Luisa acheva ces paroles en sanglotant.
Nina la regardait avec une certaine joie, profitant de ce qu'ayant son mouchoir sur les yeux, sa maîtresse ne pouvait lire l'expression fugitive qui éclairait son visage.
–Et… – elle hésita un instant, – et si M. Salvato vient, que lui dirai-je, à lui?
Luisa découvrit son visage et, avec une suprême sérénité:
–Que je l'aime toujours, répondit-elle, et que cet amour durera autant que ma vie. Allez dire à Michele qu'il ne s'éloigne pas: j'ai à lui parler avant mon départ et je compte sur lui pour me conduire jusqu'au bateau.
Nina sortit.
Restée seule, Luisa imprima son visage dans l'oreiller resté sur le lit, laissa un baiser dans l'empreinte qu'elle avait faite et sortit à son tour.
Trois heures venaient de sonner, et, avec sa ponctualité ordinaire que rien ne pouvait troubler, le chevalier entrait dans la salle à manger par la porte de son cabinet de travail, tandis que Luisa y entrait par celle de sa chambre à coucher.
Michele se tenait debout sur le perron en dehors de la porte.
Le chevalier le chercha des yeux.
–Où est donc Michele? demanda-t-il. J'espère bien qu'il n'est point parti?
–Non, dit Luisa, le voici. Viens donc, Michele! le chevalier t'appelle, et, moi, j'ai besoin de te parler.
Michele entra.
–Tu sais ce qu'a fait ce garçon-là! dit le chevalier à Luisa en lui posant la main sur l'épaule.
–Non, fit la jeune femme; quelque chose de bien, j'en suis sûr.
Puis, mélancoliquement:
–On l'appelle Michele le Fou à la Marinella; mais l'amitié qu'il a pour nous, à mes yeux, du moins, ajouta-t-elle, lui tient lieu de raison.
–Ah! pardieu! dit Michele, voilà une belle affaire!
–Il est vrai que cela ne vaut pas la peine d'en parler, continua San-Felice avec son bon sourire;je suis si distrait, qu'en rentrant, je ne t'en ai rien dit; – il m'a très-probablement sauvé la vie.
–Allons donc! fit Michele.
–Sauvé la vie! Et comment cela? demanda Luisa avec une vive altération dans la voix.
–Imagine-toi qu'il y avait un drôle qui voulait me faire baiser la tête de ce malheureux Ferrari, et qui, parce que je ne voulais pas la baiser, m'appelait jacobin. C'est malsain, d'être appelé jacobin, par le temps qui court. Le mot commençait à faire son effet. Michele s'est élancé entre moi et la foule, il a joué du sabre et l'homme s'en est allé en me menaçant, je crois. Que pouvait-il donc avoir contre moi?
–Pas contre vous, mais contre la maison probablement. Vous vous rappelez ce que vous a dit le docteur Cirillo d'un assassinat qui avait eu lieu sous vos fenêtres dans la nuit du 22 au 23 septembre; eh bien, c'est un des cinq ou six coquins qui ont été si bien étrillés par celui-là même qu'ils voulaient assassiner.
–Ah! ah! et c'est sous mes fenêtres qu'il a reçu la balafre qu'il a sous l'oeil.
–Justement.
–Je comprends que l'endroit lui paraisse néfaste; mais qu'ai-je à voir là dedans?
–Rien, bien entendu; mais, si jamais vous aviez affaire dans le Vieux-Marché, je vous dirais: «Si cela vous est égal, monsieur le chevalier, n'y allez pas sans moi.»
–Je te le promets. Et maintenant embrasse ta soeur, mon garçon, et mets-toi à table avec nous.
Michele était habitué à cet honneur que lui faisaient de temps en temps le chevalier et Luisa. Il ne fit donc aucune difficulté d'accepter l'invitation, maintenant surtout qu'étant nommé capitaine, il avait monté quelques-uns des degrés de l'échelle sociale qui, autrefois, le séparaient de ses nobles amis.
Vers quatre heures, une voiture s'arrêta à la porte de la rue, Nina introduisit le secrétaire du duc de Calabre, qui passa avec le chevalier dans son cabinet, mais en sortit presque aussitôt.
Michele avait fait semblant de ne rien voir.
En sortant du cabinet, et après avoir reconduit le secrétaire du prince, le chevalier fit à Luisa un signe pour lui demander s'il pouvait se confier à Michele.
Luisa qui savait que Michele se ferait tuer pour elle encore bien plus que pour le chevalier, lui répondit que oui.
Le chevalier regarda un instant Michele.
–Mon cher Michele, lui dit-il, tu vas nous promettre de ne pas dire à qui que ce soit au monde un seul mot du secret que nous allons te confier.
–Ah! ah! tu sais ce que c'est, petite soeur?
–Oui.
–Et il faut se taire?
–Tu entends bien ce que te dit le chevalier? Michele fit une croix sur sa bouche.
–Parlez: c'est comme si le beccaïo m'eût coupé la langue.
–Eh bien, Michele, tout le monde part ce soir.
–Comment, tout le monde? Qui cela?
–Le roi, la reine, la famille royale, nous-mêmes.
Les larmes vinrent aux yeux de Luisa. Michele jeta un rapide coup d'oeil sur elle et vit ces larmes.
–Et pour quel pays part-on? demanda Michele.
–Pour la Sicile.
Le lazzarone secoua la tête.
–Ah! ah! fit le chevalier.
–Je n'ai pas l'honneur d'être du conseil de Sa Majesté, dit Michele; mais, si j'en étais, je lui dirais: «Sire, vous avez tort.»
–Oh! pourquoi n'a-t-il pas des conseillers aussi francs que toi, Michele!
–On le lui a dit, reprit le chevalier; l'amiral Caracciolo, le cardinal Ruffo le lui ont dit; mais la reine a eu peur, mais M. Acton a eu peur, et, à la suite du meurtre d'aujourd'hui, le roi s'est décidé à partir.
–Ah! ah! fit Michele, je commence à comprendre pourquoi, au nombre des assassins, j'ai vu Pasquale de Simone et le beccaïo. Quant à fra Pacifico, pauvre homme, il y était, comme son âne, sans savoir pourquoi.
–Alors, Michele, demanda Luisa, tu crois que c'est la reine…?
–Chut! petit soeur; on ne dit pas de ces choses-là à Naples, on se contente de les penser. N'importe! le roi a tort. Si le roi était resté à Naples, jamais les Français n'y seraient entrés, non, jamais: nous nous serions plutôt fait tuer tous! Ah! si le peuple savait que le roi veut partir!
–Oui; mais il ne faut pas qu'il le sache, Michele. Voilà pourquoi je t'ai fait faire serment de ne rien de dire ce que j'allais te révéler. Enfin, nous partons ce soir, Michele.
–Et petite soeur aussi? demanda Michele avec un accent dont il n'avait pu chasser toute surprise.
–Oui; elle a voulu venir, elle a voulu me suivre, cette chère enfant bien-aimée, dit le chevalier en étendant sa main au-dessus de la table pour chercher celle de Luisa.
–Eh bien, dit Michele, vous pouvez vous vanter d'avoir épousé une sainte, vous!
–Michele!.. fit Luisa.
–Je sais ce que je dis. Et vous partez, vous partez ce soir! Madonna! moi, je voudrais bien être quelqu'un: je partirais aussi avec vous.
–Viens, Michele! viens! s'écria Luisa, qui voyait dans Michele un ami auquel elle pourrait parler de Salvato.
–Par