Actes et Paroles, Volume 2: Pendant l'exil 1852-1870. Victor Hugo. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Victor Hugo
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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homme terrasse, gisant, balaye dehors (ce qui est tout simple; quand Vitellius est l'idole, Juvenal est l'ordure), un expulse, un desherite, un vaincu, on est jaloux de cela. Chose bizarre, les proscrits ont des envieux. Cela se comprendrait des hautes vertus enviant les hautes infortunes, de Caton enviant Regulus, de Thraseas enviant Brutus, de Rabbe enviant Barbes. Mais point. Ce sont les vils qui se melent d'etre jaloux des altiers; ce qui est importune par la fiere protestation du vaincu, c'est la nullite plate et vaine. Gustave Planche jalouse Louis Blanc, Baculard jalouse Milton, et Jocrisse jalouse Eschyle.

      L'insulteur antique ne suivait que le char du vainqueur, l'insulteur actuel suit la claie du vaincu. Le vaincu saigne. Les insulteurs ajoutent leur boue a ce sang. Soit. Qu'ils aient cette joie.

      Cette joie parait d'autant plus reelle qu'elle n'est point haie du maitre et qu'elle est habituellement payee. Les fonds secrets s'epanouissent en outrages publics. Les despotes, dans leur guerre aux proscrits, ont deux auxiliaires; premierement, l'envie, deuxiemement, la corruption.

      Quand on dit ce que c'est que l'exil, il faut entrer un peu dans le detail. L'indication de certains rongeurs speciaux fait partie du sujet, et nous avons du penetrer dans cette entomologie.

      VII

      Tels sont les petits cotes de l'exil, voici les grands:

      Songer, penser, souffrir.

      Etre seul et sentir qu'on est avec tous; execrer le succes du mal, mais plaindre le bonheur du mechant; s'affermir comme citoyen et se purifier comme philosophe; etre pauvre, et reparer sa ruine avec son travail; mediter et premediter, mediter le bien et premediter le mieux; n'avoir d'autre colere que la colere publique, ignorer la haine personnelle; respirer le vaste air vivant des solitudes, s'absorber dans la grande reverie absolue; regarder ce qui est en haut sans perdre de vue ce qui est en bas; ne jamais pousser la contemplation de l'ideal jusqu'a l'oubli du tyran; constater en soi le magnifique melange de l'indignation qui s'accroit et de l'apaisement qui augmente; avoir deux ames, son ame et la patrie.

      Une chose est douce, c'est la pitie d'avance; tenir la clemence prete pour le coupable quand il sera terrasse et agenouille; se dire qu'on ne repoussera jamais des mains jointes. On sent une joie auguste a faire aux vaincus de l'avenir, quels qu'ils soient, et aux fugitifs inconnus une promesse d'hospitalite. La colere desarme devant l'ennemi accable. Celui qui ecrit ces lignes a habitue ses compagnons d'exil a lui entendre dire: —Si jamais, le lendemain d'une revolution, Bonaparte en fuite frappe a ma porte et me demande asile, pas un cheveu ne tombera de sa tete.

      Ces meditations, compliquees de tous les dechainements de l'adversite, plaisent a la conscience du proscrit. Elles ne l'empechent pas de faire son devoir. Loin de la. Elles l'y encouragent. Sois d'autant plus severe aujourd'hui que tu seras plus compatissant demain; foudroie le puissant en attendant que tu secoures le suppliant. Plus tard, tu ne mettras a ton amnistie qu'une condition, le repentir. Aujourd'hui tu as affaire au crime heureux. Frappe.

      Creuser le precipice a l'ennemi vainqueur, preparer l'asile a l'ennemi vaincu, combattre avec l'espoir de pouvoir pardonner, c'est la le grand effort et le grand reve de l'exil. Ajoutez a cela le devouement a la souffrance universelle. Le proscrit a ce contentement magnanime de ne pas etre inutile. Blesse lui-meme, saignant lui-meme, il s'oublie, et il panse de son mieux la plaie humaine. On croit qu'il fait des songes; non; il cherche la realite. Disons plus, il la trouve. Il rode dans le desert et il songe aux villes, aux tumultes, aux fourmillements, aux miseres, a tout ce qui travaille, a la pensee, a la charrue, a l'aiguille, aux doigts rouges de l'ouvriere sans feu dans la mansarde, au mal qui pousse la ou l'on ne seme pas le bien, au chomage du pere, a l'ignorance de l'enfant, a la croissance des mauvaises herbes dans les cerveaux laisses incultes, aux rues le soir, aux pales reverberes, aux offres que la faim peut faire aux passants, aux extremites sociales, a la triste fille qui se prostitue, hommes, par notre faute. Sondages douloureux et utiles. Couvez le probleme, la solution eclora. Il reve sans relache. Ses pas le long de la mer ne sont point perdus. Il fraternise avec cette puissance, l'abime. Il regarde l'infini, il ecoute l'ignore. La grande voix sombre lui parle. Toute la nature en foule s'offre a ce solitaire. Les analogies severes l'enseignent et le conseillent. Fatal, persecute, pensif, il a devant lui les nuees, les souffles, les aigles; il constate que sa destinee est tonnante et noire comme les nuees, que ses persecuteurs sont vains comme les souffles, et que son ame est libre comme les aigles.

