– Ne me demandez pas de conseils; je ne vous connais point assez pour vous en donner.
– Connaissez-moi, mademoiselle de Nermont, je ne demande que cela. Quand mademoiselle Dietrich m'interpelle, elle me trouble, et peut-être n'est-ce pas la vérité vraie que je lui réponds. Avec vous, je serai moins timide, je vous répondrai avec la confiance que j'aurais pour ma propre soeur. Faites-moi des questions, c'est tout ce que je désire. Si vous n'êtes pas contente de moi, vous me le direz, vous me reprendrez. Tout ce qui viendra de vous me sera sacré. Je ne me révolterai pas.
– Avez-vous donc, comme on le prétend, la douceur des anges?
– D'ordinaire, oui; mais par exception j'ai des colères atroces.
– Que vous ne pouvez contenir?
– C'est selon. Quand le dépit ne froisse que mon amour-propre, je le surmonte; quand il me blesse au coeur, je deviens fou.
– Et que faites-vous dans la folie?
– Comment le saurais-je? Je ne m'en souviens pas, puisque je n'ai pas eu conscience de ce que j'ai fait.
– Mais quelquefois vous avez dû l'apprendre par les autres?
– Ils m'ont toujours ménagé la vérité. Je suis très-gâté par mon entourage.
– C'est la preuve que vous êtes réellement bon.
– Hélas! qui sait? C'est peut-être seulement la preuve que je sois riche.
– En êtes vous à mépriser ainsi l'espèce humaine? N'avez-vous point de vrais amis?
– Si fait; mais ceux-là ne m'ayant jamais blessé, ne peuvent savoir si je suis violent.
– Cela pourrait cependant arriver. Que feriez-vous devant la trahison d'un ami?
– Je ne sais pas.
– Et devant la résistance d'une femme aimée?
– Je ne sais pas non plus. Vous voyez, je suis une brute, puisque je ne me connais pas et ne sais pas me révéler.
– Alors vous ne faites jamais le moindre examen de conscience?
– Je n'ai garde d'y manquer après chacune de mes fautes; mais je ne prévois pas mes fautes à venir, et cela me paraît impossible.
– Pourquoi?
– Parce que chaque sujet de trouble est toujours nouveau dans la vie. Aucune circonstance ne se présente identique à celle qui nous a servi d'expérience. Ne voyez donc d'absolu en moi que ce que j'y vois moi-même, une parfaite loyauté d'intentions. Il me serait facile de vous dire que je suis un être excellent, et que je réponds de le demeurer toujours. C'est le lieu commun que tout fiancé débite avec aplomb aux parents et amis de sa fiancée. Eh bien! si j'arrive à ce rare bonheur d'être le fiancé de votre Césarine, je serai aussi sincère qu'aujourd'hui, je vous dirai: «Je l'aime.» Je ne vous dirai pas que je suis digne d'elle à tous égards et que je mérite d'être adoré.
– Pourrez-vous au moins promettre de l'aimer toujours? Êtes-vous constant dans vos affections?
– Oui, certes, mon amitié est fidèle; mais en fait de femmes je n'ai jamais aimé que ma mère et ma soeur; je ne sais rien de l'amour qu'une femme pure peut inspirer.
– Que dites-vous là? Vous n'avez jamais aimé?
– Non; cela vous étonne?
– Quel âge avez-vous donc?
– Trente ans.
– Voici une mauvaise note pour mon carnet personnel… jamais aimé à trente ans!
– Que voulez-vous? Je ne peux pas appeler amour les émotions très-sensuelles qu'éprouve un adolescent auprès des femmes. Un peu plus tard, les gens de ma condition abordent le monde et n'y conservent pas d'illusions. Ils sont placés entre la coquetterie effrénée des femmes qui exploitent leurs hommages et l'avidité honteuse de celles qui n'exploitent que leur bourse. Ce sont les dernières qui l'emportent parce qu'il est plus facile de s'en débarrasser.
– Ainsi vous n'avez eu que des courtisanes pour maîtresses?
