Les Maîtres sonneurs. Жорж Санд. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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tout de la rencontrer, puisqu'on n'a pas le temps et le moyen de la chercher.

      – C'est donc, Joset, que tu aurais ton idée tournée à la musiquerie? Voilà qui m'étonnerait bien. Je t'ai toujours connu muet comme une tanche, ne retenant et ne ruminant aucune chanson; car, quand tu t'essayais sur le chalumeau de paille, comme font beaucoup de pâtours, tu changeais tous les airs que tu avais entendus, de telle manière qu'on ne les reconnaissait plus. De ce côté-là, on te jugeait encore plus innocent que tous les enfants innocents qui s'imaginent de cornemuser sur les pipeaux; or, si tu dis que Carnat ne te contente pas, lui qui fait danser si bien en mesure et qui mène ses doigts si subtilement, tu me donnes encore plus à penser que tu n'as pas l'oreille bonne.

      – Oui, oui, répondit Joseph, tu as raison de me reprendre, car je dis des sottises, et je parle de ce que je ne sais pas. Or donc, bonne nuit, Tiennet; oublie ce que je t'ai dit, car ça n'est pas ce que j'aurais voulu dire; mais j'y penserai, pour tâcher de te le dire mieux une autre fois.

      Et il s'en alla vitement, comme regrettant d'avoir parlé; mais Brulette, qui sortait de chez nous avec ma sœur, l'arrêta, le ramena vers moi, et nous dit: – Il est temps que ces histoires-là finissent. Voilà ma cousine qui s'en est tant laissé dire, qu'elle tient Joset pour un loup-garou, et il faut s'expliquer, à la fin!

      – Qu'il soit donc fait selon ton vouloir, répondit Joseph, car je suis fatigué de passer pour sorcier, et j'aime encore mieux passer pour imbécile.

      – Non, tu n'es ni imbécile ni fou, reprit Brulette, mais tu es bien obstiné, mon pauvre Joset! Sache donc, Tiennet, que ce gars-là n'a rien de mauvais dans la tête, sinon une fantaisie de musique qui n'est pas si déraisonnable que dangereuse.

      – Alors, répondis-je, je comprends ce qu'il me disait tout à l'heure; mais où diable a-t-il pris pareille idée?

      – Un petit moment! reprit Brulette; ne le fâchons pas injustement; ne te dépêche pas de dire qu'il est incapable de musiquer; car tu penses peut-être, comme sa mère et comme mon grand-père, qu'il a l'esprit bouché à cela, comme autrefois au catéchisme. Moi, je dirai que c'est toi, et mon grand-père, et la bonne Mariton qui n'y connaissez rien. Joseph ne peut chanter, non qu'il soit court d'haleine, mais parce qu'il ne fait point de son gosier ce qu'il veut; et comme il ne se contente point lui-même, il aime mieux ne jamais faire usage de sa voix, qui lui est rétive. Alors, bien naturellement, il souhaite de musiquer sur un instrument qui ait une voix en place de la sienne, et qui chante tout ce qui vient dans son idée. C'est pour avoir toujours manqué de cette voix d'emprunt, que notre gars a toujours été triste, ou songeur, ou comme ravi en lui-même.

      – C'est tout justement comme elle te le dit! m'observa Joseph, qui paraissait soulagé d'entendre cette belle jeunesse le débarrasser de ses pensées en les rendant compréhensibles pour moi. Mais ce qu'elle ne te dit point, c'est qu'elle a une voix en ma place, et une voix si douce, si claire, et qui dit si justement les choses entendues, que je prenais déjà, étant petit enfant, mon plus grand plaisir à l'écouter.

      – Mais, poursuivit Brulette, nous avions bien quelquefois maille à partir ensemble à ce sujet-là; J'aimais à imiter toutes les petites filles de campagne, qui ont pour coutume, en gardant leurs bêtes, de crier leurs chansons à pleine tête, pour se faire entendre au loin; et comme en criant comme ça, j'outrepassais ma force, je gâtais tout, et je faisais mal aux oreilles de Joset. Et puis, quand je me suis rangée à chanter raisonnablement, il s'est trouvé que j'avais si bonne mémoire pour retenir toutes choses chantables, celles qui contentent notre gars comme celles qui l'encolèrent, que plus d'une fois je l'ai vu me brûler compagnie tout d'un coup et s'en aller sans rien me dire, encore qu'il m'eût priée de chanter. Pour ce qui est de ça, il n'est pas toujours bien honnête ni gracieux; mais comme c'est lui, j'en ris au lieu de m'en fâcher. Je sais bien qu'il y reviendra, car il n'a pas la souvenance certaine, et quand il a entendu quelque chansonnette qu'il ne juge point trop laide, il accourt me la demander, et il est bien sûr de la trouver dans ma tête.

      J'observai à Brulette que Joseph n'ayant pas de souvenance, ne me paraissait point né pour cornemuser.

