Le vicomte de Bragelonne, Tome I.. Dumas Alexandre. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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Et celui d'aujourd'hui?

      – Ah! voilà la difficulté. Aujourd'hui c'est le jour d'arrivée du roi; si la cour vient pour la couchée, le jour de loyer compte. Il en résulte que trois chambres à deux louis la pièce font six louis. Deux louis, monsieur, ce n'est rien, mais six louis sont beaucoup.

      L'inconnu, de rouge qu'on l'avait vu, était devenu très pâle.

      Il tira de sa poche, avec une bravoure héroïque, une bourse brodée d'armes, qu'il cacha soigneusement dans le creux de sa main. Cette bourse était d'une maigreur, d'un flasque, d'un creux qui n'échappèrent pas à l'oeil de Cropole.

      L'inconnu vida cette bourse dans sa main. Elle contenait trois louis doubles, qui faisaient une valeur de six louis, comme l'hôtelier le demandait.

      Toutefois, c'était sept que Cropole avait exigés. Il regarda donc l'inconnu comme pour lui dire: Après?

      – Il reste un louis, n'est-ce pas, maître hôtelier?

      – Oui, monsieur, mais…

      L'inconnu fouilla dans la poche de son haut-de-chausses et la vida; elle renfermait un petit portefeuille, une clef d'or et quelque monnaie blanche.

      De cette monnaie il composa le total d'un louis.

      – Merci, monsieur, dit Cropole. Maintenant, il me reste à savoir si Monsieur compte habiter demain encore son appartement, auquel cas je l'y maintiendrais; tandis que si Monsieur n'y comptait pas, je le promettrais aux gens de Sa Majesté qui vont venir.

      – C'est juste, fit l'inconnu après un assez long silence, mais comme je n'ai plus d'argent, ainsi que vous l'avez pu voir, comme cependant je garde cet appartement, il faut que vous vendiez ce diamant dans la ville ou que vous le gardiez en gage.

      Cropole regarda si longtemps le diamant, que l'inconnu se hâta de dire:

      – Je préfère que vous le vendiez, monsieur, car il vaut trois cents pistoles. Un juif, y a-t-il un juif dans Blois? vous en donnera deux cents, cent cinquante même, prenez ce qu'il vous en donnera, ne dût-il vous en offrir que le prix de votre logement. Allez!

      – Oh! monsieur, s'écria Cropole, honteux de l'infériorité subite que lui rétorquait l'inconnu par cet abandon si noble et si désintéressé, comme aussi par cette inaltérable patience envers tant de chicanes et de soupçons; oh! monsieur, j'espère bien qu'on ne vole pas à Blois comme vous le paraissez croire, et le diamant s'élevant à ce que vous dites…

      L'inconnu foudroya encore une fois Cropole de son regard azuré.

      – Je ne m'y connais pas, monsieur, croyez-le bien, s'écria celui- ci.

      – Mais les joailliers s'y connaissent, interrogez-les, dit l'inconnu Maintenant, je crois que nos comptes sont terminés, n'est-il pas vrai, monsieur l'hôte?

      – Oui, monsieur, et à mon regret profond, car j'ai peur d'avoir offensé Monsieur.

      – Nullement, répliqua l'inconnu avec la majesté de la toute puissance.

      – Ou d'avoir paru écorcher un noble voyageur… Faites la part, monsieur, de la nécessité.

      – N'en parlons plus, vous dis-je, et veuillez me laisser chez moi.

      Cropole s'inclina profondément et partit avec un air égaré qui accusait chez lui un coeur excellent et du remords véritable. L'inconnu alla fermer lui-même la porte, regarda, quand il fut seul, le fond de sa bourse, où il avait pris un petit sac de soie renfermant le diamant, sa ressource unique.

      Il interrogea aussi le vide de ses poches, regarda les papiers de son portefeuille et se convainquit de l'absolu dénuement où il allait se trouver.

      Alors il leva les yeux au ciel avec un sublime mouvement de calme et de désespoir, essuya de sa main tremblante quelques gouttes de sueur qui sillonnaient son noble front, et reporta sur la terre un regard naguère empreint d'une majesté divine.

