André. Жорж Санд. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn:
Скачать книгу
a des bords assez perfides.

      – Où prenez-vous ce Château-Fondu? demanda Henriette.

      – Auprès du château de Morand, répondit Joseph. Oh! c'est un endroit singulier et assez dangereux en effet. Figurez-vous un petit lac au milieu d'une prairie: l'eau est presque toute cachée par les roseaux et les joncs; cela est plein de sarcelles et de canards sauvages: c'est pourquoi j'y vais chasser souvent.

      – Quand tu dis chasser, tu veux dire braconner, interrompit André.

      – Soit. Je vous disais donc qu'on ne voit presque pas où l'eau commence, tant cela est plein d'herbes. Sur les bords il y a une espèce de gazon mou où vous croyez pouvoir marcher; pas du tout: c'est une vase verte où vous enfoncez au moins jusqu'aux genoux, et très-souvent jusque par-dessus la tête.

      – La tradition du pays, reprit André, est qu'autrefois il y avait un château à la place de cet étang. Une belle nuit le diable, qui avait fait signer un pacte au châtelain, voulut emporter sa proie et planta sa fourche sous les fondations. Le lendemain on chercha le château dans tout le pays; il avait disparu. Seulement on vit à la place une mare verte dont personne ne pouvait approcher sans enfoncer dans la vase, et qui a gardé le nom de Château-Fondu.

      – Voilà un conte comme je les aime, dit Geneviève.

      – Ce qui accrédite celui-là reprit André, c'est que dans les chaleurs, lorsque les eaux sont basses, on voit percer çà et là des amas de terres ou de pierres verdâtres que l'on prend pour des créneaux de tourelles.

      – Je ne sais ce qui en est, dit Joseph; mais il est certain que mon chien, qui n'est pas poltron, qui nage comme un canard, et qui est habitué à barboter dans les marais pour courir après les bécassines, a une peur effroyable du Château-Fondu; il semble qu'il y ait là je ne sais quoi de surnaturel qui le repousse; je le tuerais plutôt que de l'y faire entrer.

      – C'est un endroit tout à fait merveilleux, dit Geneviève. Est-ce bien loin d'ici?

      – Oh! mon Dieu, non, dit André, qui mourait d'envie de rencontrer encore Geneviève dans les prés.

      – Pas bien loin, pas bien loin! dit Joseph; il y a encore trois bonnes lieues de pays. Mais voulez-vous y aller, mademoiselle Geneviève?

      – Non, monsieur; c'est trop loin.

      – Il y aurait un moyen: je mettrais mon gros cheval à la patache, et…

      – Oh! oui, oui! s'écrièrent Henriette et ses ouvrières! menez-nous au Château-Fondu, monsieur Joseph!

      – Et nous aussi! s'écrièrent les petites soeurs de Joseph; nous aussi, Joseph! En patache, ah! quel plaisir!

      – J'y consens si vous êtes sages. Voyons, quel jour!

      – Pardine! c'est demain dimanche, dit Henriette.

      – C'est juste. A demain donc. Vous y viendrez avec nous, mademoiselle Geneviève?

      – Oh! je ne sais, dit-elle avec un peu d'embarras. Je crois que je ne pourrai pas. Je ne vous suis pas moins reconnaissante, monsieur.

      – Allons! allons! voilà tes scrupules, Geneviève, dit Henriette. C'est ridicule, ma chère. Comment, tu ne peux pas venir avec nous quand les demoiselles Marteau y viennent?

      – Ces demoiselles, lui dit tout bas Geneviève, sont sous la garde de leur frère.

      – Eh! mon Dieu! dit tout haut Henriette, tu seras sous la mienne. Ne suis-je pas une fille majeure, établie, maîtresse de ses actions? Y a-t-il, n'importe où, n'importe qui, assez malappris pour me regarder de travers? Est-ce qu'on ne se garde pas-soi-même d'ailleurs? Tu es ennuyeuse, Geneviève, toi qui pourrais être si gentille! Allons, tu viendras, ma petite! Mesdemoiselles, venez donc la décider.

      – Oh! oui! oui! Geneviève, tu viendras, dirent toutes les petites filles; nous n'irons pas sans toi.

      Justine, l'aînée des filles de la maison, passa son bras sous celui de Geneviève en lui disant:

      «Je vous en prie, ma chère, venez-y.» Et elle ajouta, en se penchant à son oreille: «Vous savez que je ne puis causer qu'avec vous.

