Lucrezia Floriani. Жорж Санд. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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petit lac d'Iseo n'a rien de grandiose dans son aspect, et ses abords sont doux et frais comme une églogue de Virgile. Entre les montagnes qui forment ses horizons et les rides molles et lentes que la brise trace sur ses bords, il y a une zone de charmantes prairies, littéralement émaillées des plus belles fleurs champêtres que produise la Lombardie. Des tapis de safran d'un rose pur jonchent ses rives, où l'orage ne pousse jamais avec fracas la vague irritée. De légères et rustiques embarcations glissent sur des ondes paisibles, où s'effeuillent les fleurs du pêcher et de l'amandier.

      Au moment où les deux jeunes voyageurs descendirent de voiture, plusieurs bateaux levaient leurs amarres, et les habitants des paroisses riveraines, que leurs chevaux et leurs charrettes avaient ramenés de la fête, s'élançaient, en riant et en chantant, sur ces esquifs qui devaient faire le tour du lac et descendre chaque groupe à son domicile. On poussait les charrettes toutes chargées d'enfants et de jeunes filles bruyantes sur les grosses barques; de jeunes couples sautaient sur les nacelles et se défiaient alla regata. Suivant l'habitude de la localité, pour empêcher les chevaux, fumants de sueur, de s'enrhumer durant la traversée, on les plongeait préalablement dans les eaux glaciales de la plage, et ces animaux courageux paraissaient prendre grand plaisir à cette immersion.

      Karol s'assit sur une souche au bord de l'eau, pour contempler, non cette scène animée et pittoresque, mais les vagues horizons bleuâtres de la chaîne Alpestre. Salvator était entré dans la locanda pour choisir les chambres.

      Mais il revint bientôt avec une figure contrariée: le gîte était abominable, brûlant, infect, encombré d'ivrognes et d'animaux qui se querellaient. Il n'y avait pas moyen de se reposer là des fatigues d'une journée de voyage.

      Le prince, quoiqu'il souffrît plus que personne de l'angoisse d'une mauvaise nuit, prenait ordinairement ces sortes de contrariétés avec une insouciance stoïque. Cependant, cette fois, il dit à son jeune ami, avec un air d'inquiétude étrange: «J'avais un pressentiment que nous ferions mieux de ne pas venir coucher ici.»

      – Un pressentiment à propos d'une mauvaise auberge? s'écria Salvator, que le fâcheux succès de son idée irritait un peu contre lui-même et par conséquent contre le prochain; ma foi, quand il s'agit d'éviter la vermine d'une sale locanda et la puanteur d'une laide cuisine, j'avoue que je n'ai point de ces subtiles perceptions et de ces avertissements mystérieux.

      – Ne te moque pas de moi, Salvator, reprit le prince avec douceur, il ne s'agit point de ces puérilités-là, et tu sais fort bien que j'en prends mon parti mieux que toi-même.

      – Eh! c'est peut-être à cause de toi que je n'en prends pas mon parti!

      – Je le sais, mon bon Salvator; ne te tourmente donc pas, et partons!

      – Comment, partons! nous avons faim, et il y a là du moins des truites superbes qui sautent dans la friture. Je ne me laisse pas décourager si vite, soupons d'abord, faisons-nous servir là, en plein air, sous ces caroubiers. Et puis je courrai tout le village et je trouverai bien une maison un peu plus propre que l'auberge, une chambre pour toi, au moins; fût-ce chez le médecin ou l'avocat de la contrée! Il y a bien un curé, ici!

      – Ami, tu ne veux pas me comprendre, tu t'occupes d'enfantillages… Tu sais que je n'ai pas de caprices, n'est-il pas vrai? Eh bien! une seule fois, pardonne-m'en un bizarre… Je me sens mal ici; cet air m'inquiète, ce lac m'éblouit. Il y croît peut-être quelque herbe vénéneuse mortelle pour moi… Allons coucher ailleurs. J'ai un pressentiment sérieux que je ne devais pas venir ici. Quand les chevaux ont quitté la route de Venise et pris sur la gauche, il m'a semblé qu'ils résistaient: ne l'as-tu pas remarqué? – Enfin, ne me crois pas atteint de folie, ne me regarde pas d'un air effrayé; je suis calme, je suis résigné, si tu le veux, à de nouveaux malheurs… mais à quoi bon les braver, quand il est temps encore de les fuir?