      Un exile est un bienveillant. Il aime les roses, les nids, le va-et-vient des papillons. L'ete il s'epanouit dans la douce joie des etres; il a une foi inebranlable dans la bonte secrete et infinie, etant pueril au point de croire en Dieu; il fait du printemps sa maison; les entrelacements des branches, pleins de charmants antres verts, sont la demeure de son esprit; il vit en avril, il habite floreal; il regarde les jardins et les prairies, emotion profonde; il guette les mysteres d'une touffe de gazon; il etudie ces republiques, les fourmis et les abeilles; il compare les melodies diverses joutant pour l'oreille d'un Virgile invisible dans la georgique des bois; il est souvent attendri jusqu'aux larmes parce que la nature est belle; la sauvagerie des halliers l'attire, et il en sort doucement effare; les attitudes des rochers l'occupent; il voit a travers sa reverie les petites filles de trois ans courir sur la greve, leurs pieds nus dans la mer, leurs jupes retroussees a deux bras, montrant a la fecondite immense leur ventre innocent; l'hiver, il emiette du pain sur la neige pour les oiseaux. De temps en temps on lui ecrit: Vous savez, telle penalite est abolie; vous savez, telle tete ne sera pas coupee. Et il leve les mains au ciel.

      VIII

      Contre cet homme dangereux les gouvernements se pretent main-forte. Ils s'accordent reciproquement entre eux la persecution des proscrits, les internements, les expulsions, quelquefois les extraditions. Les extraditions! oui, les extraditions. Il en fut question a Jersey, en 1855. Les exiles purent voir, le 18 octobre, amarre au quai de Saint-Helier, un navire de la marine imperiale, l'Ariel, qui venait les chercher; Victoria offrait les proscrits a Napoleon; d'un trone a l'autre on se fait de ces politesses.

      Le cadeau n'eut pas lieu. La presse royaliste anglaise applaudissait; mais le peuple de Londres le prenait mal. Il se mit a gronder. Ce peuple est ainsi fait; son gouvernement peut etre caniche, lui il est dogue. Le dogue, c'est un lion dans un chien; la majeste dans la probite, c'est le peuple anglais.

      Ce bon et fier peuple montra les dents; Palmerston et Bonaparte durent se contenter de l'expulsion. Les proscrits s'emurent mediocrement. Ils recurent avec un sourire la signification officielle, un peu baragouinee. Soit, dirent les proscrits. Expioulcheune. Cette prononciation les satisfit.

      A cette epoque, si les gouvernements etaient de connivence avec le prescripteur, on sentait entre les proscrits et les peuples une complicite superbe. Cette solidarite, d'ou resultera l'avenir, se manifestait sous toutes les formes, et l'on en trouvera les marques a chacune des pages de ce livre. Elle eclatait a l'occasion d'un passant quelconque, d'un homme isole, d'un voyageur reconnu sur une route; faits imperceptibles sans doute, et de peu d'importance, mais significatifs. En voici un qui merite peut-etre qu'on s'en souvienne.

      IX

      En l'ete de 1867, Louis Bonaparte avait atteint le maximum de gloire possible a un crime. Il etait sur le sommet de sa montagne, car on arrive en haut de la honte; rien ne lui faisait plus obstacle; il etait infame et supreme; pas de victoire plus complete, car il semblait avoir vaincu les consciences. Majestes et altesses, tout etait a ses pieds ou dans ses bras; Windsor, le Kremlin, Schoenbrunn et Potsdam se donnaient rendez-vous aux Tuileries; on avait tout, la gloire politique, M. Rouher; la gloire militaire, M. Bazaine; et la gloire litteraire, M. Nisard; on etait accepte par de grands caracteres, tels que MM. Vieillard et Merimee; le Deux-Decembre avait pour lui la duree, les quinze annees de Tacite, grande mortalis oevi spatium; l'empire etait en plein triomphe et en plein midi, s'etalant. On se moquait d'Homere sur les theatres et de Shakespeare a l'academie. Les professeurs d'histoire affirmaient que Leonidas et Guillaume Tell n'avaient jamais existe; tout etait en harmonie; rien ne detonnait, et il y avait accord entre la platitude des idees et la soumission des hommes; la bassesse des doctrines etait egale a la fierte des personnages; l'avilissement faisait loi; une sorte d'Anglo-France existait, mi-partie de Bonaparte et de Victoria, composee de liberte selon Palmerston et d'empire selon Troplong; plus qu'une alliance, presque un baiser. Le grand juge d'Angleterre rendait