      L'orage venait de passer loin de lui, peut-être avait-il prié du fond de l'âme.

      Il se rapprocha de la fenêtre, reprit sa place au balcon, et demeura là immobile, atone, mort, jusqu'au moment où, le ciel commençant à s'obscurcir, les premiers flambeaux traversèrent la rue embaumée, et donnèrent le signal de l'illumination à toutes les fenêtres de la ville.

      Chapitre VII – Parry

      Comme l'inconnu regardait avec intérêt ces lumières et prêtait l'oreille à tous ces bruits, maître Cropole entrait dans sa chambre avec deux valets qui dressèrent la table.

      L'étranger ne fit pas la moindre attention à eux. Alors Cropole, s'approchant de son hôte, lui glissa dans l'oreille avec un profond respect:

      – Monsieur, le diamant a été estimé.

      – Ah! fit le voyageur. Eh bien?

      – Eh bien! monsieur, le joaillier de Son Altesse Royale en donne deux cent quatre-vingts pistoles.

      – Vous les avez?

      – J'ai cru devoir les prendre, monsieur; toutefois, j'ai mis dans les conditions du marché que si Monsieur voulait garder son diamant jusqu'à une rentrée de fonds… Le diamant serait rendu.

      – Pas du tout; je vous ai dit de le vendre.

      – Alors j'ai obéi ou à peu près, puisque, sans l'avoir définitivement vendu, j'en ai touché l'argent.

      – Payez-vous, ajouta l'inconnu.

      – Monsieur, je le ferai, puisque vous l'exigez absolument.

      Un sourire triste effleura les lèvres du gentilhomme.

      – Mettez l'argent sur ce bahut, dit-il en se détournant en même temps qu'il indiquait le meuble du geste.

      Cropole déposa un sac assez gros, sur le contenu duquel il préleva le prix du loyer.

      – Maintenant, dit-il, Monsieur ne me fera pas la douleur de ne pas souper… Déjà le dîner a été refusé; c'est outrageant pour la maison des Médicis. Voyez, monsieur, le repas est servi, et j'oserai même ajouter qu'il a bon air.

      L'inconnu demanda un verre de vin, cassa un morceau de pain et ne quitta pas la fenêtre pour manger et boire.

      Bientôt l'on entendit un grand bruit de fanfares et de trompettes; des cris s'élevèrent au loin, un bourdonnement confus emplit la partie basse de la ville, et le premier bruit distinct qui frappa l'oreille de l'étranger fut le pas des chevaux qui s'avançaient.

      – Le roi! le roi! répétait une foule bruyante et pressée.

      – Le roi! répéta Cropole, qui abandonna son hôte et ses idées de délicatesse pour satisfaire sa curiosité.

      Avec Cropole se heurtèrent et se confondirent dans l'escalier Mme Cropole, Pittrino, les aides et les marmitons. Le cortège s'avançait lentement, éclairé par des milliers de flambeaux, soit de la rue, soit des fenêtres.

      Après une compagnie de mousquetaires et un corps tout serré de gentilshommes, venait la litière de M. le cardinal Mazarin. Elle était traînée comme un carrosse par quatre chevaux noirs. Les pages et les gens du cardinal marchaient derrière. Ensuite venait le carrosse de la reine mère, ses filles d'honneur aux portières, ses gentilshommes à cheval des deux côtés. Le roi paraissait ensuite, monté sur un beau cheval de race saxonne à large crinière. Le jeune prince montrait, en saluant à quelques fenêtres d'où partaient les plus vives acclamations, son noble et gracieux visage, éclairé par les flambeaux de ses pages.

      Aux côtés du roi, mais deux pas en arrière, le prince de Condé, M. Dangeau et vingt autres courtisans, suivis de leurs gens et de leurs bagages, fermaient la marche véritablement triomphale.

      Cette pompe était d'une ordonnance militaire.

      Quelques-uns des courtisans seulement, et parmi les vieux, portaient l'habit de voyage; presque tous étaient vêtus de l'habit de guerre. On en voyait beaucoup ayant le hausse-col et le buffle comme au temps de Henri IV et de Louis XIII.

      Quand