habituée à une stricte obéissance et à une muette ponctualité dans sa lutte; mais la conviction qui enchaîne les coeurs s'éloignait du sien chaque jour davantage. En elle-même elle détestait son joug, et sa volonté secrète démentait à chaque instant, non pas ses paroles (elle ne parlait jamais, pas même à son père, dont la faiblesse lui causait une sorte d'indignation), mais ses actions et sa contenance. Ce qui la révoltait peut-être le plus et à juste titre, c'était que sa mère, au milieu de son despotisme, de ses violences et de ses injustices, se piquât d'une austère dévotion, et la contraignit aux plus étroites pratiques du bigotisme. La piété, généralement si douce, si tolérante et si gaie chez la nation vénitienne, était dans le coeur de la Piémontaise Loredana un fanatisme insupportable que Mattea ne pouvait accepter. Aussi, tout en aimant la vertu, tout en adorant le Christ et en dévorant à ses pieds chaque jour bien des larmes amères, la pauvre enfant avait osé, chose inouïe dans ce temps et dans ce pays, se séparer intérieurement du dogme à l'égard de plusieurs points arbitraires. Elle s'était fait, sans beaucoup de réflexion et sans aucune controverse, une religion personnelle, pure, sincère, instinctive. Elle apprenait chaque jour cette religion de son choix, l'occasion amenant le précepte, l'absurdité des arrêts * les révoltes du bon sens; et quand elle entendait sa mère damner impitoyablement tous les hérétiques, quelque vertueux qu'ils fussent, elle allait assez loin dans l'opinion contraire pour absoudre même les infidèles et les regarder comme ses frères. Mais elle ne disait point ses pensées à cet égard; car, quoique son extrême docilité apparente eût dû désarmer pour toujours la mégère, celle-ci, à la moindre marque d'inattention ou de lenteur dans l'accomplissement de ses volontés, lui infligeait des châtiments réservés à l'enfance et dont l'âme outrée de l'adolescente Mattea ressentait vivement les profondes atteintes.