Le vicomte de Bragelonne, Tome I.. Dumas Alexandre. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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le cheval par la bride, et n'avait pas perdu tout espoir de voir le roi revenir sur sa résolution. «Il a encore la ressource de remonter à cheval et de courir après le carrosse: on n'aura rien perdu pour attendre.» Mais l'imagination du lieutenant des mousquetaires était trop brillante et trop riche; elle laissa en arrière celle du roi, qui se garda bien de se porter à un pareil excès de luxe.

      Il se contenta de se rapprocher de l'officier, et d'une voix dolente:

      – Allons, dit-il, nous avons fini… À cheval.

      L'officier imita ce maintien, cette lenteur, cette tristesse et enfourcha lentement et tristement sa monture. Le roi piqua, le lieutenant le suivit.

      Au pont, Louis se retourna une dernière fois. L'officier, patient comme un dieu qui a l'éternité devant et derrière lui, espéra encore un retour d'énergie. Mais ce fut inutilement, rien ne parut. Louis gagna la rue qui conduisait au château et rentra comme sept heures sonnaient. Une fois que le roi fut bien rentré et que le mousquetaire eut bien vu, lui qui voyait tout, un coin de tapisserie se soulever à la fenêtre du cardinal, il poussa un grand soupir comme un homme qu'on délie des plus étroites entraves, et il dit à demi-voix:

      – Pour le coup, mon officier, j'espère que c'est fini!

      Le roi appela son gentilhomme.

      – Je ne recevrai personne avant deux heures, dit-il, entendez- vous, monsieur?

      – Sire, répliqua le gentilhomme, il y a cependant quelqu'un qui demandait à entrer.

      – Qui donc?

      – Votre lieutenant de mousquetaires.

      – Celui qui m'a accompagné?

      – Oui, Sire.

      – Ah! fit le roi. Voyons, qu'il entre. L'officier entra.

      Le roi fit signe, le gentilhomme et le valet de chambre sortirent. Louis les suivit des yeux jusqu'à ce qu'ils eussent refermé la porte, et lorsque les tapisseries furent retombées derrière eux:

      – Vous me rappelez par votre présence, monsieur, dit le roi, ce que j'avais oublié de vous recommander, c'est-à-dire la discrétion la plus absolue.

      – Oh! Sire, pourquoi Votre Majesté se donne-t-elle la peine de me faire une pareille recommandation? on voit bien qu'elle ne me connaît pas.

      – Oui, monsieur, c'est la vérité; je sais que vous êtes discret; mais comme je n'avais rien prescrit…

      L'officier s'inclina.

      – Votre Majesté n'a plus rien à me dire? demanda-t-il.

      – Non, monsieur, et vous pouvez vous retirer.

      – Obtiendrai-je la permission de ne pas le faire avant d'avoir parlé au roi, Sire?

      – Qu'avez-vous à me dire? Expliquez-vous, monsieur.

      – Sire, une chose sans importance pour vous, mais qui m'intéresse énormément, moi. Pardonnez-moi donc de vous en entretenir. Sans l'urgence, sans la nécessité, je ne l'eusse jamais fait, et je fusse disparu, muet, et petit, comme j'ai toujours été.

      – Comment, disparu! Je ne vous comprends pas.

      – Sire, en un mot, dit l'officier, je viens demander mon congé à

      Votre Majesté.

      Le roi fit un mouvement de surprise, mais l'officier ne bougea pas plus qu'une statue.

      – Votre congé, à vous, monsieur? et pour combien de temps, je vous prie?

      – Mais pour toujours, Sire.

      – Comment, vous quitteriez mon service, monsieur? dit Louis avec un mouvement qui décelait plus que de la surprise.

      – Sire, j'ai ce regret.

      – Impossible.

      – Si fait, Sire: je me fais vieux; voilà trente-quatre ou trente- cinq ans que je porte le harnais; mes pauvres épaules sont fatiguées; je sens qu'il faut laisser la place aux jeunes.

      «Je ne suis pas du nouveau siècle, moi! j'ai encore un pied pris dans l'ancien; il en résulte que tout étant étrange à mes yeux, tout m'étonne et tout m'étourdit. Bref! j'ai l'honneur de demander mon congé à Votre Majesté.

