orpheline nommée Ursule. Cette nouvelle fit des ravages étranges dans la ville de Nemours. Enfin le vieillard se rendit chez lui vers le milieu du mois de janvier 1815, et s'installa sournoisement avec une petite fille âgée de dix mois, accompagnée d'une nourrice.

      — Ursule ne peut pas être sa fille, il a soixante et onze ans! dirent les héritiers alarmés.

      — Quoi qu'elle puisse être, dit madame Massin, elle nous donnera bien du tintoin! (Un mot de Nemours.)

      Le docteur reçut assez froidement sa petite nièce par la ligne maternelle, dont le mari venait d'acheter le greffe de la Justice de Paix, et qui les premiers se hasardèrent à lui parler de leur position difficile. Massin et sa femme n'étaient pas riches. Le père de Massin, serrurier à Montargis, obligé de prendre des arrangements avec ses créanciers, travaillait à soixante-sept ans comme un jeune homme, et ne laisserait rien. Le père de madame Massin, Levrault-Minoret, venait de mourir à Montereau des suites de la bataille en voyant sa ferme incendiée, ses champs ruinés et ses bestiaux dévorés.

      — Nous n'aurons rien de ton grand-oncle, dit Massin à sa femme déjà grosse de son second enfant.

      Le docteur leur donna secrètement dix mille francs, avec lesquels le greffier de la Justice de Paix, ami du notaire et de l'huissier de Nemours, commença l'usure et mena si rondement les paysans des environs, qu'en ce moment Goupil lui connaissait environ quatre-vingt mille francs de capitaux inédits.

      Quant à son autre nièce, le docteur fit avoir, par ses relations à Paris, la perception de Nemours à Crémière et fournit le cautionnement. Quoique Minoret-Levrault n'eût besoin de rien, Zélie, jalouse des libéralités de l'oncle envers ses deux nièces, lui présenta son fils, alors âgé de dix ans, qu'elle allait envoyer dans un collége de Paris, où, dit-elle, les éducations coûtaient bien cher. Médecin de Fontanes, le docteur obtint une demi-bourse au collége Louis-le-Grand pour son petit-neveu qui fut mis en quatrième.

      Crémière, Massin et Minoret-Levrault, gens excessivement communs, furent jugés sans appel par le docteur dès les deux premiers mois pendant lesquels ils essayèrent d'entourer moins l'oncle que la succession. Les gens conduits par l'instinct ont ce désavantage sur les gens à idées, qu'ils sont promptement devinés: les inspirations de l'instinct sont trop naturelles, et s'adressent trop aux yeux pour ne pas être aperçues aussitôt; tandis que, pour être pénétrées, les conceptions de l'esprit exigent une intelligence égale de part et d'autre. Après avoir acheté la reconnaissance de ses héritiers et leur avoir en quelque sorte clos la bouche, le rusé docteur prétexta de ses occupations, de ses habitudes et des soins qu'exigeait la petite Ursule pour ne point les recevoir, sans toutefois leur fermer sa maison. Il aimait à dîner seul, il se couchait et se levait tard, il était venu dans son pays natal pour y trouver le repos et la solitude. Ces caprices d'un vieillard parurent assez naturels, et ses héritiers se contentèrent de lui faire, le dimanche, entre une heure et quatre heures, des visites hebdomadaires auxquelles il essaya de mettre fin, en leur disant: — Ne venez me voir que quand vous aurez besoin de moi.

      Le docteur, sans refuser de donner des consultations dans les cas graves, surtout aux indigents, ne voulut point être médecin du petit hospice de Nemours, et déclara qu'il n'exercerait plus sa profession.

      — J'ai assez tué de monde, dit-il en riant au curé Chaperon qui, le sachant bienfaisant, plaidait pour les pauvres.

      — C'est un fameux original! Ce mot, dit sur le docteur Minoret, fut l'innocente vengeance des amours-propres froissés, car le médecin se composa une société de personnages qui méritent d'être mis en regard des héritiers. Or, ceux des bourgeois qui se croyaient dignes de grossir la cour d'un homme à cordon noir conservèrent contre le docteur et ses privilégiés un ferment de jalousie qui malheureusement eut son action.

      Par une bizarrerie qu'expliquerait le proverbe: Les extrêmes se touchent, ce docteur matérialiste et le curé de Nemours furent très-promptement amis. Le vieillard aimait beaucoup le trictrac, jeu favori des gens d'Église, et l'abbé Chaperon était de la force du médecin. Le jeu fut donc un premier lien entre eux. Puis Minoret était charitable, et le curé de Nemours était le Fénelon du Gâtinais. Tous deux, ils avaient une instruction variée, l'homme de Dieu pouvait donc seul, dans tout Nemours, comprendre l'athée. Pour pouvoir disputer, deux hommes doivent d'abord se comprendre. Quel plaisir goûte-t-on d'adresser des mots piquants à quelqu'un qui ne les sent pas? Le médecin et ce prêtre avaient trop de bon goût, ils avaient vu trop bonne compagnie pour ne pas en pratiquer les préceptes, ils purent alors se faire cette petite guerre si nécessaire à la conversation. Ils haïssaient l'un et l'autre leurs opinions, mais ils estimaient leurs caractères. Si de semblables contrastes, si de telles sympathies ne sont pas les éléments de la vie intime, ne faudrait-il pas désespérer de la société qui, surtout en France, exige un antagonisme quelconque? C'est du choc des caractères et non de la lutte des idées que naissent les antipathies. L'abbé Chaperon fut donc le premier ami du docteur à Nemours. Cet ecclésiastique, alors âgé de soixante ans, était curé de Nemours depuis le rétablissement du culte catholique. Par attachement pour son troupeau, il avait refusé le vicariat du diocèse. Si les indifférents en matière de religion lui en savaient gré, les fidèles l'en aimaient davantage. Ainsi vénéré de ses ouailles, estimé par la population, le curé faisait le bien sans s'enquérir des opinions religieuses des malheureux. Son presbytère, à peine garni du mobilier nécessaire aux plus stricts besoins de la vie, était froid et dénué comme le logis d'un avare. L'avarice et la charité se trahissent par des effets semblables: la charité ne se fait-elle pas dans le ciel le trésor que se fait l'avare sur terre? L'abbé Chaperon disputait avec sa servante sur sa dépense avec plus de rigueur que Gobseck avec la sienne, si toutefois ce fameux juif a jamais eu de servante. Le bon prêtre vendait souvent les boucles d'argent de ses souliers et de sa culotte pour en donner le prix à des pauvres qui le surprenaient sans le sou. En le voyant sortir de son église, les oreilles de sa culotte nouées dans les boutonnières, les dévotes de la ville allaient alors chercher les boucles du curé chez l'horloger-bijoutier de Nemours, et grondaient leur pasteur en les lui rapportant. Il ne s'achetait jamais de linge ni d'habits, et portait ses vêtements jusqu'à ce qu'ils ne fussent plus de mise. Son linge épais de reprises lui marquait la peau comme un cilice. Madame de Portenduère ou de bonnes âmes s'entendaient alors avec la gouvernante pour lui remplacer, pendant son sommeil, le linge ou les habits vieux par des neufs, et le curé ne s'apercevait pas toujours immédiatement de l'échange. Il mangeait chez lui dans l'étain et avec des couverts de fer battu. Quand il recevait ses desservants et les curés aux jours de solennité qui sont une charge pour les curés de