»Pour le roi:
»PIGNATELLI, vicaire général.»
Au reste, pendant la nuit du 23 au 24 décembre, c'est-à-dire pendant la nuit qui avait suivi le départ du roi, les représentants de la ville s'étaient réunis pour pourvoir à la sûreté de Naples.
On appelait la ville ce que, de nos jours, on appellerait la municipalité, c'est-à-dire sept personnes élues par les sedili.
Les sedili étaient les titulaires de priviléges qui remontaient à plus de huit cents ans.
Lorsque Naples était encore ville et république grecque, elle avait, comme Athènes, des portiques où se réunissaient, pour causer des affaires publiques, les riches, les nobles, les militaires.
Ces portiques étaient son agora.
Sous ces portiques, il y avait des siéges circulaires appelés sedili.
Le peuple et la bourgeoisie n'étaient point exclus de ces portiques; mais, par humilité, ils s'en excluaient eux-mêmes, et les laissaient à l'aristocratie, qui, comme nous l'avons dit, y délibérait sur les affaires de l'État.
Il y eut d'abord quatre sedili, autant que Naples avait de quartiers, puis six, puis dix, puis vingt.
Ces sedili, enfin, s'élevèrent jusqu'à vingt-neuf; mais, s'étant confondus les uns avec les autres, ils furent réduits définitivement à cinq, qui prirent les noms des localités où ils se trouvaient, c'est-à-dire de Capuana, de Montagna, de Nido, de Porto et de Porta-Nuova.
Les sedili acquirent une telle importance, que Charles d'Anjou les reconnut comme des puissances dans le gouvernement. Il leur accorda le privilége de représenter la capitale et le royaume, de nommer parmi eux les membres du conseil municipal de Naples, d'administrer les revenus de la ville, de concéder le droit de citoyen aux étrangers et d'être juges dans certaines causes.
Peu à peu, un peuple et une bourgeoisie se formèrent. Ce peuple et cette bourgeoisie, en voyant les nobles, les riches et les militaires seuls administrateurs des affaires de tous, demandèrent à leur tour un seggio ou sedile, qui leur fut accordé, et l'on nomma le sedile du peuple.
Sauf la noblesse, ce sedile eut les mêmes priviléges que les cinq autres.
La municipalité de Naples se forma alors d'un syndic et de six élus, un par sedile. Vingt-neuf membres choisis dans les mêmes réunions, et rappelait les vingt-neuf sedili qui, un instant, avaient existé dans la ville, leur furent adjoints.
Ce furent donc, le roi parti, le syndic, ces dix élus et ces vingt-neuf adjoints formant la cité, qui se réunirent et qui prirent, comme première mesure, la résolution de former une garde nationale et d'élire quatorze députés ayant mission de prendre la défense et les intérêts de Naples, dans les événements encore inconnus, mais, à coup sur, graves, qui se préparaient.
Que nos lecteurs excusent la longueur de nos explications: nous les croyons nécessaires à l'intelligence des faits qui nous restent à raconter, et sur lesquels l'ignorance de la constitution civile de Naples et des droits et des priviléges des Napolitains jetterait une certaine obscurité, puisque l'on assisterait à cette grande lutte de la royauté et du peuple, sans connaître, nous ne dirons pas les forces, mais les droits de chacun d'eux.
Donc, le 24 décembre, c'est-à-dire le lendemain du départ du roi, tandis qu'ils étaient occupés de l'élection de leurs quatorze députés, la ville et la magistrature allèrent présenter leurs hommages à M. le vicaire général prince Pignatelli.
Le prince Pignatelli, homme médiocre dans toute la force du terme, fort au-dessous de la situation que les événements lui faisaient, et, comme toujours, d'autant plus orgueilleux, qu'il était plus inférieur à sa position, – le prince Pignatelli les reçut avec une telle insolence, que la députation se demanda si les prétendues instructions que l'on disait laissées par la reine n'étaient pas réelles, et si la reine n'avait point lancé, en effet, l'acte fatal qui faisait trembler les Napolitains.
