Jacques. Жорж Санд. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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tes parents t'avaient fait en te mettant au monde; voilà à quoi s'étaient bornées la protection et la générosité d'une mère! Elle t'avait mis sur la poitrine ce présent magnifique, et elle t'avait dit: «Vis et prospère.»

      Je me sentis pénétré d'une compassion si vive, que les larmes me vinrent aux yeux et que je me mis à sangloter, comme si tu avais été mon enfant, et qu'on t'eût enlevée à moi pour te jeter parmi les orphelins. L'émotion que me causa cette gravure est telle que je ne puis la voir encore sans être prêt à pleurer. Nous l'avons souvent regardée ensemble, et quand tu étais encore enfant tu la baisais avec transport chaque fois que je te la confiais pour la rapprocher de la moitié suspendue à ton cou. Que ces baisers, pauvre fille, me semblaient un éloquent et angélique reproche à ton odieuse mère! On t'avait dit dans tes premières années que ce saint était ton protecteur, ton meilleur ami; qu'il t'aiderait à retrouver tes parents, et quand je suis venu à toi, tu l'as remercié, tu as redoublé de confiance et d'amour pour lui; et je me suis mis à l'aimer moi-même. Si ce n'est le saint, c'est au moins l'image qui m'est chère. A force de la regarder avec les yeux du coeur, j'ai découvert sur cette figure une expression qu'elle n'a peut-être pas. J'en ai les trois quarts sur mon coupon; c'est une tête de jeune homme avec des cheveux courts et des traits communs; mais elle est penchée dans une attitude douce et mélancolique sur une Bible que la main soutient. Dans ce livre, me disais-je avant de t'avoir vue, et lorsque je m'imaginais que tu étais morte, le triste patron semble lire la courte et misérable destinée de l'enfant confiée à sa protection. Il la contemple avec tendresse et compassion; car nul autre que lui n'a eu pitié de l'orphelin sur la terre.»