      – Eh bien! j'irai, dit Geneviève toute confuse, puisque vous le voulez absolument.

      – Comme vous êtes aimable! dit Justine.

      – Oh! ne vous y fiez pas! s'écria Henriette; voilà comme elle fait toujours. Elle promet pour se débarrasser des gens, et au moment de partir elle trouve mille prétextes pour rester. C'est une menteuse: faites-lui donner sa parole d'honneur.

      – Allez-y, mon enfant, dit madame Marteau à Geneviève. Je ne puis y aller; sans cela je vous accompagnerais. Mais, si vous êtes obligeante, vous me remplacerez auprès de mes petites. Joseph est un grand fou, ces demoiselles-là sont un peu étourdies: elles s'amuseront, elles danseront, et elles feront bien; mais pendant ce temps les petites filles pourraient bien se jeter dans ce vilain Château-Fondu. Vous, Geneviève, qui êtes sage et sérieuse comme une petite maman, vous les surveillerez, et je vous en saurai tout le gré possible.

      – Cela me décide tout à fait, répondit Geneviève. J'irai, ma chère dame; mesdemoiselles, je vous en donne ma parole d'honneur.

      – Oh! quel bonheur! s'écrièrent les petites Marteau; tu joueras avec nous, Geneviève; tu nous feras des couronnes de marguerites et des paniers de jonc, n'est-ce pas?

      – Un instant, un instant, dit Joseph; combien serons-nous? Neuf femmes, André et moi. Je ne peux mettre tout ce monde-là dans ma patache: il faut nous mettre en quête d'une seconde voiture.

      – Mon père a un char à bancs, qu'il nous prêtera volontiers, dit André.

      – A la bonne heure, voilà qui est convenu, reprit Joseph. Tu iras coucher ce soir chez toi, et tu seras revenu ici de grand matin avec ton équipage. Très-bien. Maintenant préparons-nous à nous amuser demain en nous amusant aujourd'hui. Voulez-vous danser? voulez-vous jouer aux barres, à cache-cache, aux petits paquets?

      – Dansons, dansons! crièrent les jeunes filles.

      Joseph tira sa flûte de sa poche, grimpa sur des gradins de pierre couverts d'hortensias, et se mit à jouer, tandis que ses soeurs et les grisettes prirent place sous les lilas. André mourait d'envie d'inviter Geneviève: c'est pourquoi il ne l'osa pas et s'adressa à Henriette, qui fut assez fière d'avoir accaparé le seul danseur de la société.

      Néanmoins, guidée par un regard de Joseph, elle entraîna son cavalier vis-à-vis de Geneviève, qui avait pris pour danseuse la plus petite des demoiselles Marteau.

      Geneviève rougit beaucoup quand il fut question de toucher la main d'André: c était la première fois de sa vie que pareille chose lui arrivait; mais elle prit courageusement son parti et montra une gaieté douce qu'elle n'aurait pas espérée d'elle-même si elle eût prévu une heure auparavant qu'elle dût sortir à ce point de ses habitudes.

      «Eh bien! savez-vous une chose? s'écria Joseph à la fin de la contredanse; c'est que mademoiselle Geneviève passe pour ne pas savoir danser. Oui, mesdemoiselles, il y a dans la ville vingt mauvaises langues qui disent qu'elle a ses raisons pour ne pas aller au bal. Eh bien! moi, je vous le dis, je n'ai jamais vu si bien danser de ma vie; et cependant, mademoiselle Henriette, il n'y a pas beaucoup de prévôts qui pussent vous en remontrer.»

      Geneviève devint rouge comme une fraise, et Henriette, s'approchant de Joseph, lui dit:

      «Taisez-vous, vous allez la mettre en fuite. C'est un mauvais moyen pour l'apprivoiser que de faire attention à elle.

      – Allons donc! allons donc! dit Joseph à voix basse en ricanant; un petit compliment ne fait jamais de peine à une fille. Quand je vous dis, par exemple, que vous voilà jolie comme un ange, vous ne pouvez pas vous en fâcher, car vous savez bien que je le pense.

      – Vous êtes un diseur de riens! répondit Henriette, gonflée d'orgueil et de contentement.

      Cette fois André osa inviter Geneviève, mais il la fit danser sans pouvoir lui dire