La Comédie humaine - Volume 05. Scènes de la vie de Province - Tome 01. Honore de Balzac. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Honore de Balzac
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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prié de passer chez elle pour signer une obligation de cent mille francs hypothéqués sur ses biens et prêtés par votre oncle.

      — Oui; mais si les jeunes gens allaient se marier?

      — C'est comme si vous me disiez que Goupil est mon successeur, répondit le notaire.

      — Les deux choses ne sont pas impossibles, dit Goupil.

      En revenant de la messe, la vieille dame fit dire par Tiennette à son fils de passer chez elle.

      Cette petite maison avait trois chambres au premier étage. Celle de madame de Portenduère et celle de feu son mari se trouvaient du même côté, séparées par un grand cabinet de toilette qu'éclairait un jour de souffrance, et réunies par une petite antichambre qui donnait sur l'escalier. La fenêtre de l'autre chambre, habitée de tout temps par Savinien, était, comme celle de son père, sur la rue. L'escalier se développait derrière de manière à laisser pour cette chambre un petit cabinet éclairé par un œil-de-bœuf sur la cour. La chambre de madame de Portenduère, la plus triste de toute la maison, avait vue sur la cour; mais la veuve passait sa vie dans la salle au rez-de-chaussée, qui communiquait par un passage avec la cuisine, bâtie au fond de la cour; en sorte que cette salle servait à la fois de salon et de salle à manger. Cette chambre de feu monsieur de Portenduère restait dans l'état où elle fut au jour de sa mort: il n'y avait que le défunt de moins. Madame de Portenduère avait fait elle-même le lit, en mettant dessus l'habit de capitaine de vaisseau, l'épée, le cordon rouge, les ordres et le chapeau de son mari. La tabatière d'or dans laquelle le vicomte prisa pour la dernière fois se trouvait sur la table de nuit avec son livre de prières, avec sa montre et la tasse dans laquelle il avait bu. Ses cheveux blancs, encadrés et disposés en une seule mèche roulée, étaient suspendus au-dessus du crucifix à bénitier placé dans l'alcôve. Enfin les babioles dont il se servait, ses journaux, ses meubles, son crachoir hollandais, sa longue-vue de campagne accrochée à sa cheminée, rien n'y manquait. La veuve avait arrêté le vieux cartel à l'heure de la mort, qu'il indiquait ainsi à jamais. On y sentait encore la poudre et le tabac du défunt. Le foyer était comme il l'avait laissé. Entrer là, c'était le revoir en retrouvant toutes les choses qui parlaient de ses habitudes. Sa grande canne à pomme d'or restait où il l'avait posée, ainsi que ses gros gants de daim tout auprès. Sur la console brillait un vase d'or grossièrement sculpté, mais d'une valeur de mille écus, offert par la Havane, que, lors de la guerre de l'indépendance américaine, il avait préservée d'une attaque des Anglais en se battant contre des forces supérieures après avoir fait entrer à bon port le convoi qu'il protégeait. Pour le récompenser, le roi d'Espagne l'avait fait chevalier de ses ordres. Porté pour ce fait dans la première promotion au grade de chef d'escadre, il eut le cordon rouge. Sûr alors de la première vacance, il épousa sa femme, riche de deux cent mille francs. Mais la Révolution empêcha la promotion, et monsieur de Portenduère émigra.

      — Où est ma mère? dit Savinien à Tiennette.

      — Elle vous attend dans la chambre de votre père, répondit la vieille servante bretonne.

      Savinien ne put retenir un tressaillement. Il connaissait la rigidité des principes de sa mère, son culte de l'honneur, sa loyauté, sa foi dans la noblesse, et il prévit une scène. Aussi allait-il comme à un assaut, le cœur agité, le visage presque pâle. Dans le demi-jour qui filtrait à travers les persiennes, il aperçut sa mère vêtue de noir et qui avait arboré un air solennel en harmonie avec cette chambre mortuaire.