Sur ces entrefaites, les quatorze députés, ou plutôt représentants, que la ville devait élire, avaient été élus. Ils résolurent, comme premier acte constatant leur nomination et leur existence, malgré le médiocre succès de la première ambassade, d'en envoyer une seconde au prince Pignatelli, ambassade qui serait particulièrement chargée de lui démontrer l'utilité de la garde nationale, que la ville venait de décréter.
Mais le prince Pignatelli fut encore plus rogue et plus brutal cette fois que la première, répondant aux députés qui lui étaient adressés que c'était à lui, et non pas à eux, que la sécurité de la ville avait été confiée, et qu'il rendrait compte de cette sécurité à qui de droit.
Il arriva ce qui, d'habitude, arrive dans les circonstances où les pouvoirs populaires commencent, en vertu de leurs droits, à exercer leurs fonctions. La ville, à laquelle il fut rendu compte de la réponse insolente du vicaire général, ne se laissa aucunement intimider par cette réponse. Elle nomma de nouveaux députés qui, une troisième fois, se présentèrent devant le prince, et qui, voyant qu'il leur parlait plus grossièrement encore cette troisième fois que les deux premières, se contentèrent de lui répondre:
–Très bien! Agissez de votre côté, nous agirons du nôtre, et nous verrons en faveur de qui le peuple décidera.
Après quoi, ils se retirèrent.
On en était à Naples à peu près où en avait été la France après le serment du Jeu-de-Paume; seulement, la situation était plus nette pour les Napolitains, le roi et la reine n'étant plus là.
Deux jours après, la ville reçut l'autorisation de former la garde nationale qu'elle avait décrétée.
Mais, dans la manière de la former, bien plus encore que dans l'autorisation accordée ou refusée par le prince Pignatelli, était la difficulté.
Le mode de formation était l'enrôlement; mais l'enrôlement n'était point l'organisation.
La noblesse, habituée, à Naples, à occuper toutes les charges, avait la prétention, dans le nouveau corps qui s'organisait, d'occuper tous les grades ou, du moins, de ne laisser à la bourgeoisie que les grades inférieurs, dont elle ne se souciait pas.
Enfin, après trois ou quatre jours de discussion, il fut convenu que les grades seraient également répartis entre les bourgeois et les nobles.
Sur cette base, un bon plan fut établi, et, en moins de trois jours, les enrôlements montèrent à quatorze mille.
Mais, à cette heure que l'on avait les hommes, il s'agissait de se procurer les armes. Ce fut à cet endroit que l'on rencontra, de la part du vicaire général, une opposition obstinée.
A force de lutter, on obtint une première fois cinq cents fusils, et une seconde fois deux cents.
Alors les patriotes, le mot circulait déjà hautement, – les patriotes furent invités à prêter leurs armes, les patrouilles commencèrent immédiatement, et la ville prit un certain air de tranquillité.
Mais tout à coup, et au grand étonnement de chacun, on apprit à Naples qu'une trêve de deux mois, dont la première condition devait être la reddition de Capoue, avait été signée la veille, c'est-à-dire le 9 janvier 1799, à la demande du général Mack, entre le prince de Migliano et le duc de Geno, d'un côté, pour le compte du gouvernement, représenté par le vicaire général, et le commissaire ordonnateur Archambal, de l'autre, pour l'armée républicaine.
La trêve était arrivée à merveille pour tirer Championnet d'un grand embarras. Les ordres donnés par le roi pour le massacre des Français avaient été suivis à la lettre. Outre les trois grandes bandes de Pronio, de Mammone et de Fra-Diavolo que nous avons vues à l'oeuvre, chacun s'était mis en chasse des Français. Des milliers de paysans couvraient les routes, peuplaient les bois et la montagne, et, embusqués derrière les arbres, cachés derrière les rochers, couchés dans les plis du terrain, massacraient impitoyablement tous ceux qui avaient l'imprudence de rester en arrière des