OEuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 4. Gustave Flaubert. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Gustave Flaubert
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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D’abord… avec l’épée…

      – Mais peut-être, objecta Frédéric, que je n’ai pas le droit…

      – Je vous dis qu’il faut prendre l’épée! répliqua brutalement le citoyen. Savez-vous tirer?

      – Un peu!

      – Ah! un peu! voilà comme ils sont tous! Et ils ont la rage de faire assaut! Qu’est-ce que ça prouve, la salle d’armes! Écoutez-moi: tenez-vous bien à distance en vous enfermant toujours dans des cercles, et rompez! rompez! C’est permis. Fatiguez-le! Puis fendez-vous dessus franchement! Et surtout pas de malice, pas de coups à la La Fougère! non! de simples une-deux, des dégagements. Tenez, voyez-vous? en tournant le poignet comme pour ouvrir une serrure. – Père Vauthier, donnez-moi votre canne! Ah! cela suffit.»

      Il empoigna la baguette qui servait à allumer le gaz, arrondit le bras gauche, plia le droit et se mit à pousser des bottes contre la cloison. Il frappait du pied, s’animait, feignait même de rencontrer des difficultés, tout en criant: «Y es-tu, là? y es-tu?» et sa silhouette énorme se projetait sur la muraille, avec son chapeau qui semblait toucher au plafond. Le limonadier disait de temps en temps: «Bravo! très bien!» Son épouse également l’admirait, quoique émue; et Théodore, un ancien soldat, en restait cloué d’ébahissement, étant, du reste, fanatique de M. Regimbart.

      Le lendemain, de bonne heure, Frédéric courut au magasin de Dussardier. Après une suite de pièces, toutes remplies d’étoffes garnissant des rayons, ou étendues en travers sur des tables, tandis que, çà et là, des champignons de bois supportaient des châles, il l’aperçut dans une espèce de cage grillée, au milieu de registres, et écrivant debout sur un pupitre. Le brave garçon lâcha immédiatement sa besogne.

      Les témoins arrivèrent avant midi. Frédéric, par bon goût, crut devoir ne pas assister à la conférence.

      Le baron et M. Joseph déclarèrent qu’ils se contenteraient des excuses les plus simples. Mais Regimbart, ayant pour principe de ne céder jamais, et qui tenait à défendre l’honneur d’Arnoux (Frédéric ne lui avait point parlé d’autre chose), demanda que le vicomte fît des excuses. M. de Comaing fut révolté de l’outrecuidance. Le citoyen n’en voulut pas démordre. Toute conciliation devenant impossible, on se battrait.

      D’autres difficultés surgirent, car le choix des armes légalement appartenait à Cisy, l’offensé. Mais Regimbart soutint que, par l’envoi du cartel, il se constituait l’offenseur. Ses témoins se récrièrent qu’un soufflet cependant était la plus cruelle des offenses. Le citoyen épilogua sur les mots, un coup n’étant pas un soufflet. Enfin, on décida qu’on s’en rapporterait à des militaires; et les quatre témoins sortirent pour aller consulter des officiers dans une caserne quelconque.

      Ils s’arrêtèrent à celle du quai d’Orsay. M. de Comaing, ayant abordé deux capitaines, leur exposa la contestation.

      Les capitaines n’y comprirent goutte, embrouillée qu’elle fut par les phrases incidentes du citoyen. Bref, ils conseillèrent à ces messieurs d’écrire un procès-verbal; après quoi, ils décideraient. Alors, on se transporta dans un café; et, même pour faire les choses plus discrètement, on désigna Cisy par H et Frédéric par un K.

      Puis on retourna à la caserne. Les officiers étaient sortis. Ils reparurent et déclarèrent qu’évidemment le choix des armes appartenait à M. H. Tous s’en revinrent chez Cisy. Regimbart et Dussardier restèrent sur le trottoir.

      Le vicomte, en apprenant la solution, fut pris d’un si grand trouble, qu’il se la fit répéter plusieurs fois; et, quand M. de Comaing en vint aux prétentions de Regimbart, il murmura «cependant», n’étant pas loin en lui-même d’y obtempérer. Puis il se laissa choir dans un fauteuil et déclara qu’il ne se battrait pas.

