Œuvres complètes de lord Byron, Tome 8. George Gordon Byron. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: George Gordon Byron
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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pour ne pas partager profondément le sort de votre fils.

LE DOGE

      Et qu'importe pour la commission dont vous êtes chargé?

SÉNATEUR

      Comment, monseigneur?

LE DOGE

      Vous ignorez ce dont vous parlez; mais le rapport est signé: reportez-le à ceux qui vous envoient.

SÉNATEUR

      J'obéis. Le conseil m'avait encore chargé de vous prier de fixer l'heure de sa réunion.

LE DOGE

      Dites quand ils voudront; – maintenant, à l'instant même si cela leur convient: je suis le serviteur de l'état.

SÉNATEUR

      Ils vous accorderont quelque tems pour vous reposer.

LE DOGE

      Je ne veux pas de repos; du moins aucun repos qui puisse entraîner la perte d'une heure pour le gouvernement. Qu'ils se réunissent quand ils voudront; je me trouverai je dois être, et ce que j'ai toujours été.

(Le sénateur sort. – Le Doge reste silencieux. – Entre un domestique.)LE DOMESTIQUE

      Prince.

LE DOGE

      Parlez.

LE DOMESTIQUE

      La noble dame Foscari demande une audience.

LE DOGE

      Introduisez-la. Pauvre Marina!

(Le domestique sort. – Le Doge reste dans le même silence. – Entre Marina.)MARINA

      Mon père, je viens vous poursuivre dans votre intérieur.

LE DOGE

      Ma fille, je n'en ai pas pour vous. Disposez de mon tems, quand l'état ne l'exige pas.

MARINA

      Je voulais vous parler de lui.

LE DOGE

      De votre époux?

MARINA

      De votre fils.

LE DOGE

      Je vous écoute, ma fille!

MARINA

      J'avais obtenu des Dix la permission de rester près de mon mari pendant un certain nombre d'heures.

LE DOGE

      Cette permission, vous l'avez encore.

MARINA

      Elle est révoquée.

LE DOGE

      Par qui?

MARINA

      Par les Dix. – Quand nous arrivâmes au Pont des Soupirs, je me préparais à le traverser avec mon cher Foscari, lorsque le brutal gardien de ce passage m'en ferma l'entrée: puis un messager fut envoyé vers les Dix; leur séance était levée: et comme je n'avais aucune permission écrite, je fus impitoyablement laissée dehors; on m'assura même que les murailles de la prison ne cesseraient pas de nous séparer tant que le suprême tribunal ne serait pas de nouveau réuni.

LE DOGE

      En effet, l'on avait oublié les formes prescrites, par suite de la hâte avec laquelle la cour s'est ajournée, et le fait reste douteux jusqu'à nouvelle réunion.

MARINA

      Nouvelle réunion! Quand elle aura lieu, ils rappelleront leurs supplices; et c'est par le renouvellement de la torture que nous obtiendrons une entrevue de mari et d'épouse, lien sacré, auquel tous les autres devraient céder sous le ciel. – Grand Dieu! et tu vois cela!

LE DOGE

      Ma fille, – ma fille!

MARINA, avec violence

      Ne m'appelez pas votre fille! bientôt vous n'aurez plus d'enfant. – Et méritez-vous d'en avoir, – vous qui pouvez parler froidement de votre fils dans un moment où des larmes de sang couleraient en abondance de l'œil d'un Spartiate? Ceux-là ne pleuraient pas leurs fils morts dans les combats; mais est-il écrit qu'en les voyant expirer minute par minute, ils n'eussent pas tendu la main qui pouvait les sauver?

LE DOGE

      Vous le voyez, je ne pleure pas; – et plût à Dieu que je le pusse. Ma fille, s'il y avait dans chaque cheveu blanc de cette tête une source de jeunesse, si le bonnet ducal donnait l'empire de la terre, si l'anneau avec lequel j'épousai les flots était un talisman pour les gouverner, – je sacrifierais tout encore pour lui.

