Monsieur a toujours été bien bon pour moi.
– Parbleu! croyez-vous que cette idée ne me soit pas venue ou que la dépense m'ait arrêté? Mais il n'y a plus que deux jours d'ici à la fête de Vaux; j'ai reçu l'invitation hier, j'ai fait venir Mouston en poste avec ma garde-robe; je me suis aperçu du malheur qui m'arrivait ce matin seulement, et, d'ici à après-demain, il n'y a pas un tailleur un peu à la mode qui se charge de me confectionner un habit.
– C'est-à-dire un habit couvert d'or, n'est-ce pas?
– J'en veux partout!
– Nous arrangerons cela. Vous ne partez que dans trois jours. Les invitations sont pour mercredi et nous sommes le dimanche matin.
– C'est vrai; mais Aramis m'a bien recommandé d'être à Vaux vingt quatre heures d'avance.
– Comment, Aramis?
– Oui, c'est Aramis qui m'a apporté l'invitation.
– Ah! fort bien, je comprends. Vous êtes invité du côté de
M. Fouquet.
– Non pas! Du côté du roi, cher ami. Il y a sur le billet, en toutes lettres: «M. le baron du Vallon est prévenu que le roi a daigné le mettre sur la liste de ses invitations…»
– Très bien, mais c'est avec M. Fouquet que vous partez.
– Et quand je pense, s'écria Porthos en défonçant le parquet d'un coup de pied, quand je pense que je n'aurai pas d'habits! J'en crève de colère! Je voudrais bien étrangler quelqu'un ou déchirer quelque chose!
– N'étranglez personne et ne déchirez rien, Porthos, j'arrangerai tout cela: mettez un de vos trente-six habits et venez avec moi chez un tailleur.
– Bah! mon coureur les a tous vus depuis ce matin.
– Même M. Percerin?
– Qu'est-ce que M. Percerin?
– C'est le tailleur du roi, parbleu!
– Ah! oui, oui, dit Porthos, qui voulait avoir l'air de connaître le tailleur du roi et qui entendait prononcer ce nom pour la première fois; chez M. Percerin, le tailleur du roi, parbleu! J'ai pensé qu'il serait trop occupé.
– Sans doute, il le sera trop; mais, soyez tranquille, Porthos; il fera pour moi ce qu'il ne ferait pas pour un autre. Seulement, il faudra que vous vous laissiez mesurer, mon ami.
– Ah! fit Porthos, avec un soupir, c'est fâcheux; mais, enfin, que voulez vous!
– Dame! vous ferez comme les autres, mon cher ami; vous ferez comme le roi.
– Comment! on mesure aussi le roi? Et il le souffre?
– Le roi est coquet, mon cher, et vous aussi, vous l'êtes, quoi que vous en disiez.
Porthos sourit d'un air vainqueur.
– Allons donc chez le tailleur du roi! dit-il, et puisqu'il mesure le roi, ma foi! je puis bien, il me semble, me laisser mesurer par lui.
Chapitre CCIX – Ce que c'était que messire Jean Percerin
Le tailleur du roi, messire Jean Percerin, occupait une maison assez grande dans la rue Saint-Honoré, près de la rue de l'Arbre- Sec. C'était un homme qui avait le goût des belles étoffes, des belles broderies, des beaux velours, étant de père en fils tailleur du roi. Cette succession remontait à Charles IX, auquel, comme on sait, remontaient souvent des fantaisies de bravoure assez difficiles à satisfaire.
Le Percerin de ce temps-là était un huguenot comme Ambroise Paré, et avait été épargné par la royne de Navarre, la belle Margot, comme on écrivait et comme on disait alors, et cela attendu qu'il était le seul qui eût jamais pu lui réussir ces merveilleux habits de cheval qu'elle aimait à porter, parce qu'ils étaient propres à dissimuler certains défauts anatomiques que la royne de Navarre cachait fort soigneusement.