      Salvator Albani était effrayé, en effet, du ton sérieux et pénétré avec lequel Karol disait ces paroles étranges. Comme il le croyait plus faible qu'il ne l'était réellement, il s'imagina qu'il allait tomber gravement malade, et qu'un secret malaise l'en avertissait. Mais il ne pensait pas que le lieu y fût pour quelque chose, lorsque la nature, la race humaine, le ciel et la végétation étaient luxuriants autour de lui. Il ne voulait pourtant pas heurter son caprice, mais il se demandait si un nouveau relais, fourni à jeun et après une longue journée, ne hâterait pas l'explosion du mal.

      Le prince vit son hésitation et se rappela ce que le bon Salvator avait déjà oublié, c'est qu'il mourait de faim. Dès lors, sacrifiant toute sa répugnance, et imposant silence à son imagination, il prétendit qu'il avait faim lui-même, et qu'avant de quitter Iseo, il fallait pourtant souper.

      Cet accommodement rassura un peu Salvator. «S'il a faim, pensa-t-il, il n'est pas sous le coup d'une maladie imminente, et peut-être que cette pensée de détresse qui s'est emparée de lui est le résultat d'une faim excessive dont il ne se rendait pas compte, une sorte de défaillance morale et physique. Mangeons, et puis nous verrons!»

      Le souper était meilleur que l'auberge ne semblait l'annoncer, et on le servit dans le jardin de l'hôtelier, sous une fraîche tonnelle, qui masquait un peu l'éclat du lac, et où Karol se sentit réellement plus calme. Grâce à la mobilité de son tempérament et de son humeur, il mangea avec plaisir et oublia l'inexplicable effroi qui l'avait saisi quelques instants auparavant.

      Pendant que l'hôte leur servait le café, Salvator l'interrogea sur les habitants de la ville, et reconnut avec chagrin qu'il n'en connaissait pas un seul, et qu'il n'y avait guère moyen d'aller demander l'hospitalité dans une maison plus propre et plus paisible que la locanda.

      – Ah! dit-il, en soupirant, j'ai eu une bien bonne amie, qui était de ce pays-ci, et qui m'en avait tant parlé que cela m'a peut-être influencé à mon insu, lorsque la fantaisie d'y venir coucher m'est venue. Mais je vois bien que ma pauvre Floriani en avait gardé un souvenir poétique tout à fait dénué de réalité. Il en est ainsi de tous nos souvenirs d'enfance.

      – Sans doute que Votre Excellence, dit l'hôte, qui avait écouté les paroles de Salvator, veut parler de la fameuse Floriani, celle qui, de pauvre paysanne qu'elle était, est devenue riche et célèbre dans toute l'Italie?

      – Vraiment oui, s'écria Salvator; vous l'avez peut-être connue autrefois ici, car je ne sache pas qu'elle soit revenue dans son pays depuis qu'elle l'a quitté toute jeune?

      – Pardon, seigneurie. Elle est revenue il y a environ un an et elle y est à cette heure. Sa famille lui a tout pardonné, et ils vivent très-bien ensemble maintenant… Tenez, là-bas, sur l'autre rive du lac, vous pouvez voir d'ici la chaumière où elle a été élevée, et la jolie villa qu'elle a achetée tout à côté. Cela ne fait plus qu'une seule dépendance avec le parc et les prairies. Oh! c'est une bonne propriété, et elle l'a payée à beaux deniers comptants, au vieux Ranieri, vous savez… l'avare? le père de celui qui l'avait enlevée, de son premier amant?

      – Vous en savez ou vous en supposez plus long que moi sur les aventures de sa jeunesse, répondit Salvator; moi je ne sais d'elle qu'une chose: c'est qu'elle est la femme la plus intelligente, la meilleure et la plus digne que j'ai rencontrée. Vive Dieu! elle est donc ici? Ah! la bonne nouvelle! Nous sommes sauvés, Karol; nous allons lui demander asile, et si tu veux être aimable pour moi, tu feras connaissance, de bonne grâce, avec ma chère Floriani. Mais on ne sait pas à Milan qu'elle habite ce pays-ci! On m'a dit que je la trouverais à Venise ou aux environs…

      – Oh! elle vit comme cachée, dit l'hôte, c'est sa fantaisie du moment. Cependant, on la connaît bien ici, car elle fait du bien; elle est très-bonne, la signora!

      – Eh vite, eh vite, une barque! s'écria Salvator, sautant de joie. Ah! l'agréable surprise! Et moi qui n'avais pas l'heureux pressentiment de la retrouver ici!

      Ce mot fit tressaillir Karol. – Les pressentiments, dit-il, agissent sur nous à notre insu, et nous poussent où ils veulent.

      Mais le pétulant Albani ne l'écoutait pas. Il s'agitait, il criait, il faisait approcher une barque, il y jetait une valise, il recommandait la voiture et les paquets à son domestique, qui devait rester