      – Monsieur, dit le roi en regardant l'officier, qui portait sa casaque avec une aisance que lui eût enviée un jeune homme, vous êtes plus fort et plus vigoureux que moi.

      – Oh! répondit l'officier avec un sourire de fausse modestie. Votre Majesté me dit cela parce que j'ai encore l'oeil assez bon et le pied assez sûr, parce que je ne suis pas mal à cheval et que ma moustache est encore noire; mais, Sire, vanité des vanités que tout cela; illusions que tout cela, apparence, fumée, Sire! J'ai l'air jeune encore, c'est vrai, mais je suis vieux au fond, et avant six mois, j'en suis sûr, je serai cassé, podagre, impotent. Ainsi donc, Sire…

      – Monsieur, interrompit le roi, rappelez-vous vos paroles, d'hier, vous me disiez à cette même place où vous êtes que vous étiez doué de la meilleure santé de France, que la fatigue vous était inconnue, que vous n'aviez aucun souci de passer nuits et jours à votre poste. M'avez-vous dit cela, oui ou non? Rappelez vos souvenirs, monsieur.

      L'officier poussa un soupir.

      – Sire, dit-il, la vieillesse est vaniteuse, et il faut bien pardonner aux vieillards de faire leur éloge que personne ne fait plus. Je disais cela, c'est possible; mais le fait est, Sire, que je suis très fatigué et que je demande ma retraite.

      – Monsieur, dit le roi en avançant sur l'officier avec un geste plein de finesse et de majesté, vous ne me donnez pas la véritable raison; vous voulez quitter mon service, c'est vrai, mais vous me déguisez le motif de cette retraite.

      – Sire, croyez bien…

      – Je crois ce que je vois, monsieur; je vois un homme énergique, vigoureux, plein de présence d'esprit, le meilleur soldat de France, peut-être, et ce personnage-là ne me persuade pas le moins du monde que vous ayez besoin de repos.

      – Ah! Sire, dit le lieutenant avec amertume, que d'éloges! Votre Majesté me confond, en vérité! Énergique, vigoureux, spirituel, brave, le meilleur soldat de l'armée! mais, Sire, Votre Majesté exagère mon peu de mérite, à ce point que si bonne opinion que j'aie de moi, je ne me reconnais plus en vérité. Si j'étais assez vain pour croire à moitié seulement aux paroles de Votre Majesté, je me regarderais comme un homme précieux, indispensable; je dirais qu'un serviteur, lorsqu'il réunit tant et de si brillantes qualités, est un trésor sans prix. Or, Sire, j'ai été toute ma vie, je dois le dire, excepté aujourd'hui, apprécié, à mon avis, fort au-dessous de ce que je valais. Je le répète, Votre Majesté exagère donc.

      Le roi fronça le sourcil, car il voyait une raillerie sourire amèrement au fond des paroles de l'officier.

      – Voyons, monsieur, dit-il, abordons franchement la question. Est-ce que mon service ne vous plaît pas, dites? Allons, point de détours, répondez hardiment, franchement, je le veux.

      L'officier, qui roulait depuis quelques instants d'un air assez embarrassé son feutre entre ses mains, releva la tête à ces mots.

      – Oh! Sire, dit-il, voilà qui me met un peu plus à l'aise. À une question posée aussi franchement, je répondrai moi-même franchement. Dire vrai est une bonne chose, tant à cause du plaisir qu'on éprouve à se soulager le coeur, qu'à cause de la rareté du fait. Je dirai donc la vérité à mon roi, tout en le suppliant d'excuser la franchise d'un vieux soldat.

      Louis regarda son officier avec une vive inquiétude qui se manifesta par l'agitation de son geste.

      – Eh bien! donc, parlez, dit-il; car je suis impatient d'entendre les vérités que vous avez à me dire.

      L'officier jeta son chapeau sur une table, et sa figure, déjà si intelligente et si martiale, prit tout à coup un étrange caractère de grandeur et de solennité.

      – Sire, dit-il, je quitte le service du roi parce que je