      «Hein? comment?» dit le baron.

      Alors, Cisy s’abandonna à un flux labial désordonné. Il voulait se battre au tromblon, à bout portant, avec un seul pistolet.

      «Ou bien on mettra de l’arsenic dans un verre, qui sera tiré au sort. Ça se fait quelquefois; je l’ai lu!»

      Le baron, peu endurant naturellement, le rudoya.

      «Ces messieurs attendent votre réponse. C’est indécent, à la fin! Que prenez-vous? voyons! Est-ce l’épée?»

      Le vicomte répliqua «oui» par un signe de tête, et le rendez-vous fut fixé pour le lendemain, à la porte Maillot, à sept heures juste.

      Dussardier étant contraint de s’en retourner à ses affaires, Regimbart alla prévenir Frédéric.

      On l’avait laissé toute la journée sans nouvelles; son impatience était devenue intolérable.

      «Tant mieux!» s’écria-t-il.

      Le citoyen fut satisfait de sa contenance.

      «On réclamait de nous des excuses, croiriez-vous? Ce n’était rien, un simple mot! Mais je les ai envoyés joliment bouler! Comme je le devais, n’est-ce pas?

      – Sans doute», dit Frédéric tout en songeant qu’il eût mieux fait de choisir un autre témoin.

      Puis, quand il fut seul, il se répéta tout haut plusieurs fois:

      «Je vais me battre. Tiens, je vais me battre! C’est drôle!»

      Et, comme il marchait dans sa chambre, en passant devant sa glace, il s’aperçut qu’il était pâle.

      «Est-ce que j’aurais peur?»

      Une angoisse abominable le saisit à l’idée d’avoir peur sur le terrain.

      «Si j’étais tué cependant? Mon père est mort de la même façon. Oui, je serai tué!»

      Et, tout à coup, il aperçut sa mère en robe noire; des images incohérentes se déroulèrent dans sa tête. Sa propre lâcheté l’exaspéra. Il fut pris d’un paroxysme de bravoure, d’une soif carnassière. Un bataillon ne l’eût pas fait reculer. Cette fièvre calmée, il se sentit, avec joie, inébranlable. Pour se distraire, il se rendit à l’Opéra, où l’on donnait un ballet. Il écouta la musique, lorgna les danseuses et but un verre de punch pendant l’entr’acte. Mais, en rentrant chez lui, la vue de son cabinet, de ses meubles, où il se retrouvait peut-être pour la dernière fois, lui causa une faiblesse.

      Il descendit dans son jardin. Les étoiles brillaient; il les contempla. L’idée de se battre pour une femme le grandissait à ses yeux, l’ennoblissait. Puis il alla se coucher tranquillement.

      Il n’en fut pas de même de Cisy. Après le départ du baron, Joseph avait tâché de remonter son moral, et, comme le vicomte demeurait froid:

      «Pourtant, mon brave, si tu préfères en rester là, j’irai le dire.»

      Cisy n’osa répondre «certainement», mais il en voulut à son cousin de ne pas lui rendre ce service sans en parler.

      Il souhaita que Frédéric, pendant la nuit, mourût d’une attaque d’apoplexie, ou qu’une émeute survenant, il y eût le lendemain assez de barricades pour fermer tous les abords du bois de Boulogne, ou qu’un événement empêchât un des témoins de s’y rendre; car le duel faute de témoins manquerait. Il avait envie de se sauver par un train express n’importe où. Il regretta de ne pas savoir la médecine pour prendre quelque chose qui, sans exposer ses jours, ferait croire à sa mort. Il arriva jusqu’à désirer être malade gravement.

      Afin d’avoir un conseil, un secours, il envoya chercher M. des Aulnays. L’excellent homme était retourné en Saintonge, sur une dépêche lui apprenant l’indisposition d’une de ses filles. Cela parut de mauvais augure à Cisy. Heureusement que M. Vezou, son précepteur, vint le voir. Alors il s’épancha.

      «Comment faire, mon Dieu! comment faire?

      – Moi, à votre place, monsieur le comte, je payerais un fort de la halle pour lui flanquer une raclée.

      – Il saurait toujours de qui ça vient!» reprit Cisy.

      Et,