MARINA

      Son salut n'exigerait pas un aussi grand sacrifice.

LE DOGE

      Votre réponse prouve que vous ne connaissez pas Venise. Et comment le pourriez-vous? hélas! elle ne connaît pas bien elle-même tous les mystères de sa puissance. Écoutez-moi: – ceux qui poursuivent Foscari en veulent également à son père, et la perte du vieillard ne pourrait sauver le fils. Ils tendent par différens sentiers au même but, c'est-à-dire à-mais ils ne sont pas encore vainqueurs.

MARINA

      Ils vous ont pourtant terrassé.

LE DOGE

      Non, non, – car je vis encore.

MARINA

      Et votre fils, vivra-t-il long-tems encore?

LE DOGE

      Je l'espère; malgré les tourmens passés, il verra des années aussi nombreuses et plus fortunées que son père. L'imprudent, dans l'impatience, digne d'une femme, qui l'entraînait à revenir, a tout ruiné par la découverte de sa lettre. C'est un haut crime; je ne puis le contester ni l'excuser, comme parent ou comme souverain. Encore quelque tems, quelques jours de plus d'exil en Candie, j'avais l'espoir-mais il l'a fait évanouir: – il faut qu'il retourne-

MARINA

      Dans la terre d'exil?

LE DOGE

      J'ai dit.

MARINA

      Et m'est-il interdit de le suivre?

LE DOGE

      Vous savez bien que le conseil des Dix a déjà deux fois rejeté la même prière; il est donc à craindre qu'il ne témoigne pas plus de bienveillance aujourd'hui que de nouveaux torts de la part de votre mari les ont rendus plus sévères.

MARINA

      Sévères? dites atroces. Ces vieux démons de la terre, avec un pied dans la tombe, avec des yeux éteints, étrangers à d'autres pleurs que ceux d'une seconde enfance, avec leurs cheveux rares et blanchis, leurs mains tremblantes, leurs têtes aussi décolorées que leur cœur est insensible, ces démons, dis-je, se rassemblent, cabalent, et privent les hommes de leur vie, comme si cette vie ne comportait rien de plus que les sentimens depuis long-tems éteints dans leurs ames damnées.

LE DOGE

      Vous ignorez-

MARINA

      Je sais-je sais-et vous devriez, je pense, savoir qu'ils sont de vrais démons. Comment supposer, en effet, que des hommes enfantés et allaités par des femmes, – des hommes qui jadis auraient aimé ou du moins entendu parler d'amour, – qui auraient uni leurs mains pour des engagemens sacrés, – qui auraient fait danser leurs enfans sur leurs genoux, qui auraient eu plus d'une fois à trembler de leurs dangers, à gémir de leurs peines, à se désespérer de leur mort; – comment, s'ils avaient seulement les traits de l'homme, agiraient-ils comme ils le font envers les vôtres, envers vous-même, vous qui les défendez?

LE DOGE

      Je vous pardonne; vous ne connaissez pas ce que vous dites.

MARINA

      Vous le connaissez mieux, et vous y compatissez moins.

LE DOGE

      Oui; il y a si long-tems que j'existe que les paroles ont cessé de m'émouvoir.

MARINA

      Oh! sans doute! car vous avez vu couler le sang de votre fils, et le vôtre n'a pas tressailli! Après une pareille épreuve, que sont les paroles d'une femme? Peuvent-elles espérer de vous toucher davantage?

LE DOGE

      Femme! la violence de vos plaintes, je vous le dis, ne peut balancer le poids… – mais je te plains, ma pauvre Marina!

MARINA

      Plaignez mon mari; moi, quel besoin ai-je de vos plaintes? Plains ton fils, vieillard insensible; -plaindre! toi! pour ton cœur c'est un mot bien étrange: – comment se présente-t-il sur tes lèvres?

LE DOGE

      Je dois supporter ces reproches, quelle