Percerin, sauvé, avait fait, par reconnaissance, de beaux justes noirs, fort économiques pour la reine Catherine, laquelle finit par savoir bon gré de sa conservation au huguenot, à qui longtemps elle avait fait la mine. Mais Percerin était un homme prudent: il avait entendu dire que rien n'était plus dangereux pour un huguenot que les sourires de la reine Catherine; et, ayant remarqué qu'elle lui souriait plus souvent que de coutume, il se hâta de se faire catholique avec toute sa famille, et, devenu irréprochable par cette conversion, il parvint à la haute position de tailleur maître de la couronne de France.
Sous Henri III, roi coquet s'il en fut, cette position acquit la hauteur d'un des plus sublimes pics des Cordillères. Percerin avait été un homme habile toute sa vie, et, pour garder cette réputation au-delà de la tombe, il se garda bien de manquer sa mort; il trépassa donc fort adroitement et juste à l'heure où son imagination commençait à baisser.
Il laissait un fils et une fille, l'un et l'autre dignes du nom qu'ils étaient appelés à porter: le fils, coupeur intrépide et exact comme une équerre; la fille, brodeuse et dessinateur d'ornements.
Les noces de Henri IV et de Marie de Médicis, les deuils si beaux de ladite reine, firent, avec quelques mots échappés à M. de Bassompierre, le roi des élégants de l'époque, la fortune de cette seconde génération des Percerin.
M. Concino Concini et sa femme Galigaï, qui brillèrent ensuite à la Cour de France, voulurent italianiser les habits et firent venir des tailleurs de Florence; mais Percerin, piqué au jeu dans son patriotisme et dans son amour-propre, réduisit à néant ces étrangers par ses dessins de brocatelle en application et ses plumetis inimitables; si bien que Concino renonça le premier à ses compatriotes, et tint le tailleur français en telle estime, qu'il ne voulut plus être habillé que par lui; de sorte qu'il portait un pourpoint de lui, le jour où Vitry lui cassa la tête, d'un coup de pistolet, au petit pont du Louvre.
C'est ce pourpoint, sortant des ateliers de maître Percerin, que les Parisiens eurent le plaisir de déchiqueter en tant de morceaux, avec la chair humaine qu'il contenait.
Malgré la faveur dont Percerin avait joui près de Concino Concini, le roi Louis XIII eut la générosité de ne pas garder rancune à son tailleur, et de le retenir à son service. Au moment où Louis le Juste donnait ce grand exemple d'équité, Percerin avait élevé deux fils, dont l'un fit son coup d'essai dans les noces d'Anne d'Autriche, inventa pour le cardinal de Richelieu ce bel habit espagnol avec lequel il dansa une sarabande, fit les costumes de la tragédie de Mirame, et cousit au manteau de Buckingham ces fameuses perles qui étaient destinées à être répandues sur les parquets du Louvre.
On devient aisément illustre quand on a habillé M. de Buckingham,
M. de Cinq-Mars, Mlle Ninon, M. de Beaufort et Marion Delorme.
Aussi Percerin III avait-il atteint l'apogée de sa gloire lorsque son père mourut.
Ce même Percerin III, vieux, glorieux et riche, habillait encore Louis XIV, et, n'ayant plus de fils, ce qui était un grand chagrin pour lui, attendu qu'avec lui sa dynastie s'éteignait, et, n'ayant plus de fils, disons-nous, avait formé plusieurs élèves de belle espérance. Il avait un carrosse, une terre, des laquais, les plus grands de tout Paris, et, par autorisation spéciale de Louis XIV, une meute. Il habillait MM. de Lyonne et Letellier avec une sorte de protection; mais, homme politique, nourri aux secrets d'État, il n'était jamais parvenu à réussir un habit à M. Colbert. Cela ne s'explique pas, cela se devine. Les grands esprits, en tout genre, vivent de perceptions invisibles, insaisissables; ils agissent sans savoir eux-mêmes pourquoi. Le grand Percerin, car, contre l'habitude des dynasties, c'était surtout le dernier des Percerin qui avait mérité le surnom de Grand, le grand Percerin, avons-nous dit, taillait d'inspiration une jupe pour la reine ou une trousse pour le roi; il inventait un manteau pour Monsieur, un coin de bas pour Madame; mais, malgré son génie suprême, il ne pouvait retenir la mesure de M. Colbert.
– Cet homme-là, disait-il souvent, est hors de mon talent, et je ne saurais