Mademoiselle La Quintinie. Жорж Санд. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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et d'idées, faisait gracieusement la cour à son grand-père, j'osais alors dire à moi aussi. Elle-nous abandonnait l'exagération, les travers et les ridicules du milieu où nous la supposions rivée. Elle semblait même trahir la cause du passé et nous suivre dans les élans de la vie. Moi, du moins, je voulais voir tout cela dans sa gaieté conciliante, et je revins de cette promenade ébloui, charmé, prêt à me croire préféré à tout ce que Lucie avait respecté, accepté ou subi jusque-là.

      Mon erreur était complète, l'orgueil m'aveuglait. Lucie est, je le crois, une âme inébranlable, qui fait la part de ce qu'on peut appeler l'écume des opinions, mais qui reste fidèle à de certains principes et tranquille comme ces grandes profondeurs de l'Océan qui ne s'aperçoivent pas des caprices du vent à la surface du flot. Sa gaieté, sa douceur, son humeur égale et facile, auraient dû être pour moi la révélation d'un parti pris, d'un pli à jamais formé dans le livre de sa destinée. Que ce soit à telle ou telle page de son code intérieur, cette page résume sa force, établit sa résistance; elle n'ira pas au delà.

      Je revis Lucie le lendemain à Aix, chez madame Marsanne, qui était un peu souffrante. Elle prolongea sa visite pour lui tenir compagnie. Élise était allée avec sa belle-sœur voir la Grande-Chartreuse, et Henri avait obtenu la permission de les accompagner: Je me trouvai donc comme en tête-à-tête avec Lucie; car madame Marsanne nous mit en train de causerie, et se borna ensuite à nous écouter, plaçant de temps en temps un mot pour nous aider à développer ou à résumer nos idées. Tu ne l'ignores pas; c'est le talent bienveillant et assez intelligent de notre amie.

      Lucie me parut avoir sur le cœur l'épithète de légitimiste que je lui avais adressée en riant la veille!

      «Le mot n'est pas une injure en lui-même, dit-elle; mais vous y avez mis une intention hostile: confessez-vous!»

      Et, comme je l'avouais, car je ne veux rien nier, rien dissimuler avec elle:

      «Je veux, reprit-elle, vous dire les opinions politiques que je me permets d'avoir. Née d'un père français et d'une mère savoisienne, j'ai été élevée en Savoie, c'est-à-dire en Italie, puisque nous sommes Français d'hier. Je suis donc Italienne à demi, et je n'admets pas que l'annexion ait pu nous dénationaliser si vite. Étant bonne Italienne et patriote, je m'en pique, je ne puis aimer l'Autriche, et je ne puis pas approuver la résistance politique, du saint-siège à l'unité de l'Italie.

      – En vérité! s'écria madame Marsanne, votre orthodoxie s'arrête au pouvoir spirituel!

      – Absolument, répondit Lucie; je n'ai jamais eu d'autre manière de voir, et je suis orthodoxe quand même, car le pouvoir temporel n'est pas un article de foi. J'irai plus loin, j'avouerai que j'aime Garibaldi, et que je cesserais d'aimer Victor-Emmanuel le jour où il cesserait de protester pour l'indépendance de l'Italie. Voilà ma profession de foi. Est-ce le légitimisme comme vous l'entendez en France?

      – Non certes, répondis-je, et je crois que nous sommes bien près de nous entendre.

      – Alors restons-en là, dit-elle, et parlons d'autre chose; car la similitude parfaite des idées n'est pas si nécessaire d'ans ce monde. Peut-être même est-il bon que chacun garde une certaine nuance qui le caractérise, pour faire acte de liberté dans la limite admissible.»

      Il me sembla qu'elle abandonnait encore une partie de son lest pour s'enlever plus haut dans la région du vrai, et je lui en marquai ma reconnaissance par le soin que je pris de ne plus rien contredire. Elle parla de la France avec un peu d'amertume, et de l'indifférence politique et religieuse des Français avec tristesse; puis elle parla de son grand-père avec adoration et des douceurs de leur intimité. Je ne sais ce qu'elle dit encore: elle fut si bonne ce jour-là, que je t'écrivis le soir une longue lettre que je devais terminer et t'envoyer le lendemain. Je ne te l'envoyai pas: le lendemain, j'avais la mort dans l'âme.

      Le lendemain, je rendis visite à M. de Turdy. Je ne sais par quelle fatalité il lui vint à l'esprit de me demander si j'avais été aux Charmettes, et, comme je répondais négativement:

      «Voilà, dit-il en riant, un pèlerinage que ma petite-fille ne fera pas avec vous!»

