OEuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 4. Gustave Flaubert. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Gustave Flaubert
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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qu’il connaissait Arnoux depuis longtemps.

      «C’est un brave garçon! mais qui se compromet! Pour cette hypothèque, par exemple, on n’imagine pas une étourderie…

      – Oui! je sais», dit-elle, en haussant les épaules.

      Ce témoignage involontaire de mépris engagea Deslauriers à poursuivre.

      «Son histoire de kaolin, vous l’ignorez peut-être, a failli tourner très mal, et même sa réputation…»

      Un froncement de sourcils l’arrêta.

      Alors, se rabattant sur les généralités, il plaignit les pauvres femmes dont les époux gaspillent la fortune…

      «Mais elle est à lui, monsieur; moi, je n’ai rien!»

      N’importe! on ne savait pas… Une personne d’expérience pouvait servir. Il fit des offres de dévouement, exalta ses propres mérites; et il la regardait en face, à travers ses lunettes qui miroitaient.

      Une torpeur vague la prenait; mais, tout à coup:

      «Voyons l’affaire, je vous prie!»

      Il exhiba le dossier.

      «Ceci est la procuration de Frédéric. Avec un titre pareil aux mains d’un huissier qui fera un commandement, rien n’est plus simple: dans les vingt-quatre heures… (Elle restait impassible, il changea de manœuvre.) Moi, du reste, je ne comprends pas ce qui le pousse à réclamer cette somme; car enfin il n’en a aucun besoin!

      – Comment! M. Moreau s’est montré assez bon…

      – Oh! d’accord!»

      Et Deslauriers entama son éloge, puis vint à le dénigrer, tout doucement, le donnant pour oublieux, personnel, avare.

      «Je le croyais votre ami, monsieur?

      – Cela ne m’empêche pas de voir ses défauts. Ainsi, il reconnaît bien peu… comment dirai-je? la sympathie…»

      Mme Arnoux tournait les feuilles du gros cahier.

      Elle l’interrompit pour avoir l’explication d’un mot.

      Il se pencha sur son épaule, et si près d’elle, qu’il effleura sa joue. Elle rougit; cette rougeur enflamma Deslauriers; il lui baisa la main voracement.

      «Que faites-vous, monsieur!»

      Et, debout contre la muraille, elle le maintenait immobile, sous ses grands yeux noirs irrités.

      «Écoutez-moi! Je vous aime!»

      Elle partit d’un éclat de rire, un rire aigu, désespérant, atroce. Deslauriers sentit une colère à l’étrangler. Il se contint; et, avec la mine d’un vaincu, demandant grâce:

      «Ah! vous avez tort! Moi, je n’irai pas comme lui…

      – De qui donc parlez-vous?

      – De Frédéric!

      – Eh! M. Moreau m’inquiète peu, je vous l’ai dit!

      – Oh! pardon!.. pardon!»

      Puis, d’une voix mordante, et faisant traîner ses phrases:

      «Je croyais même que vous vous intéressiez suffisamment à sa personne, pour apprendre avec plaisir…»

      Elle devint toute pâle. L’ancien clerc ajouta:

      «Il va se marier.

      – Lui!

      – Dans un mois, au plus tard, avec Mlle Roque, la fille du régisseur de M. Dambreuse. Il est même parti à Nogent, rien que pour cela.»

      Elle porta la main sur son cœur, comme au choc d’un grand coup; mais tout de suite elle tira la sonnette. Deslauriers n’attendit pas qu’on le mît dehors. Quand elle se retourna, il avait disparu.

      Mme Arnoux suffoquait un peu. Elle s’approcha de la fenêtre pour respirer.

      De l’autre côté de la rue, sur le trottoir, un emballeur en manches de chemise clouait une caisse. Des fiacres passaient. Elle ferma la croisée et vint se rasseoir. Les hautes maisons voisines interceptant le soleil, un jour froid tombait dans l’appartement. Ses enfants étaient sortis, rien ne bougeait autour d’elle. C’était comme une désertion immense.

      «Il va se marier! est-ce possible!»

      Et un tremblement nerveux la saisit.

      «Pourquoi cela? est-ce que je l’aime?»

      Puis, tout à coup:

      «Mais oui, je l’aime!.. je l’aime!..»

      Il lui semblait descendre dans quelque chose de profond, qui n’en finissait plus. La pendule sonna trois heures. Elle écouta les vibrations du timbre mourir. Et elle restait au bord de son fauteuil, les prunelles fixes, et souriant toujours.

      Le même après-midi, au même moment, Frédéric et Mlle Louise se promenaient dans le jardin que M. Roque possédait au bout de l’île. La vieille Catherine les surveillait de loin; ils marchaient côte à côte, et Frédéric disait:

      «Vous souvenez-vous quand je vous emmenais dans la campagne?

      – Comme vous étiez bon pour moi! répondit-elle. Vous m’aidiez à faire des gâteaux avec du sable, à remplir mon arrosoir, à me balancer sur l’escarpolette!

      – Toutes vos poupées, qui avaient des noms de reines ou de marquises, que sont-elles devenues?

      – Ma foi, je n’en sais rien!

      – Et votre roquet Moricaud?

      – Il s’est noyé, le pauvre chéri!

      – Et le Don Quichotte, dont nous colorions ensemble les gravures?

      – Je l’ai encore!»

      Il lui rappela le jour de sa première communion et comme elle était gentille aux vêpres, avec son voile blanc et son grand cierge, pendant qu’elles défilaient toutes autour du chœur et que la cloche tintait.

      Ces souvenirs, sans doute, avaient peu de charme pour Mlle Roque; elle ne trouva rien à répondre, et une minute après:

      «Méchant! qui ne m’a pas donné une seule fois de ses nouvelles!»

      Frédéric objecta ses nombreux travaux.

      «Qu’est-ce donc que vous faites?»

      Il fut embarrassé de la question, puis dit qu’il étudiait la politique.

      «Ah!»

      Et, sans en demander davantage:

      «Cela vous occupe, mais moi!..»

      Alors, elle lui conta l’aridité de son existence, n’ayant personne à voir, pas le moindre plaisir, la moindre distraction! Elle désirait monter à cheval.

      «Le vicaire prétend que c’est inconvenant pour une jeune fille; est-ce bête, les convenances! Autrefois, on me laissait faire tout ce que je voulais; à présent, rien!

      – Votre père vous aime pourtant!

      – Oui, mais…»

      Et elle poussa un soupir qui signifiait: «Cela ne suffit pas à mon bonheur.»

      Puis, il y eut un silence. Ils n’entendaient que le craquement du sable sous leurs pieds avec le murmure de la chute d’eau; car la Seine, au-dessus de Nogent, est coupée en deux bras. Celui qui fait tourner les moulins dégorge en cet endroit la surabondance de ses ondes, pour rejoindre plus bas le cours naturel du fleuve; et, lorsqu’on vient des ponts, on aperçoit, à droite sur l’autre berge, un talus de gazon que domine une maison blanche. A gauche, dans la prairie, des peupliers s’étendent, et l’horizon, en face, est borné par une courbe de la rivière; elle était plate comme un miroir; de grands insectes patinaient sur l’eau tranquille. Des touffes de roseaux et des joncs la bordent inégalement; toutes sortes de plantes venues là s’épanouissaient en boutons d’or, laissaient pendre des grappes