      – Oh dame! c'est là qu'il faut encore retourner ton jugement de l'envers à l'endroit, répondit-elle. Vois-tu, mon pauvre Tiennet, ni toi ni moi ne connaissons la vérité de la chose, comme dit ce gars-là. Mais, à force de vivre avec ses songeries, j'ai fini par comprendre ce qu'il ne sait pas ou n'ose pas dire. La vérité de la chose, c'est que Joset prétend inventer lui-même sa musique, et qu'il l'invente, de vrai. Il a réussi à se faire une flûte d'un roseau, et il chante là-dessus, je ne sais comment, car il n'a jamais voulu se laisser ouïr de moi, ni de personne de chez nous. Quand il veut flûter, il s'en va le dimanche, et mêmement la nuit, dans des endroits non fréquentés où il flûte à sa guise; et quand je lui demande de flûter pour moi, il me répond qu'il ne sait pas encore ce qu'il veut savoir, et qu'il m'en régalera quand ça en vaudra la peine. Voilà pourquoi, depuis qu'il a inventé ce flûteriot, il s'absente tous les dimanches, et quelquefois sur la semaine, pendant la nuit, quand sa musique le tient trop fort.

      Tu vois, Tiennet, que toutes ces affaires-là sont bien innocentes; mais c'est à présent qu'il faut nous expliquer tous les trois, mes amis; car voilà Joset qui se met dans la volonté d'employer son premier gage (ayant jusqu'à cette heure tout donné en garde à sa mère) à faire achat d'une musette, et comme il dit qu'il est mince ouvrier, et que son cœur voudrait retirer la Mariton de ses fatigues, il prétendrait se faire cornemuseux de son état, parce que, de vrai, on y gagne gros.

      – L'idée serait bonne, dit ma sœur, qui nous écoutait, si, pour de vrai, Joseph avait le talent; mais, avant d'acheter la musette, m'est avis qu'il faudrait s'assurer de la manière de s'en servir.

      – Ça, c'est affaire de temps et de patience, dit Brulette; mais là n'est point l'empêchement. Est-ce que vous ne savez pas que voilà, depuis un tour de temps, le garçon à Carnat qui s'essaye aussi à cornemuser, à seules fins de garder au pays la place de son père?

      – Oui, oui, répondis-je, et je vois ce, qui en résulte. Carnat est vieux, et on aurait pu avoir sa succession; mais son fils, qui la veut, la gardera, parce qu'il est riche et bien appuyé dans le pays; tandis que toi, Joset, tu n'as encore ni argent pour acheter ta musette, ni maître pour t'enseigner, ni amis de ta musique pour te soutenir.

      – C'est la vérité, répondit Joset tristement. Je n'ai encore que mon idée, mon roseau et elle!

      Ce disant, il désignait Brulette, qui lui prit la main bien amiteusement en lui répondant: – Joset, je crois bien à ce qui est dans ta tête, mais je ne peux pas être assurée de ce qui en sortira. Vouloir et pouvoir sont deux; songer et flûter diffèrent grandement. Je sais que tu as dans les oreilles, ou dans la cervelle, ou dans le cœur, une vraie musique du bon Dieu, parce que j'ai vu ça dans tes yeux quand j'étais petite, et que, plus d'une fois, me prenant sur tes genoux, tu me disais d'un air charmé: – Écoute, ne fais pas de bruit, et tâche de te souvenir. Alors, moi, j'écoutais bien fidèlement, et je n'entendais que le vent qui causait dans les feuillages, ou l'eau qui grelottait au long des cailloux; mais toi, tu entendais autre chose, et tu en étais si assuré, que je l'étais par contre.

      Eh bien! mon garçon, conserve dans ton secret ces jolies musiques qui te sont bonnes et douces; mais n'essaye point de faire le ménétrier, car il arrivera ceci ou cela: ou tu ne pourras jamais faire dire à ta musette ce que l'eau et le vent te racontent dans l'oreille; ou bien, si tu deviens musiqueux fin, les autres petits musiqueux du pays te chercheront noise et t'empêcheront de pratiquer. Ils te voudront mal et te causeront des peines, comme ils ont coutume de faire, pour empêcher qu'on n'ait part à leurs profits et à leur renom. Ils y mettent de l'intérêt et de la gloriole aussi. Ils sont ici et aux alentours une douzaine, qui ne s'accordent guère entre eux, mais qui s'entendent et se soutiennent pour ne point laisser pousser de nouvelles graines sur leurs terres. Ta mère, qui entend causer les cornemuseux le dimanche, car ils sont tous gens très-asséchés de soif et coutumiers de boire bien avant dans la nuit après les danses, est très-chagrinée de te voir penser à entrer dans une pareille corporation. Ils sont rudes et méchants, et toujours des premiers exposés dans les querelles et batteries. L'habitude d'être en fête et chômage les