      J'interrogeai les yeux de Lucie, qui affectait de regarder le paysage, comme si elle n'eût entendu ni la question ni la réponse. Je ne sais quelle curiosité chagrine me fit insister. Elle prit alors son parti et répondit nettement:

      «Ce n'est pas là une promenade pour une jeune fille! Vous pensez bien que je n'ai rien lu de M. Rousseau; mais je sais, par la tradition du pays, tout ce qui concerne cette existence des Charmettes, et le nom de madame de Warens me répugne, permettez-moi de vous le dire.

      – Ma chère enfant, reprit le grand-père, j'aime à croire que tu sais fort mal l'histoire des Charmettes, et qu'aucune personne du pays ne s'est jamais permis de la raconter devant toi, à moins que cette personne ne soit ta grand'tante ou une de ses amies les béguines, ou encore quelque prêtre; car il n'y a que les dévots pour dire crûment les choses, et pour apprendre aux jeunes filles ce que nous autres, vieux mécréants, nous croirions devoir leur laisser ignorer.»

      Lucie garda un instant le silence, et une vive rougeur de dépit ou de honte monta jusqu'à son front; mais la lutte contre elle-même fut rapidement terminée. La rougeur s'envola comme un éclair, elle embrassa le vieillard en disant:

      «En cela, père, tu peux bien avoir raison! Tu sais, moi, tout ce qui me console de te contredire, c'est quand je peux trouver l'occasion de me donner tort.»

      M. de Turdy, attendri, me regardait comme pour me dire: «Vous voyez si on peut résister à tant de grâce et de bonté…» Et il est certain que j'étais de son avis. On discuterait avec Lucie, on disputerait même, rien que pour le plaisir de la voir si délicieusement céder. Aussi le nuage qui me resta dans l'esprit eut-il une autre cause que son aversion systématique pour le grand génie de Rousseau, qu'elle ne connaît pas. Je m'affectai intérieurement de la pensée que cette âme candide était déjà déflorée par la science de soi-même imposée aux jeunes filles pieuses comme un devoir, comme une nécessité du sérieux de la confession. La confession!.. Je n'avais jamais pensé à cela qu'avec sang-froid. J'avais vu la première institution, la confession publique à la porte du temple, comme une chose terrible et grande, comme un reflet ardent de l'époque du martyre: je regardais la confession auriculaire comme une déviation du principe, comme un accommodement du pécheur avec le ciel et du prêtre avec le pécheur; mais je n'avais pas encore mis dans ma pensée l'image du prêtre entre Lucie et moi. Quand elle se présenta, elle fit passer une sueur froide dans tout mon corps. Je me rappelai ce passage de Paul-Louis Courier, qui ne m'avait frappé que comme éloquence, et il me revint tout entier dans la mémoire comme si je l'eusse appris par cœur. Tu te le rappelles, ce passage que nous avons lu ensemble il n'y a pas longtemps… «On leur défend l'amour, et le mariage surtout; on leur livre les femmes. Ils n'en peuvent avoir une; et ils vivent avec toutes familièrement, c'est peu, mais dans la confidence, l'intimité, le secret de leurs actions cachées, de toutes leurs pensées. L'innocente fillette, sous l'aile de sa mère, entend le prêtre d'abord, qui, bientôt l'appelant, l'entretient seul à seule, qui, le premier, avant qu'elle puisse faillir, lui nomme le péché… Seuls et n'ayant pour témoins que ces murs, que ces voûtes, ils causent! De quoi? Hélas! de tout ce qui n'est pas innocent. Ils parlent ou plutôt murmurent à voix basse, et leurs bouches s'approchent, et leur souffle se confond. Cela dure une heure et se renouvelle souvent.»

      Cette implacable citation de ma mémoire, avec son corollaire sur le rôle du prêtre entre les époux, me fit ressentir tous les aiguillons de la jalousie, et cette première torture de l'amour fut si poignante, que Lucie s'en aperçut et me demanda ce que j'avais.

      La présence du grand-père ne me gênant pas pour un entretien de cette nature, je demandai brusquement à Lucie si elle avait un confesseur.

      «Eh! mais oui, sans doute, répondit-elle; il le faut bien!

      – J'aurais cru que vous n'en aviez besoin.

      – On a toujours quelque chose à se reprocher.

      – Dans le secret de la conscience, dans le fond de la pensée apparemment; car vos actions, à vous, ne peuvent