      Entraîné vers toi par un sentiment indéfinissable, je dirais presque par une attraction surnaturelle, je quittai Paris six mois après la mort de mon père et je me rendis à Gènes. Je pris des informations à l'hospice. Cette recherche était loin d'être certaine, j'avais la date du jour où l'on t'avait déposée, mais non pas l'heure. Plusieurs enfants avaient été déposés le même jour. D'après le témoignage des registres, on me donna trois indications différentes. Le signe de saint Jean Népomucène était le seul renseignement que je pusse donner, et tu pouvais l'avoir perdu depuis longtemps. Mes premières tentatives furent vaines; l'enfant qu'on me désigna avait un autre signe: il était contrefait, hideux; j'avais tremblé que ce ne fût là ma soeur. Je partis ensuite pour un petit village situé dans les montagnes de la côte, où l'on m'indiqua une famille de paysans qui avait encore un des enfants abandonnés dans la journée du 18 mai 17… Quelles amères réflexions je fis sur ton sort durant le chemin! Combien tu pouvais être avilie, maltraitée, misérable entre les mains de ces hommes rudes et grossiers, qui font une spéculation de leur charité à l'égard des orphelins, et qui ne se chargent de les élever qu'afin d'avoir en eux plus tard des serviteurs non salariés! J'arrivai à Saint… ce romantique hameau où tu as vécu tes dix premières années, et dont tu as gardé un si cher souvenir, et je te trouvai au sein de cette honnête famille qui te chérissait à l'égal de ses propres membres, et dont tu gardais les chèvres sur le versant des Alpes maritimes. Cette journée ne sortira jamais de notre mémoire, n'est-ce pas, chère Sylvia? Combien de fois nous nous sommes raconté l'impression que nous causa la première vue l'un de l'autre! Mais je ne t'ai pas dit avec quelle émotion je fis mes premières recherches. J'étais bien incertain encore. Tes parents adoptifs m'avaient assuré que tu avais une image de saint, mais ils ne savaient pas lire; et comme le coupon ne portait que les dernières lettres du nom de Népomucène, ils ne se rappelaient pas quel saint le curé du village avait nommé plusieurs fois en examinant le signe. La femme, qui t'avait nourrie, faisait son possible pour me persuader que tu n'étais pas l'enfant que je cherchais. L'espoir d'une récompense n'adoucissait pas pour elle l'idée de te perdre. Tu étais si aimée! tu avais déjà su exercer une telle puissance d'affection sur tous ceux qui t'entouraient! La manière presque superstitieuse dont cette famille parlait de toi me semblait un témoignage de la protection mystérieuse et sublime que Dieu accorde à l'orphelin, en le douant presque toujours de quelque attrait ou de quelque vertu qui remplace la protection naturelle de ses parents, et qui lui attire forcément le dévouement de ceux que le hasard lui donne pour appui. D'après les commentaires de ces honnêtes montagnards, tu devais appartenir à la plus illustre famille, car tu avais autant de fierté dans le caractère que si un sang royal eût coulé dans tes veines. Ton intelligence et ta sensibilité faisaient l'admiration du curé et du maître d'école du village. Tu avais appris à lire et à écrire en moins de temps que les autres n'en mettaient pour épeler. Je me souviendrai toujours des paroles de ta nourrice. «Orgueilleuse comme la mer, disait-elle en parlant de toi, et méchante comme la bourrasque, il faut que tout le monde lui cède. Ses frères de lait lui obéissent comme des imbéciles; ils sont si simples, mes pauvres enfants, et celle-là si fière! Avec cela, caressante et bonne comme un ange quand elle s'aperçoit qu'elle a fait de la peine. Elle a été trois jours au lit avec la fièvre, pour le chagrin qu'elle a eu d'avoir fait mal au petit Nani une fois qu'elle était en colère. Elle l'a poussé, l'enfant est tombé et a saigné on peu. Quand j'ai vu cela, la colère m'est venue à moi-même; j'ai couru d'abord relever le petit, et puis j'ai cherché le démon de petite fille pour l'assommer; mais je n'ai pas eu le courage de la toucher quand je l'ai vue venir à moi toute pâle et se jeter au cou du petit Nani, en criant: «Je l'ai tué! je l'ai tué!» L'enfant n'avait pas grand'chose, et la Sylvia a été plus malade que lui.» Le curé, à son tour, arriva, et m'assura que ton saint était bien Jean Népomucène. Le coeur me bondit de joie, car je t'aimais passionnément depuis une heure. Ce qu'on me racontait de ton caractère ressemblait tellement aux souvenirs de mon enfance que je me sentais ton frère de plus en plus à chaque instant. Pendant ce temps, on te cherchait; tu avais conduit tes chèvres aux pâturages; mais la montagne était haute, et je t'attendais impatiemment à la porte de la maison. Le curé me proposa de me conduire à ta rencontre, et j'acceptai avec joie. Que de questions je lui adressai en chemin! que de traits de ton caractère je lui fis raconter! Je n'osais pas lui demander si tu étais belle; cela me semblait une question puérile, et cependant je mourais d'envie de le savoir. J'étais encore un peu enfant moi-même, et l'intérêt que je sentais pour toi était, comme mon âge, romanesque. Ton nom, étrangement recherché pour une gardeuse de chèvres, résonnait agréablement à mon oreille. Le curé m'apprit que tu t'appelais Giovanna; mais qu'une vieille marquise française, retirée dans les environs depuis l'émigration, t'avait prise en amitié dès tes premiers ans, et t'avait donné ce nom de fantaisie, qui avait, malgré l'avis el les remontrances du bonhomme, remplacé celui de ton saint patron. Il n'aimait pas beaucoup la marquise, le brave curé; il prétendait qu'elle te gâtait le jugement et t'exaltait l'imagination en te faisant lire les contes de Perrault et de madame d'Aulnoy, qu'il qualifiait de livres dangereux. «Il est heureux, disait-il, que la petite fortune de cette dame ne lui ait pas permis de donner aux parents adoptifs de l'enfant une somme assez forte pour les engager à la lui confier entièrement. Ils ont mieux aimé en faire une bergère, et, dans l'incertitude de l'avenir de cette pauvre petite, ils avaient raison, autant pour elle que pour eux. Maintenant la Providence lui envoie une autre destinée; ce doit être pour le mieux, car elle est mère de l'orphelin, et se charge de celui que les hommes abandonnent. Mais je vous en supplie, Monsieur, me disait-il, surveillez cette éducation-là. Vous êtes bien jeune pour vous en occuper vous-même; mais faites que cette bonne terre reçoive le bon grain d'une main bien entendue. Il y a là le germe d'une vertu peu commune, si on sait le développer. Qui sait si la négligence ou des leçons imprudentes n'y feraient pas éclore le vice? Elle sera belle, quoiqu'un peu brûlée par notre soleil, et la beauté est un don funeste aux femmes que la religion ne protège pas… – Elle est belle, dites-vous? lui demandai-je. – Parbleu! la voilà, me dit le curé en me montrant une enfant endormie sur l'herbe. Nous l'aurions attendue longtemps au train dont elle vient à nous.»

      Oh! que tu étais belle en effet dans ton sommeil, ma Sylvia, ma soeur chérie! quelle enfant robuste, courageuse et fière tu me semblas, étendue ainsi sur la bruyère entre le ciel et la cime des Alpes, exposée aux rayons ardents du jour et au vent de la mer qui par instants passait par bouffées et séchait la sueur sur ton large front ombragé de cheveux humides! Que tes grands cils jetaient une ombre pure sur les joues hâlées, plus douces que le velours de la pêche! Il y avait de l'insouciance et de la mélancolie en même temps dans le demi-sourire de ta bouche entr'ouverte;