      — Monsieur le vicomte, lui dit-elle en le voyant, se levant et lui saisissant la main pour l'amener devant le lit paternel, là a expiré votre père, homme d'honneur, mort sans avoir un reproche à se faire. Son esprit est là. Certes, il a dû gémir là-haut en apercevant son fils souillé par un emprisonnement pour dettes. Sous l'ancienne monarchie, on vous eût épargné cette tache de boue en sollicitant une lettre de cachet et vous enfermant pour quelques jours dans une prison d'État. Mais enfin vous voilà devant votre père qui vous entend. Vous qui savez tout ce que vous avez fait avant d'aller dans cette ignoble prison, pouvez-vous me jurer devant cette ombre et devant Dieu qui voit tout, que vous n'avez commis aucune action déshonorante, que vos dettes ont été la suite de l'entraînement de la jeunesse, et qu'enfin l'honneur est sauf! Si votre irréprochable père était là, vivant dans ce fauteuil, s'il vous demandait compte de votre conduite, après vous avoir écouté vous embrasserait-il?

      — Oui, ma mère, dit le jeune homme avec une gravité pleine de respect.

      Elle ouvrit alors ses bras et serra son fils sur son cœur en versant quelques larmes.

      — Oublions donc tout, dit-elle, ce n'est que l'argent de moins, je prierai Dieu qu'il nous le fasse retrouver, et, puisque tu es toujours digne de ton nom, embrasse-moi, car j'ai bien souffert!

      — Je jure, ma chère mère, dit-il en étendant la main sur ce lit, de ne plus te donner le moindre chagrin de ce genre, et de tout faire pour réparer mes premières fautes.

      — Viens déjeuner, mon enfant, dit-elle en sortant de la chambre.

      S'il faut appliquer les lois de la Scène au Récit, l'arrivée de Savinien, en introduisant à Nemours le seul personnage qui manquât encore à ceux qui doivent être en présence dans ce petit drame, termine ici l'exposition.

      DEUXIÈME PARTIE

      LA SUCCESSION MINORET

      L'action commença par le jeu d'un ressort tellement usé dans la vieille comme dans la nouvelle littérature, que personne ne pourrait croire à ses effets en 1829, s'il ne s'agissait pas d'une vieille Bretonne, d'une Kergarouët, d'une émigrée! Mais, hâtons-nous de le reconnaître; en 1829, la noblesse avait reconquis dans les mœurs un peu du terrain perdu dans la politique. D'ailleurs, le sentiment qui gouverne les grands parents dès qu'il s'agit des convenances matrimoniales est un sentiment impérissable, lié très étroitement à l'existence des sociétés civilisées et puisé dans l'esprit de famille. Il règne à Genève comme à Vienne, comme à Nemours où Zélie Levrault refusait naguère à son fils de consentir à son mariage avec la fille d'un bâtard. Néanmoins toute loi sociale a ses exceptions. Savinien pensait donc à faire plier l'orgueil de sa mère devant la noblesse innée d'Ursule. L'engagement eut lieu sur-le-champ. Dès que Savinien fut attablé, sa mère lui parla des lettres horribles, selon elle, que les Kergarouët et les Portenduère lui avaient écrites.

      — Il n'y a plus de Famille aujourd'hui, ma mère, lui répondit Savinien, il n'y a plus que des individus! Les nobles ne sont plus solidaires. Aujourd'hui on ne vous demande pas si vous êtes un Portenduère, si vous êtes brave, si vous êtes homme d'État, tout le monde vous dit: Combien payez-vous de contributions?

      — Et le roi? demanda la vieille dame.

      — Le roi se trouve pris entre les deux chambres comme un homme entre sa femme légitime et sa maîtresse. Aussi dois-je me marier avec une fille riche, à quelque famille qu'elle appartienne, avec la fille d'un paysan si elle a un million de dot et si elle est suffisamment bien élevée, c'est-à-dire si elle sort d'un pensionnat.

      — Ceci est autre chose! fit la vieille dame.

      Savinien fronça les sourcils en entendant cette parole. Il connaissait cette volonté granitique appelée l'entêtement breton qui distinguait sa mère, et voulut savoir aussitôt son opinion sur ce point délicat.

      — Ainsi, dit-il, si j'aimais une jeune personne, comme par exemple la pupille de notre voisin, la petite Ursule, vous vous opposeriez donc à mon mariage?

      — Tant que je vivrai, dit-elle. Après ma mort, tu seras seul responsable de l'honneur et du sang des Portenduère et des Kergarouët.

      — Ainsi vous me laisseriez mourir de faim et de désespoir pour une chimère qui ne devient aujourd'hui une réalité que par le lustre de la fortune.

      — Tu servirais la France et tu te fierais à Dieu!

      — Vous