La Comédie humaine - Volume 08. Scènes de la vie de Province - Tome 04. Honore de Balzac. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Honore de Balzac
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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dans la vieillesse de l'homme. Séchard confirmait cette observation: plus il vieillissait, plus il aimait à boire. Sa passion laissait sur sa physionomie oursine des marques qui la rendaient originale. Son nez avait pris le développement et la forme d'un A majuscule corps de triple canon. Ses deux joues veinées ressemblaient à ces feuilles de vigne pleines de gibbosités violettes, purpurines et souvent panachées. Vous eussiez dit d'une truffe monstrueuse enveloppée par les pampres de l'automne. Cachés sous deux gros sourcils pareils à deux buissons chargés de neige, ses petits yeux gris, où pétillait la ruse d'une avarice qui tuait tout en lui, même la paternité, conservaient leur esprit jusque dans l'ivresse. Sa tête chauve et découronnée, mais ceinte de cheveux grisonnants qui frisotaient encore, rappelait à l'imagination les Cordeliers des Contes de la Fontaine. Il était court et ventru comme beaucoup de ces vieux lampions qui consomment plus d'huile que de mèche; car les excès en toute chose poussent le corps dans la voie qui lui est propre. L'ivrognerie, comme l'étude, engraisse encore l'homme gras et maigrit l'homme maigre. Jérôme-Nicolas Séchard portait depuis trente ans le fameux tricorne municipal, qui dans quelques provinces se retrouve encore sur la tête du tambour de la ville. Son gilet et son pantalon étaient en velours verdâtre. Enfin, il avait une vieille redingote brune, des bas de coton chinés et des souliers à boucles d'argent. Ce costume où l'ouvrier se retrouvait encore dans le bourgeois convenait si bien à ses vices et à ses habitudes, il exprimait si bien sa vie, que ce bonhomme semblait avoir été créé tout habillé: vous ne l'auriez pas plus imaginé sans ses vêtements qu'un oignon sans sa pelure. Si le vieil imprimeur n'eût pas depuis long-temps donné la mesure de son aveugle avidité, son abdication suffirait à peindre son caractère. Malgré les connaissances que son fils devait rapporter de la grande École des Didot, il se proposa de faire avec lui la bonne affaire qu'il ruminait depuis long-temps. Si le père en faisait une bonne, le fils devait en faire une mauvaise. Mais, pour le bonhomme, il n'y avait ni fils ni père en affaire. S'il avait d'abord vu dans David son unique enfant, plus tard il y vit un acquéreur naturel de qui les intérêts étaient opposés aux siens: il voulait vendre cher, David devait acheter à bon marché; son fils devenait donc un ennemi à vaincre. Cette transformation du sentiment en intérêt personnel, ordinairement lente, tortueuse et hypocrite chez les gens bien élevés, fut rapide et directe chez le vieil Ours, qui montra combien la soûlographie rusée l'emportait sur la typographie instruite. Quand son fils arriva, le bonhomme lui témoigna la tendresse commerciale que les gens habiles ont pour leurs dupes: il s'occupa de lui comme un amant se serait occupé de sa maîtresse; il lui donna le bras, il lui dit où il fallait mettre les pieds pour ne pas se crotter; il lui avait fait bassiner son lit, allumer du feu, préparer un souper. Le lendemain, après avoir essayé de griser son fils durant un plantureux dîner, Jérôme-Nicolas Séchard, fortement aviné, lui dit un: —Causons d'affaires? qui passa si singulièrement entre deux hoquets, que David le pria de remettre les affaires au lendemain. Le vieil Ours savait trop bien tirer parti de son ivresse pour abandonner une bataille préparée depuis si long-temps. D'ailleurs, après avoir porté son boulet pendant cinquante ans, il ne voulait pas, dit-il, le garder une heure de plus. Demain son fils serait le Naïf.