– Mademoiselle de Nermont, je pense bien que vous rendrez compte de toutes mes réponses à mademoiselle Dietrich; mais je présume qu'il est un genre de questions qu'elle ne vous fera pas. Je vous dirai donc la vérité: courtisanes et femmes du monde, cela se ressemble beaucoup quand ces dernières ne sont pas radicalement vertueuses. Il y en a certes, je le reconnais, et il fut un temps, assure-t-on, où celles-ci inspiraient de grandes passions; mais aujourd'hui, si nous sommes moins passionnés, nous sommes plus honnêtes, nous respectons la vertu et la laissons tranquille. Les jeunes gens corrompus feignent de la dédaigner, sous prétexte qu'elle est ennuyeuse. Moi je la respecte sincèrement, surtout chez les femmes de mes amis; et puis les femmes honnêtes, étant plus rares qu'autrefois, sont plus fortes, plus difficiles à persuader, et il faudrait faire le métier de tartuffe pour les vaincre. Je ne me reproche donc pas d'avoir voulu ignorer l'amour que seules peuvent inspirer de telles femmes. Quelque mauvais que soit le monde actuel, il a cela de supérieur au temps passé, que les hommes qui se marient après avoir assouvi leurs passions fort peu idéales peuvent apporter à la jeune fille qu'ils épousent un coeur absolument neuf. Les roués d'autrefois, blasés sur la femme élégante et distinguée, vainqueurs en outre de mainte innocence, ne pouvaient se vanter de l'ingénuité morale que la légèreté de nos moeurs laisse subsister chez la plupart d'entre nous. Il me paraît donc impossible de ne pas aimer mademoiselle Dietrich avec une passion vraie et de ne pas l'aimer toujours, fût-on éconduit par elle, car aujourd'hui, évidemment maltraité, je me sens aussi enchaîné que je l'étais avant-hier par quelques paroles bienveillantes.
Nous arrivions au salon, où Césarine, qui avait marché plus vite que nous et qui portait une fabuleuse activité en toutes choses, était déjà installée au piano. Elle s'était rhabillée avec un goût exquis, et pourtant elle se leva brusquement en voyant entrer le marquis; un léger mouvement de contrariété se lisait dans sa physionomie. On eût dit qu'elle ne comptait pas le revoir. Il s'en aperçût et prit congé. Il fut quelques jours sans reparaître.
D'abord Césarine m'assura qu'elle était charmée de l'avoir découragé, bientôt elle fut piquée de sa susceptibilité. Il n'y put tenir et revint. Elle fut aimable, puis elle fut cruelle. Il bouda encore et il revint encore. Ceci dura quelques mois; cela devait durer toujours.
C'est que le marquis au premier aspect semblait très-facile à réduire. Césarine l'avait vite pris en pitié et en dégoût lorsqu'elle s'était imaginé qu'elle avait affaire à une nature d'esclave; mais la soudaineté et la fréquence de ses dépits la firent revenir de cette opinion.
– C'est un boudeur, disait-elle, c'est moins ennuyeux qu'un extatique.
Elle reconnaissait en lui de grandes et sérieuses qualités, une bravoure de coeur et de tempérament remarquable, une véritable générosité d'instincts, une culture d'esprit suffisante, une réelle bonté, un commerce agréable quand on ne le froissait pas; en somme, il méritait si peu d'être froissé qu'il était dans son droit de ne pas le souffrir.
Au bout de notre saison d'été à la campagne, M. Dietrich pressa Césarine de s'expliquer sur ses sentiments pour le marquis.
– Je n'ai rien décidé, répondit-elle. Je l'aime et l'estime beaucoup. S'il veut se contenter d'être mon ami, je le reverrai toujours avec plaisir; mais s'il veut que je me prononce à présent sur le mariage, qu'il ne revienne plus, ou qu'il ne revienne pas plus souvent que nos autres voisins.
M. Dietrich n'accepta point cette étrange réponse. Il remontra qu'une jeune fille ne peut faire son ami d'un homme épris d'elle.
– C'est pourtant ce à quoi j'aspire d'une façon générale, répondit Césarine. Je trouve l'amitié des hommes plus sincère et plus noble que celle des femmes, et, comme ils y mêlent toujours quelque prétention de plaire,