Je signai mon traité avec le Siècle, me réservant le choix du sujet, m'engageant seulement à ce que le roman n'eût pas plus de deux volumes.
Seulement le Siècle était pressé.
Je promis de lui donner les deux volumes dans un mois.
Desnoyers alla porter mon engagement au Siècle.
Je voulais en avoir le coeur net. Je prétendais à part moi qu'il y avait un succès dramatique dans le Capitaine Paul; il devait, par conséquent, y avoir un succès littéraire.
Tout roman ne peut pas faire un drame, mais tout drame peut faire un roman.
Les beaux romans qu'on eût faits avec Hamlet, avec Othello, avec Roméo et Juliette, si Shakespeare n'en avait pas fait trois magnifiques drames!
Je me mis donc à étudier la marine avec mon ami Garnerey le peintre; Garnerey, qui a eu depuis un si beau succès en publiant ses Pontons.
Garnerey se chargea, en outre, de revoir mes épreuves.
Au bout du mois, le drame en cinq actes était devenu un roman en deux volumes.
Maintenant, disons comment le drame reparut à son tour sur l'océan littéraire, et comment le Capitaine Paul fit son chemin, quoiqu'il montât une humble péniche, nommée le Panthéon, au lieu de monter cette frégate de soixante-quatorze que l'on appelait la Porte-Saint-Martin.
Cinquième phase. – Résurrection.
Mon drame refusé par Harel, je l'avais porté à mon ami Porcher.
Je n'ai pas besoin de vous dire ce que c'est que mon ami Porcher, chers lecteurs; si vous me connaissez, vous le connaissez; si vous ne le connaissez pas, ouvrez mes Mémoires, année 1836, et vous ferez connaissance avec lui.
Je lui avais dit:
– Mon cher Porcher, gardez-moi ce drame-là; Harel n'en veut pas: mademoiselle George n'en veut pas, Bocage n'en veut pas mais d'autres en voudront.
Porcher secoua la tête.
Porcher ne pouvait pas croire que trois sommités comme Harel, George et Bocage se trompassent.
Il aimait naturellement mieux croire que c'était moi qui me trompais.
N'importe! comme le Capitaine Paul ne tenait pas grande place et ne coûtait pas cher à nourrir, il plia proprement les cinq actes les uns contre les autres et les mit dans son armoire.
Ils y sommeillaient bien tranquillement depuis cinq mois lorsque le Siècle annonça le Capitaine Paul, roman en deux volumes, par Alexandre Dumas.
La première fois que je revis Porcher.
– À propos, me dit-il, faut-il que je vous renvoie votre Capitaine Paul?
– Pourquoi cela, Porcher?
– Ne paraît-il pas dans le Siècle?
– En roman, Porcher, pas en drame.
– C'est que, lorsqu'il aura paru en roman il sera bien plus difficile à placer encore que lorsqu'il était inédit.
Pauvre Capitaine Paul! voyez dans quelle situation fâcheuse il était.
– Difficile à placer! au contraire, dis-je à Porcher, cela le fera connaître.
Porcher secoua la tête.
– Porcher, écoutez bien ce que vous dit Nostradamus. Il y aura une époque où les libraires ne voudront éditer que des livres déjà publiés dans les journaux. Et où les directeurs ne voudront jouer que des drames tirés de romans.
Porcher secoua une seconde fois la tête, mais bien plus fort que la première fois.
Je quittai Porcher.
Le Capitaine Paul inaugura au Siècle, la série de succès que nous obtînmes depuis avec le Chevalier d'Harmental, les Trois Mousquetaires, Vingt ans après et le Vicomte de Bragelonne.
Succès si grands, que le Siècle, jugeant que je n'en aurais plus jamais de pareils, alla, après la publication de Vingt ans après, porter à Scribe un traité, où la somme était restée en blanc.
Scribe se contenta de demander, par volume, deux mille francs de plus que moi.
Perrée trouva la prétention si modeste, qu'il signa à l'instant même.
Scribe publia Piquillo Alliaga.
Revenons au Capitaine Paul.
Malgré le succès du Capitaine Paul en roman, les directeurs ne mordaient pas au drame.
Porcher triomphait.
Chaque fois que je rencontrais Porcher:
– Eh bien, disait-il, le Capitaine Paul?
– Attendez, lui disais-je.
– Vous voyez bien que j'attends, me répondait-il.
En 1838, une grande douleur me fit quitter Paris et chercher la solitude aux bords du Rhin.
J'étais à Francfort, je reçus une lettre d'un de mes amis, qui m'écrivait:
«Mon cher Dumas, «On vient de jouer votre Capitaine Paul au Panthéon; est-ce de votre consentement?
«Si c'est de votre consentement, comment l'avez-vous donné?
«Si ce n'est pas de votre consentement… comment le souffrez- vous?
«Un mot et je me charge d'arrêter ce scandale.
«À vous.
«J. D.
«On ajoute que, comme personne ne veut croire que la pièce soit de vous, le manuscrit original est exposé dans le foyer.»
Je ne répondis même pas.
Que m'importait le Capitaine Paul, mon Dieu! Que m'importait la hiérarchie théâtrale: Panthéon ou Comédie-Française!
Il en résulta que le Capitaine Paul continua le cours de ses représentations sans être inquiété le moins du monde, et que mes amis éplorés levèrent en choeur les bras au ciel en disant:
– Pauvre Dumas! il en est réduit à faire jouer ses pièces au Panthéon.
Je puis dire que, s'il y a un homme qui fut plaint hautement, c'est moi.
J'étais plus qu'usé, j'étais passé; j'étais plus que passé, j'étais trépassé.
Personne n'avait songé à me plaindre pour l'irréparable perte que j'avais faite.
J'avais perdu ma mère.
Tout le monde me plaignait parce que ma pièce avait été jouée au Panthéon.
O mon Dieu! quel admirable caractère vous m'avez donné, que je ne suis pas devenu plus misanthrope que le misanthrope, plus Alceste qu'Alceste, plus Timon que Timon!
Je revins à Paris.
On ne jouait plus le Capitaine Paul. Il avait eu quelque chose comme soixante représentations.
Mais on en parlait toujours.
Jamais la littérature contemporaine n'avait eu le coeur si pitoyable.
Porcher me croyait furieux contre lui.
Enfin il se décida à venir me voir.
Je le reçus comme d'habitude, le coeur, la main et le visage ouverts.
– Vous n'êtes donc point fâché contre moi? dit-il.
– Pourquoi cela, Porcher?
– Mais à cause du Capitaine Paul.
Je haussai les épaules.
– Je vais vous expliquer cela, me dit Porcher.
– Quoi?
– Comment