      Ici peut-être est-il nécessaire de dire un mot de l'établissement. L'imprimerie, située dans l'endroit où la rue de Beaulieu débouche sur la place du Mûrier, s'était établie dans cette maison vers la fin du règne de Louis XIV. Aussi depuis long-temps les lieux avaient-ils été disposés pour l'exploitation de cette industrie. Le rez-de-chaussée formait une immense pièce éclairée sur la rue par un vieux vitrage, et par un grand châssis sur une cour intérieure. On pouvait d'ailleurs arriver au bureau du maître par une allée. Mais en province les procédés de la typographie sont toujours l'objet d'une curiosité si vive, que les chalands aimaient mieux entrer par une porte vitrée pratiquée dans la devanture donnant sur la rue, quoiqu'il fallût descendre quelques marches, le sol de l'atelier se trouvant au dessous du niveau de la chaussée. Les curieux, ébahis, ne prenaient jamais garde aux inconvénients du passage à travers les défilés de l'atelier. S'ils regardaient les berceaux formés par les feuilles étendues sur des cordes attachées au plancher, ils se heurtaient le long des rangs de casses, ou se faisaient décoiffer par les barres de fer qui maintenaient les presses. S'ils suivaient les agiles mouvements d'un compositeur grapillant ses lettres dans les cent cinquante-deux cassetins de sa casse, lisant sa copie, relisant sa ligne dans son composteur en y glissant une interligne, ils donnaient dans une rame de papier trempé chargée de ses pavés, ou s'attrapaient la hanche dans l'angle d'un banc; le tout au grand amusement des Singes et des Ours. Jamais personne n'était arrivé sans accident jusqu'à deux grandes cages situées au bout de cette caverne, qui formaient deux misérables pavillons sur la cour, et où trônaient d'un côté le prote, de l'autre le maître imprimeur. Dans la cour, les murs étaient agréablement décorés par des treilles qui, vu la réputation du maître, avaient une appétissante couleur locale. Au fond, et adossé au noir mur mitoyen, s'élevait un appentis en ruine où se trempait et se façonnait le papier. Là, étaient l'évier sur lequel se lavaient avant et après le tirage les Formes, ou, pour employer le langage vulgaire, les planches de caractères; il s'en échappait une décoction d'encre mêlée aux eaux ménagères de la maison, qui faisait croire aux paysans venus les jours de marché que le diable se débarbouillait dans cette maison. Cet appentis était flanqué d'un côté par la cuisine, de l'autre par un bûcher. Le premier étage de cette maison, au-dessus duquel il n'y avait que deux chambres en mansardes, contenait trois pièces. La première, aussi longue que l'allée, moins la cage du vieil escalier de bois, éclairée sur la rue par une petite croisée oblongue, et sur la cour par un œil-de-bœuf, servait à la fois d'antichambre et de salle à manger. Purement et simplement blanchie à la chaux, elle se faisait remarquer par la cynique simplicité de l'avarice commerciale; le carreau sale n'avait jamais été lavé; le mobilier consistait en trois mauvaises chaises, une table ronde et un buffet situé entre deux portes qui donnaient entrée dans une chambre à coucher et dans un salon; les fenêtres et la porte étaient brunes de crasse; des papiers blancs ou imprimés l'encombraient la plupart du temps; souvent le dessert, les bouteilles, les plats du dîner de Jérôme-Nicolas Séchard se voyaient sur les ballots. La chambre à coucher, dont la croisée avait un vitrage en plomb qui tirait son jour de la cour, était tendue de ces vieilles tapisseries que l'on voit en province le long des maisons au jour de la Fête-Dieu. Il s'y trouvait un grand lit à colonnes garni de rideaux, de bonnes-grâces et d'un couvre-pieds en serge rouge, deux fauteuils vermoulus, deux chaises en bois de noyer et en tapisserie, un vieux secrétaire, et sur la cheminée un cartel. Cette chambre, où se respirait une bonhomie patriarcale et pleine de teintes brunes, avait été arrangée par le sieur Rouzeau, prédécesseur et maître de Jérôme-Nicolas Séchard. Le salon, modernisé par feu madame Séchard, offrait d'épouvantables boiseries peintes en bleu de perruquier; les panneaux étaient décorés d'un papier à scènes orientales, coloriées en bistre sur un fond blanc; le meuble consistait en six chaises garnies de basane bleue dont les dossiers représentaient des lyres. Les deux fenêtres grossièrement cintrées, et par où l'œil embrassait la place du Mûrier, était sans rideaux; la cheminée n'avait ni flambeau, ni pendule, ni glace. Madame Séchard était morte au milieu de ses projets d'embellissement, et l'Ours ne devinant pas l'utilité d'améliorations qui ne rapportaient rien, les avait abandonnées. Ce fut là que, pede titubante, Jérôme-Nicolas Séchard amena son fils et lui montra sur la table ronde un état du matériel de son imprimerie dressé sous sa direction par le prote.

      — Lis cela, mon garçon, dit Jérôme-Nicolas Séchard en roulant ses yeux ivres du papier à son fils et de son fils au papier. Tu verras quel bijou d'imprimerie je te donne.

      — Trois presses en bois maintenues par des barres en fer, à marbre en fonte...

      — Une amélioration que j'ai faite, dit le vieux Séchard en interrompant son fils.

      — Avec tous leurs ustensiles; encriers, balles et bancs, etc., seize cents francs! Mais, mon père, dit David Séchard en laissant tomber l'inventaire, vos presses sont des sabots qui ne valent pas cent écus, et dont il faut faire du feu.

      — Des sabots?.. s'écria le vieux Séchard, des sabots?.. Prends l'inventaire et descendons! Tu vas voir si vos inventions de méchante serrurerie manœuvrent comme ces bons vieux outils éprouvés. Après,